Sadiq Khan, l’homme qui a sérieusement réduit la grande visite à Londres de Donald Trump

La réticence du président américain à s’aventurer sur son territoire est considérée comme une victoire pour le maire de la ville.

Il y a peu, le maire de Londres a été interrogé sur ce qu’il ferait si Donald Trump devait visiter sa ville. En sa qualité de tout premier musulman élu à la tête d’une grande capitale occidentale, Sadiq Khan aurait été en droit d’éluder la question.

Depuis sa victoire de 2016, avec le chiffre extraordinaire de 1,3 million de voix — la plus large victoire personnelle de l’histoire politique britannique —, il a fréquemment été la cible de tweets agressifs et à la limite du racisme de la part du président américain.

Mais l’ancien avocat spécialisé dans les droits de l’homme, qui, à la tête d’une ville rongée par la criminalité, fait lui aussi l’objet de critiques, a livré une réponse aussi élégante que caractéristique de son opposition avec Donald Trump.

“Je l’emmènerais dans ces endroits de Londres où règne la plus grande diversité, où chacun peut être lui-même tout en étant non seulement toléré, mais respecté, célébré et pleinement accepté”, a-t-il affirmé.

Donald Trump a finalement obtenu ce fameux voyage au Royaume-Uni auquel il aspirait tant, avec thé en compagnie de la reine, parade militaire et conférence de presse commune avec Theresa May.

Mais ce n’est pas là la visite d’État qu’il désirait et que la Première ministre lui avait promise l’année dernière, lors de son propre passage à Washington. Pas de trajet en calèche avec la souveraine, un honneur dont avaient joui aussi bien Vladimir Poutine que George W. Bush. Pas de visite à Buckingham Palace, ni même au 10, Downing Street, la résidence officielle de Theresa May. Et pas de belles photos devant les nombreux grands monuments qui font la gloire de Londres.

 

J’emmènerais [Donald Trump] dans ces endroits de Londres où règne la plus grande diversité, où chacun peut être lui-même tout en étant non seulement toléré, mais respecté, célébré et pleinement accepté. Sadiq Khan, maire de Londres

L’atmosphère régnant sur la ville est clairement illustrée par la réaction de l’ambassade américaine à Londres: celle-ci recommande à ses ressortissants de demeurer discrets durant le passage de leur président, dans l’éventualité où les manifestations organisées contre lui seraient marquées par des violences.

En réalité, cet événement d’une remarquable sobriété se déroulera presque entièrement à huis clos. Point particulièrement remarquable, le chef de l’État américain évitera presque tout passage dans le centre-ville —sans doute par peur d’être confronté à environ 50 000 opposants, pour ne pas citer l’énorme ballon le représentant en couche-culotte qui flottera au-dessus de Westminster.

La réticence du président Trump à s’aventurer sur son territoire peut être considérée comme une victoire pour Sadiq Khan. À tout le moins, elle lui convient tout à fait.

Tout maire de Londres a à la fois l’opportunité et l’ambition de prétendre un jour aux plus hautes fonctions de l’État — mais à l’heure où le Parti travailliste, sous l’influence de son chef Jeremy Corbyn, prend un virage de plus en plus à gauche, un politicien à tendance plus centriste tel que Sadiq Khan pourrait avoir bien du mal à faire son chemin jusqu’au 10, Downing Street.

Dans un tel jeu politique, s’affirmer comme une personnalité très en vue est un atout essentiel, et une petite confrontation avec l’homme le plus puissant (et, pour beaucoup, le plus détesté) du monde ne peut pas faire de mal à son image de marque. Le contraste entre les deux est frappant: là où Donald Trump a passé sa campagne à diaboliser les immigrés et à qualifier les Mexicains de “violeurs”, Sadiq Khan n’a jamais manqué une occasion de rappeler que son père était un conducteur de bus pakistanais.

