Sherpa dans un panier de crabes mauritanien

L’ONG est accusée par Nouakchott de connivence avec un opposant politique qui est aussi l’un de ses donateurs.

 

Cette semaine, Interpol va devoir statuer sur la demande d’extradition d’un opposant à un régime en place. Du grand classique, opposant au cas présent le président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, au pouvoir depuis 2009, à l’un de ses contempteurs, Mohamed Ould Bouamatou, réfugié au Maroc puis en Europe. Mais à tort ou à raison, le statut de l’ONG Sherpa, fondée par l’avocat William Bourdon, très active en matière de «biens mal acquis» par des potentats africains, s’est invité dans le débat.

«Néocolonialisme»

Homme d’affaires local ne se désintéressant pas de la politique, Bouamatou est un client personnel du cabinet Bourdon & Associés «pour un dossier commercial classique» au sujet de Mauritania Airways, bémolise l’avocat auprès de Libération. Mais Bouamatou est aussi l’un des donateurs de l’ONG Sherpa, laquelle, en 2013 et 2017, a publié deux rapports sévères sur la Mauritanie, qui pointaient les dérives et la corruption du régime du président Abdel Aziz. Accusant Sherpa et son fondateur de «néocolonialisme», voire de «négrophobie», l’un des fils du dignitaire, Jemal Taleb, s’est dévoué pour porter plainte à sa place. Celui qui se présente volontiers dans les médias comme l’avocat du régime n’est pourtant pas inscrit aux barreaux de Paris ou de Nouakchott, mais bénéficie plus prosaïquement du titre d’ambassadeur itinérant du président mauritanien – une «fonction purement honorifique et bénévole», tient-il à préciser.

Petite histoire dans l’histoire : en avril 2017, un collaborateur de l’opposant Bouamatou est interpellé à la frontière entre la Mauritanie et le Sénégal. En sus des douaniers, il dit avoir vu débarquer la «police politique du régime» qui a récupéré ses ordinateurs ou téléphones, d’où seront extraits des mails échangés entre William Bourdon et Mohamed Ould Bouamatou, le premier réclamant 100 000 euros au second pour les «frais d’investigation» de Sherpa, et dont le JDD fera son miel en janvier, dans un article plutôt à charge. Un autre grand classique, visant à décrédibiliser les ONG en leur prêtant de noirs desseins liés à leurs sponsors financiers (lire ci-contre).

Dans une récente plainte pour vol et violation de correspondance, William Bourdon dit sa certitude que «la personne qui exploite les documents hackés et les diffuse auprès de certains médias français» serait Jemal Taleb – pour une fois, le corbeau aurait ainsi un nom. Et de citer le témoignage du responsable d’une autre ONG : «Des journalistes m’ont indiqué avoir été approchés par Jemal Taleb avec des documents dans le but de discréditer Me Bourdon et M. Bouamatou.»

Fuites médiatiques

Chaque journaliste est évidemment libre d’entretenir des contacts avec n’importe quelle source et de protéger son anonymat. Interrogé par Libération, Jemal Taleb nie tout en bloc : «Je ne suis ni voleur ni receleur de documents qui circulent dans la nature. La Mauritanie a saisi des pièces, elle n’a nullement besoin de moi pour les faire fuiter.»

Hasard (ou pas) du calendrier, Interpol aura bien du mal à démêler ce panier de crabes où pullulent coups bas en coulisse et autres fuites médiatiques. Avant de statuer, il ne sera pas inutile de rappeler cet autre rapport sur la Mauritanie, émanant non pas d’une ONG mais du groupe de travail contre la détention arbitraire de l’ONU, lequel pointe «l’interférence majeure du président de la République, du gouvernement et de la télévision publique, condamnant des accusés avant même l’ouverture d’un procès».


Renaud Lecadre

Source : Libération (France)

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