Le professeur Ogobara Doumbo, figure de la lutte contre le paludisme, est mort

Le chercheur malien, fondateur du Malaria Research and Training Center de Bamako, est décédé le 9 juin à Marseille.

 

Le monde de l’infectiologie est en deuil. Samedi 9 juin, le professeur Ogobara Doumbo, médecin-chercheur malien de renommée mondiale, est mort à l’âge de 63 ans à l’hôpital de la Timone, à Marseille. Il y était hospitalisé à la suite des complications d’une intervention chirurgicale réalisée au Mali. « Nous sommes tous orphelins », « le monde entier pleure le professeur Doumbo », témoignaient ses équipes et ses partenaires, sous le choc.

« Ogo », comme le surnommaient les soldats de la lutte contre les maladies infectieuses, était respecté pour son engagement contre le paludisme. « Pour moi, le paludisme a toujours été un drame. Cette maladie tue encore, surtout les enfants. Ceux qui survivent peuvent souffrir de graves séquelles neurologiques », confiait-il en mai au Monde Afrique. Près d’un demi-million de personnes en meurent chaque année – dont un jeune enfant toutes les deux minutes.

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Le 15 juin, le Mali rendra un hommage national à « cette grande, cette très belle figure », selon Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), en France. Ogobara Doumbo était « un des seuls chercheurs d’Afrique en biomédecine à avoir cette envergure internationale », dit-il : « Parti de rien, il a construit un très riche réseau de recherche et de prise en charge du paludisme ». Un modèle « unique en Afrique », juge Jean Gaudart, spécialiste en santé publique à l’université d’Aix-Marseille.

« Cercle vertueux »

 

« Si on veut réellement combattre le paludisme, il faut revenir dans les villages », disait Ogobara Doumbo. En 1992, cet « enfant de la brousse », formé à la médecine et à la science à Bamako, en France et aux Etats-Unis, a cofondé le Malaria Research and Training Center (MRTC), qu’il dirigeait depuis 2001. Depuis, ce centre est devenu une référence mondiale. « Ce qui fait notre force, c’est notre présence sur le terrain, notre travail avec les communautés des villageois et notre souci de répondre aux besoins quotidiens de la population », expliquait-il. Depuis, ce modèle a essaimé au Sénégal, au Burkina Faso, au Niger…

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Le MRTC se fonde sur deux piliers : un centre de recherche de très haute technologie, basé à Bamako, et une dizaine de sites répartis sur tout le territoire malien. « Nous n’avons jamais abandonné aucun de nos villages, même à Kidal, malgré la menace terroriste », se réjouissait « Ogo ». Quand ses équipes s’implantent dans un site, c’est « toujours dans une vision à long terme ». Elles installent l’eau et l’électricité, une école, des routes et une connexion Internet. « Deux ans après notre implantation dans un village, plus aucun enfant ne meurt de paludisme, disait-il encore. La population le constate et cela renforce nos liens. C’est un cercle vertueux»

« Tous nos travaux portent sur des personnes ; lorsque vous travaillez sur des personnes, vous devez les traiter avec humanisme et dignité. C’est une des grandes marques du professeur Doumbo », a déclaré à la BBC, le lendemain de sa disparition, Abdoulaye Djimdé, du MRTC.

Rigueur et humilité

 

Comment ce fils d’une lignée de paysans dogon, né dans un village perdu de l’est du Mali, est-il parvenu à plaider « sa » cause face au président américain Bill Clinton, aux époux Bill et Melinda Gates ou au roi d’Espagne ? Retour sur une trajectoire de vie éclairée par la grâce.

Il naît officiellement le 1er janvier 1955. « Mais était-ce réellement 1955 ou 1956 ? Et quel était le jour exact ? On l’ignorait, lui s’en amusait », témoigne Jean Gaudart. Un instituteur le repère, « Ogo » entame des études de médecine à Bamako. Il y rencontre le professeur Philippe Ranque, parasitologue, qui le poussera à compléter sa formation en sciences, d’abord à Marseille – sa « seconde ville » – puis aux Etats-Unis. Il étudiera ainsi la parasitologie, l’épidémiologie, les statistiques, l’entomologie, l’anthropologie… « Il avait très finement analysé les différents contextes de la recherche biomédicale en Europe et aux Etats-Unis », observe Stéphane Ranque, le fils de son mentor, qui a longtemps habité avec lui à Bamako : « Il était mon grand frère. »

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« J’ai été formé avec l’argent du contribuable, racontait « Ogo ». Ma seule ambition, à mon retour au Mali, a été d’implanter la recherche dans différents villages et de l’utiliser comme levier de développement» Au départ, le MRTC ne compte que deux scientifiques. Il mise aujourd’hui sur une cinquantaine de chercheurs formés en France, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, au Canada… « C’est le seul endroit où 95 % de ceux qui ont été formés à l’étranger, avec le soutien du gouvernement, reviennent travailler dans leur pays d’origine. Nous en sommes à la cinquième génération de chercheurs formés. Tous vivent de leur science, tous ont un plan de carrière au Mali », soulignait-il.

« Il m’a appris à travailler durement, à avoir l’esprit d’équipe et une rigueur scientifique et éthique dans mes recherches », indique Issaka Sagara, responsable d’un des sites du MRTC, à Bancoumana. Tous saluent son humilité, son humanité. « Il était extrêmement bienveillant, avec une pensée toujours positive », affirme Stéphane Ranque.

Optimiste invétéré

 

Le MRTC s’attachera à décrypter le cycle de l’infection par le parasite Plasmodium falciparum, son épidémiologie, sa résistance aux traitements, les réponses immunitaires des personnes infectées, mais aussi à développer de nouveaux traitements et vaccins. Il accompagnera aussi le Programme national de lutte contre le paludisme du Mali.

Parmi ses succès marquants figurent la confirmation de l’intérêt des moustiquaires imprégnées d’insecticide, ainsi que la démonstration de l’efficacité d’une stratégie de prévention du paludisme chez les moins de 5 ans conçue par des équipes du Sénégal et le MRTC. Elle se fonde sur un « traitement préventif intermittent » administré systématiquement aux jeunes enfants durant la saison des pluies. Ce traitement, qui fait chuter les complications de 60 à 70 % et la mortalité de 50 %, a été recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2012.

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Honoré par de nombreux prix – dont le prix Christophe-Mérieux de l’Institut de France en 2007 et le Prix international de l’Inserm en 2013 –, Ogobara Doumbo était chercheur au sein d’une unité de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) à Aix-Marseille et professeur associé à l’université Tulane, aux Etats-Unis. « Il établissait des ponts de recherche de très grande qualité entre le Mali, la France et les Etats-Unis », assure Jean-François Delfraissy. « Au fond, nous avons montré qu’il est possible de faire de la recherche compétitive en santé dans un pays d’Afrique francophone dit “pauvre” », relevait Ogobara Doumbo.

« Avec les outils dont nous disposons, l’élimination du paludisme est à notre portée à l’horizon des années 2030 », voulait croire cet optimiste invétéré. D’aucuns jugeaient cet objectif de l’OMS quasi intenable ; pas lui. Et comme tous les visionnaires, « Ogo » se souciait de la pérennisation de ses combats. « Il a formé une équipe solide, à maturité, qui va pouvoir continuer l’œuvre qu’il a démarrée, avec l’aide des partenaires internationaux. C’est bien le moins que nous devons à notre maître », estimait auprès de la BBC le professeur Djimdé. La relève est assurée.

Florence Rosier

Source : Le Monde

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