Le misogyne, cet autre terroriste

Rapport d’étonnement. Aux Etats-Unis et au Canada, des hommes ne parvenant pas à trouver de partenaires sexuels rejoignent des communautés en ligne, qui alimentent leur rancœur. Alek Minassian, qui a tué dix personnes à Toronto le 23 avril, était l’un d’eux.

Le 23 avril, en plein centre-ville de Toronto, Alek Minassian, 25 ans, a fauché avec une fourgonnette vingt-cinq personnes, en tuant dix, principalement des femmes. Juste avant l’attaque, il avait posté sur Facebook un message annonçant : « La rébellion incel a débuté ». Un « incel », dans le monde anglo-saxon, est un involuntarily celibate, un « célibataire involontaire » : un homme qui n’a aucun succès auprès des femmes et finit par les détester. Ces dernières années, les incels se sont organisés en communautés ouvertement misogynes.

« Nouveau saint »

 

Au Canada comme aux Etats-Unis, les incels se retrouvent sur des sites de discussion comme Incels.me, interdit aux femmes, sur des groupes de la messagerie Discord, ou sur les forums 4chan et 8chan – sans oublier les nombreux Tumblr porno montrant des scènes de sadisme et de viol, sur le thème Ihatefeminist, Destroythatbitch, etc. En novembre 2017, le site communautaire Reddit interdisait pour misogynie radicale un groupe ­incel de 40 000 personnes. Sur ce groupe, qui se présentait comme un ­ « soutien » pour les hommes en manque de relations amoureuses et sexuelles, les messages ont vite déraillé, traitant les femmes ­d’« ordures qui utilisent les hommes », d’« incarnation du mal », de « salopes », puis cautionnant et préconisant le viol pour se satisfaire.

L’acte terroriste de Minassian a été soutenu par les incels les plus virulents, qui le célèbrent comme un « nouveau saint » de leur mouvement. « Répandez ce nom, parlez de son sacrifice pour notre cause, adorez-le car il a donné sa vie pour notre avenir », dit un post sur Incel.me. Un autre se demande si Minassian n’a pas répondu à un appel lancé en mars, signé BlkPillPres, où on lisait : « Je veux voir des intoxications alimentaires de masse, peut-être une bombe ou deux, ou j’espère que quelqu’un finira par utiliser un camion pour renverser des femmes pendant un défilé scolaire ou quelque chose du genre. »

Les incels radicaux célèbrent un autre terroriste : le tueur de masse Elliot Rodger, qui a abattu le 23 mai 2014 six personnes et en a blessé sept autres à Isla Vista, en Californie. La veille de son crime, il avait déposé plusieurs vidéos sur YouTube où il se plaignait d’être puceau. Dans l’une d’elles, il menaçait de massacrer ­ « toutes les salopes blondes, chouchoutées et snobs » qu’il verrait. Dans son texte posté sur Facebook, le tueur de Toronto lui rend hommage : « Que tous saluent le ­Suprême Gentleman ­Elliot Rodger ! »

Idéologie

 

Elliot Rodger, Alek Minassian, tout comme Chris Harper-Mercer, le tueur de l’Umpqua Community College de ­Roseburg, dans l’Oregon, en 2015 (9 morts), qui se plaignait d’être vierge et admirait Rodger, ont été présentés dans les médias comme des psychopathes. La journaliste et essayiste féministe américaine Jessica Valenti n’est pas d’accord. Elle préfère parler de « terrorisme misogyne ». Dans une tribune publiée le 26 avril dans le New York ­Times, elle écrit : « Malgré de nombreuses preuves qui établissent un lien entre ces tueurs de masse et les groupes misogynes radicaux, nous qualifions ces attaquants de loups solitaires – passant ainsi sous silence la façon dont la peur et la colère de ces hommes ont été délibérément cultivées et nourries sur Internet. »

Jessica Valenti est en butte aux attaques des communautés misogynes d’Internet depuis 2004, année où elle a lancé le blog Feministing. En 2011, elle a dû quitter sa maison avec sa petite fille sur les conseils des forces de l’ordre. Elle n’est pas, tant s’en faut, la seule féministe à avoir été harcelée sur le Net par des mouvements misogynes, ­masculinistes ou incels. Selon elle, on peut parler de terrorisme dès lors que se développe une ­ « idéologie » construite, ciblant une population désignée, relayée par des groupes de parole haineux, du harcèlement, des passages à l’acte et des actions de terreur.

Elle n’est pas la seule à parler de cette nouvelle misogynie porteuse d’un discours de haine, avec « une propension à la violence réelle » – à la terreur. Interrogée par le quotidien canadien La Presse, le 26 avril, Margaux Bennardi, intervenante psychosociale au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, parle d’une « idéologie » misogyne, car associant « la construction identitaire du rôle masculin », « conçue comme une puissance », et une volonté « de demeurer en contrôle » du relationnel amoureux et sexuel, « contrôle que les femmes ont volé ». La pratique suit : « Pour le reprendre, on utilise la violence pour montrer la puissance. »

Aux Etats-Unis, le Southern Poverty Law Center, qui analyse et surveille les associations prônant la haine, a ajouté en avril les groupes misogynes, masculinistes et incels à sa liste, constatant leurs propos accablant les femmes, leurs appels à la violence systématique et leur banalisation du viol.

Frédéric Joignot

(Photo : Rassemblement à Toronto en hommage aux victimes d’Alek Minassian, dimanche 29 avril. Creative Touch Imaging Ltd/NurPhoto)

Source : Le Monde (Supplément Idées)

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