Son ascension à un poste si convoité — encore occupé, pendant les Jeux olympiques de 2012, par Boris Johnson, défenseur du Brexit et plutôt favorable à Donald Trump — n’avait rien d’une évidence en 2005, lorsqu’il n’était qu’un simple député de la circonscription de Tooting.

Après la défaite travailliste aux élections législatives de 2010, Sadiq Khan s’est trouvé condamné à se languir sur les bancs de l’opposition. Candidat à l’investiture de son parti pour la mairie de Londres, il était d’abord considéré comme un simple outsider face à Tessa Jowell, célèbre pour son rôle clé dans l’attribution des Jeux olympiques à la capitale.

Après sa victoire du sein de son camp, son adversaire conservateur Zac Goldsmith — un millionnaire très proche de David Cameron, alors Premier ministre — a fait un bien mauvais calcul: celui qu’une nette partie de la population reculerait à la perspective de voir sa ville dirigée par un musulman. Il s’est donc efforcé de salir la réputation de son opposant par des accusations de sympathies avec la mouvance islamiste, aujourd’hui reconnues comme une pure invention.

Loin de servir l’objectif voulu, ces coups bas ont joué en faveur de leur cible, participant à sa victoire aussi inattendue qu’écrasante.

Le candidat du parti Britain First — collectif ouvertement raciste dont Donald Trump reprendrait ensuite certaines thèses via une série de retweets, s’attirant un énième scandale — a tourné le dos au nouveau maire lors de l’annonce du résultat.

Toby Melville / Reuters

 

Mais on ne peut affirmer que cette élection ait sonné le début d’une grande période de changement et d’essor pour Londres.

Le vote du Brexit est tombé à peine un mois plus tard, et en à peine plus d’un an, la ville a été endeuillée par deux terribles attentats terroristes et l’incendie de la tour Grenfell, avec ses 72 victimes.

C’est au cours de cette difficile période que le maire s’est pour la première fois confronté à Donald Trump. Leur premier conflit est survenu suite à l’attentat du pont de Westminster, au cours duquel un terroriste a renversé de nombreux passants et poignardé un policier désarmé, laissant un bilan de six morts.

Le président américain a alors tiré parti de cette tragédie pour vanter son projet de décret anti-immigration visant plusieurs États à majorité musulmane.

“Nous devons être intelligents, vigilants et durs”, affirmait-il sur Twitter. “Nous avons besoin que les tribunaux nous rendent nos droits. Nous avons besoin du décret anti-immigration pour nous assurer un niveau de sécurité renforcé!”

Quelques semaines plus tard, le maire lui répondait:

S’il se rend à Londres, le président Trump découvrira une ville d’ouverture et de diversité, qui a toujours préféré l’unité à la division et l’espoir à la peur. Il verra également, sans nul doute, que les Londoniens tiennent profondément à leurs valeurs progressistes, et particulièrement à la liberté d’expression.

Puis est arrivé l’attentat du London Bridge, où des islamistes ont tué huit personnes et blessé des dizaines d’autres.

La réaction de Donald Trump: une attaque brutale envers Sadiq Khan, accusé de préférer un discours “politiquement correct” à une action ferme.

Nous devons cesser d’être politiquement corrects, et nous consacrer vraiment à assurer la sécurité de notre population. Si nous ne nous montrons pas plus intelligents, les choses ne feront qu’empirer.

 Au moins 7 morts et 48 blessés dans un attentat terroriste et le maire de Londres affirme qu’il n’y a “pas de raison de s’alarmer!”

“Vous avez remarqué qu’on n’est pas en train de débattre des armes à feu? C’est parce qu’ils se sont servis de couteaux et d’une voiture”!

Face à ces nouvelles affirmations, un porte-parole de Sadiq Khan a déclaré que le maire avait “mieux à faire que de répondre à des tweets mal informés où Donald Trump sort délibérément ses paroles de leur contexte”.

Une réaction que le président américain a ensuite qualifiée de “pathétique”.

