Kofi Annan : « La morsure de serpent est une grande crise de santé publique ignorée »

Le venin de serpent tue cinq fois plus que la dengue, et ce dans la quasi-indifférence générale. Il faut mobiliser les laboratoires pour améliorer la recherche et rendre les antivenins accessibles aux plus pauvres, plaide le Prix Nobel de la paix Kofi Annan.

Il y a quelques années, un médecin, au Ghana, a attiré l’attention de mon épouse, Nane, et de -moi-même sur l’impact dévastateur que les morsures de serpent avaient sur sa communauté. Nous avons été choqués d’apprendre que ces morsures de serpent tuent entre 81 000  et 138 000 personnes dans le monde chaque année, et que beaucoup d’autres souffrent de déficiences mentales et physiques permanentes. En comparaison, la fièvre de la -dengue, transmise par les moustiques, fait environ 20 000 morts par an. Malgré son énorme impact, la morsure de serpent est la plus grande crise de santé publique dont vous n’avez probablement jamais entendu parler. A ce jour, elle reste largement ignorée.

La morsure de serpent est essentiellement une maladie de pauvres, -affectant principalement les popu-lations vivant dans certaines des -communautés les plus rurales d’Afrique subsaharienne, d’Asie, d’Océanie et d’Amérique latine. Les petits agriculteurs, leurs familles, les bergers et les personnes déplacées sont -particulièrement vulnérables. Ces groupes manquent souvent des -protections les plus élémentaires, comme des chaussures à l’épreuve des -serpents ou des moustiquaires. Même si la -victime survit, elle peut être incapable de subvenir aux -besoins de sa -famille. Par conséquent, les enfants sont souvent -envoyés travailler au lieu d’aller à l’école, et les proches sont forcés de partager leurs quelques biens avec les familles touchées.

De plus en plus de victimes

 

Dans de nombreuses régions -éloignées, le manque de moyens de transport et le mauvais état des routes entravent le traitement rapide des victimes de morsures de serpent. Même lorsque celles-ci parviennent à l’hôpital, elles ne peuvent que constater le manque de personnel qualifié ou de médicaments pour les soigner. Ces -défis chroniques sont aggravés par la pénurie de sérum antivenimeux sûr, efficace et abordable dans les régions du monde où le -risque de morsures de serpent est -endémique. La décision prise par certains -fabricants, au cours des dernières -années, de cesser -complètement la -production et la -propagation simultanée d’antivenins de mauvaise qualité ont aggravé le problème.

Mais il y a de bonnes nouvelles : le mois dernier, l’Assemblée mondiale de la santé – l’organe décisionnel le plus important de l’Organisation mondiale de la santé – a adopté une résolution historique appelant à des mesures immédiates et efficaces pour faire face à la crise des morsures de -serpent. Cela fait suite à la décision prise en  2017 par l’Organisation mondiale de la santé d’ajouter la morsure de serpent à la liste des maladies -tropicales négligées de l’organisation et de créer un groupe de -travail chargé d’élaborer une feuille de route globale. Ce sont des étapes importantes, mais il reste encore beaucoup à faire.

Les pays touchés, leurs partenaires institutionnels et toutes les parties prenantes doivent de toute urgence mobiliser des fonds pour permettre aux systèmes de santé publique de mettre en œuvre des programmes pouvant prévenir et traiter les morsures de serpent.

La production d’antivenimeux n’a pratiquement pas changé depuis le XIXe siècle. Si nous n’appliquons pas de nouvelles technologies pour -améliorer les antivenins en réduisant leurs coûts, les gens continueront à mourir. Une coopération avec les -fabricants peut garantir que les -progrès de l’efficacité des antivenins n’affectent pas leur accessibilité pour les plus pauvres et les plus vulnérables. J’ai vu comment cela peut être réalisé en tant que secrétaire général des Nations unies, quand j’ai encouragé les grandes sociétés pharmaceutiques à baisser les prix des médicaments contre le sida et à partager les résultats de leurs recherches afin de garantir l’accès à des médicaments -vitaux disponibles dans les pays en développement à des prix abordables. Nous pouvons tirer des leçons de cette expérience et progresser rapidement, tout en ouvrant la voie à des -solutions durables en développant la capacité de production locale dans les régions touchées.

Enfin, il existe un besoin critique de meilleures données sur le fardeau réel des morsures de serpent dans le monde. Les experts prédisent déjà que le nombre réel de victimes -pourrait être beaucoup plus élevé et qu’un -investissement accru dans les -données augmentera notre capacité à -cibler les ressources et à élaborer des programmes et des politiques éclairés.

Je crois fermement que l’envenimation des morsures de serpent pose un sérieux problème de santé publique. Mais c’est un défi qui peut être surmonté. C’est une crise oubliée et nous devons prendre des mesures immédiates, solides et soutenues pour y faire face. En travaillant ensemble pour lutter contre les morsures de -serpent, nous pouvons sauver la vie de dizaines de milliers de nos semblables dans certaines des régions les plus pauvres et les plus marginalisées de notre monde.

 

KOFI Annan

Source : Le Monde

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