FRANCE : Et si le mot « race » était utile dans la Constitution ?

Bien sûr, la science démontre qu’il n’existe pas de races humaines. Mais le racisme, lui, est une réalité : supprimer ce mot, n’est-ce pas se priver d’une arme juridique ?

 

C’est un détail perdu dans un marathon législatif, celui de la révision constitutionnelle dont l’examen par la commission des lois a démarré cette semaine à l’Assemblée nationale. Mais le diable, on le sait, se cache dans les détails. Faut-il, donc, supprimer le mot « race » de la Constitution ? En mars 2012, le candidat socialiste François Hollande s’y était engagé.

Restée lettre morte faute de majorité au Congrès, la suppression vient d’être votée à l’unanimité par les députés, mercredi 27 juin, en commission, avant d’être débattue en séance à partir du 10 juillet. Le mot « race » serait ainsi ôté de l’article 1 de la Constitution, qui dispose que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». « Laisser “sans distinction de race”, ça signifierait qu’il y en a plusieurs », avait justifié la veille, sur Europe 1, le patron des députés La République en marche (LRM) Richard Ferrand.

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Initiative heureuse ? Fausse bonne idée ? La question divise de longue date les militants de la lutte antiraciste, les historiens et les sociologues. Sur le plan biologique, la cause est entendue : instaurée en 1758 par le naturaliste Carl von Linné pour catégoriser les individus selon la couleur de leur peau, la notion de races humaines a été balayée, tant par la théorie darwinienne que par la biologie moléculaire. Nous avons tous en commun 99,9 % de notre patrimoine génétique, l’espèce humaine est unique et indivisible.

Mais réduire le terme à la biologie, ce serait oublier la dimension sociale de la race et ses redoutables corollaires : « inférieure » et « supérieure ». L’esclavage, le colonialisme, l’eugénisme et l’extermination des juifs. Comment, dès lors, s’étonner que le mot soit devenu tabou ?

Suppression saluée par Christiane Taubira

 

Tabou, mais essentiel. Car c’est précisément pour condamner de façon universelle les théories raciales qui fondaient le nazisme que ce terme a été introduit dans de nombreux textes européens, parmi lesquels la Constitution de 1946.

Ce qui explique en partie qu’une proposition de loi tendant à ôter le mot « race » de notre législation, adoptée en première lecture, le 16 mai 2013, par l’Assemblée nationale, attende toujours d’être inscrite à l’ordre du jour du Sénat.

Saluée par Christiane Taubira comme un acte ­ « nécessaire, noble, fort, dans une période où l’on voit une résurgence, une désinhibition du rejet de l’autre », la suppression du mot de nos textes de loi pourrait en effet, aux yeux de beaucoup, fragiliser l’arsenal juridique antiraciste.

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« Le droit est une arme, un outil dont on dispose pour agir sur la société. C’est pourquoi il faut conserver ce mot dans notre Constitution, comme une condamnation solennelle des distinctions fondées sur la catégorie imaginaire de la race », estimait alors Pap Ndiaye, professeur d’histoire nord-américaine à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Il rejoint en cela le point de vue défendu en mars 1992 par le philosophe Etienne Balibar, qui estimait, à l’occasion d’un colloque intitulé « Le mot “race” est-il de trop dans la Constitution française ? », qu’il s’agirait ainsi de « supprimer “symboliquement” l’une des expressions et des condamnations majeures de la discrimination et l’un des moyens de fait de sa répression ».

Bonne conscience

 

Pascal Blanchard, docteur en histoire à l’université Panthéon-Sorbonne et spécialiste de l’empire colonial français, a changé d’avis sur cette question. Quand nous l’avions interrogé en 2013, il estimait que le mot « race » n’avait plus rien à faire dans la Constitution. « Je pense aujourd’hui que le faire disparaître de notre vocabulaire public n’aura aucune vertu, ni d’autre résultat que donner bonne conscience à certains, comme si les discriminations raciales n’avaient jamais existé. Croire que cette mesure va nous permettre de mieux vivre ensemble, c’est de l’utopie », dit-il.

L’historien remarque par ailleurs que « nos précautions oratoires françaises sont incompréhensibles dans le monde de la science internationale », et que le mot qu’emploient ses collègues de Johannesburg, New Delhi ou Chicago pour évoquer la question coloniale ou celle de l’esclavage, c’est le mot « race ».

Il est vrai que, dans les pays anglo-saxons, la question ne se pose même pas. Le terme figure en bonne place dans le 15amendement de la Constitution américaine sans susciter le moindre débat. Et les Britanniques se sont dotés sans barguigner, dès 1965, d’un « Race Relations Act » pour régir la lutte contre les discriminations raciales.

Catherine Vincent

Source : Le Monde

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