La tension est de nouveau montée entre nombre d’hommes politiques britanniques et Donald Trump lorsque ce dernier n’a pas hésité à partager trois vidéos anti-islam diffusées par le mouvement extrémiste Britain First.

 

Twitter

 

Le président américain s’est ensuite dit “prêt à s’excuser” pour ces publications, où figuraient de nombreuses affirmations erronées et particulièrement clivantes sur la communauté musulmane.

Le maire de Londres a été parmi les premiers à réagir:

Le président Donald Trump a utilisé Twitter pour mettre en avant un répugnant mouvement extrémiste, dont l’unique raison d’être est de semer la division et nourrir la haine au sein de notre pays. Il devient de plus en plus clair que toute visite officielle de sa part au Royaume-Uni ne serait pas la bienvenue.

Ces événements ont également instauré un rapport de confrontation entre les deux hommes, si bien qu’à l’émergence du débat sur la politique consistant à séparer les enfants de clandestins de leurs parents à la frontière mexicaine, Sadiq Khan n’a pas tardé à interpeller Donald Trump sur le sujet:

Le rejet des réfugiés et des migrants issus de certains pays par le président Donald Trump est aussi honteux que cruel.

Mais le président américain n’est pas le seul homme politique de premier plan à reprocher au maire des événements survenus à Londres.

Face au récent pic des homicides dans la capitale britannique —qui a même dépassé la proportion de meurtres dans la ville de New York, au printemps—, l’animateur de télévision Piers Morgan compte parmi les personnalités reprochant à Sadiq Khan son absence de déclaration publique après un jour férié particulièrement meurtrier, un peu plus tôt dans l’année.

Finalement confronté aux questions des journalistes, le maire s’est efforcé de détourner les accusations en s’en prenant aux coupes du gouvernement dans le budget de la police — une démarche jugée choquante par les familles des victimes, même s’il a finalement annoncé une série de mesures en faveur de l’augmentation du budget de la police.

Pour d’autres, son traitement de la crise du logement est loin d’être à la mesure des changements radicaux qui s’imposent: la pénurie chronique d’habitations salubres a été tragiquement mise en exergue par l’incendie de la tour Grenfell.

Sadiq Khan, qui rédigerait parfois lui-même ses communiqués de presse, a remporté sa victoire électorale en se présentant comme un ardent défenseur de la justice et de l’égalité. Sa promesse d’aider des promoteurs à bâtir “au minimum” 80 000 nouveaux logements sociaux par an lui avait valu le vote de nombreuses familles en difficulté.

Mais à la moitié de son mandat et alors que la demande atteint des sommets, il a reçu des critiques quant à la lenteur de la mise en œuvre de ses promesse électorales. En 2017-2018, la construction de 12.500 nouveaux logements “abordables” a toutefois commencé, et l’élu a également lancé un plan pour construire 10.000 logements sociaux dans la capitale d’ici à 2022.

Sadiq Khan s’était aussi engagé à geler les tarifs des transports en commun et à investir dans les infrastructures à travers l’organisme public consacré. Mais aujourd’hui, les embouteillages sont en hausse — un mauvais présage pour d’autres importants engagements touchant à la pollution de l’air —, et les projets d’amélioration du réseau prennent du retard.

Tout cela ne passe pas inaperçu auprès de la population: un sondage effectué au mois de mai signale une chute de 9% de sa popularité.

Mais Sadiq Khan garde un atout majeur: son image de progressiste pro-européen, dans une ville où le vote anti-Brexit a localement atteint les 70%.

Le maire de Londres comme le président des États-Unis semblant bien décidés à être candidats à leur propre succession, l’histoire de ces deux figures est encore loin d’être terminée.

 

 

Cet article, publié à l’origine sur le HuffPost britannique, a été traduit par Guillemette Allard-Bares pour Fast For Word.

HuffPost UK

Source  : HuffPost Maghreb Maroc

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