Quand MBS a peur que les femmes activistes lui fassent de l’ombre

Sept militants en faveur des droits des Saoudiennes ont été arrêtés la semaine dernière.

 

Un mois à peine avant l’entrée en vigueur de l’autorisation pour les femmes de conduire en Arabie saoudite, la nouvelle fait tache. Alors que le prince héritier Mohammad ben Salmane cherche à moderniser l’image du royaume à l’international avec le projet Vision 2030, sept activistes œuvrant pour la défense des droits des femmes ont été arrêtés mardi dernier. Ces derniers « ont tenté de porter atteinte à la sécurité et la stabilité du royaume (…) et de saper l’unité nationale », ont déclaré les autorités saoudiennes. À cet égard, les personnes impliquées sont accusées d’avoir eu « des contacts suspects avec des parties étrangères », d’avoir « recruté des travailleurs sur des sites gouvernementaux sensibles et fourni un soutien financier à des éléments hostiles à l’étranger », rapporte l’agence de presse saoudienne SPA, en citant un porte-parole des services de sécurité saoudiens.

Sur la liste des individus arrêtés, qui n’a été révélée que plus tard, figurent des femmes connues pour leur engagement dans la lutte pour les droits des Saoudiennes, tant sur la scène nationale qu’internationale : Aziza el-Youssef, Madiha al-Ajroush, Aïsha el-Maenna, Loujain el-Hathloul et Iman el-Najfan. À leurs côtés, deux hommes défendant la cause féministe dans le royaume wahhabite ont également été mis en détention : Mohammad Rabieh et Ibrahim al-Modaimigh, l’avocat de Loujain el-Hathloul.

Le timing de ces arrestations est loin d’être anodin, alors que ces personnes ont avidement défendu la réforme du système de tutelle masculine et notamment le droit de conduire pour les femmes. « Cela fait partie d’une campagne de dénigrement de la part de MBS pour obtenir le plus de crédit possible pour ces réformes », estime Rothna Begum, chercheuse sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord auprès de la division Droits des femmes à Human Rights Watch, interrogée par L’Orient-Le Jour. L’objectif est « de montrer que MBS est le seul réformateur et de faire taire » les activistes, poursuit-elle. L’autorisation pour les femmes de conduire, qui doit entrer en vigueur le 24 juin prochain, va attirer les médias internationaux. Il semble que le prince souhaite réduire au silence toute parole différente du discours officiel. Face à la répression menée par les autorités saoudiennes, bien peu d’informations ont filtré sur le déroulement de ces arrestations ou sur les conditions de détention des activistes. « Beaucoup d’entre eux ont été arrêtés à leur domicile mais ce n’est pas très clair, les familles n’osent pas parler », explique Mme Begum.

(Lire aussi : Pour les Saoudiennes, « le temps du silence est fini »)

La fin du féminisme en Arabie saoudite

L’intimidation des activistes n’est pas une nouveauté pour le régime saoudien. Déjà en septembre dernier, des activistes avaient indiqué à HRW que « la cour royale a appelé les activistes proéminents… et les a avertis de ne pas parler aux médias », le jour même de la publication du décret levant l’interdiction de conduire pour les femmes. L’une des activistes mises en détention, Loujain el-Hathloul, a par ailleurs déjà été détenue en 2014 après avoir tenté de rentrer en voiture en Arabie saoudite en provenance des Émirats arabes unis, ainsi qu’en juin dernier, sans que les raisons de son arrestation aient été clairement communiquées. « Au lieu de tenir sa promesse d’une Arabie saoudite plus tolérante, le gouvernement fait voler en éclats toute idée d’engagement sincère envers l’égalité et les droits fondamentaux », avait alors déclaré Samah Hadid, directrice des campagnes pour le Moyen-Orient à Amnesty International.

La stratégie du gouvernement saoudien semble cependant avoir pris un nouveau tournant. Les médias prosaoudiens s’en sont donné à cœur joie, accusant les activistes arrêtés de « trahison ». Le quotidien al-Jazirah a titré en une samedi « Votre trahison a échoué » au-dessus des photos de Loujain el-Hathloul et Aziza el-Youssef. Un hashtag en arabe signifiant « les agents des ambassades » étrangères a également été partagé sur le réseau social Twitter ainsi qu’une image où les visages des activistes sont tamponnés du mot « traître » en rouge. « C’est effrayant, ce sont des tactiques que nous n’avons pas vues par le passé, de nombreuses personnes ayant été arrêtées auparavant mais pas de cette manière », souligne Mme Begum. « Nous avons aussi remarqué l’utilisation de nombreux robots relayant ce hashtag » sur Twitter par exemple, ajoute-t-elle. « De plus en plus de femmes activistes sont en exil aujourd’hui », dit-elle avant de préciser que si la répression continuait, « cela pourrait signifier la fin du féminisme en Arabie saoudite ».

 

Julie KEBBI
Source : L’Orient Le Jour (Liban)

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