Salon africain du livre de Genève : ces amazones qui ont fait l’Afrique

Sous le baobab du Salon du livre de Genève (25-29 avril), les femmes sont à l’honneur, surgies de l’histoire du continent ou de l’imagination des auteurs.

 

 

Sous le baobab du Salon africain du livre de Genève qui ouvre ses portes ce mercredi, les femmes sont à l’honneur sous le signe des guerrières du Bénin précolonial, mais aussi sous celui de toutes ces figures historiques de « femmes puissantes », selon l’expression devenue courante tirée du titre du roman et Prix Goncourt 2009 de Marie N’Diaye Trois Femmes puissantes (Gallimard). Bien sûr, la Grande Royale de l’incontournable Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane parle à tous les lecteurs d’une littérature portée aussi bien par l’imagination des écrivains que par les légendes, mythes et figures bien réelles du continent (et jusqu’au récent Black Panther qui, sur les écrans, a magnifié la féminité aussi inspirante que combative).

 
© Pierre Albouy / photographe indpendant

 

Quatre femmes puissantes

 

Pour donner ses contours historiques à cette thématique qu’illustre en BD le dessinateur Adrien Folly-Notsron, les historiennes Hélène d’Almeida-Topor et Catherine Coquery-Vidrovitch (Les Africaines. Histoire des femmes d’Afrique subsaharienne du XIX au XXe siècle, éd. La Découverte Poche), sans oublier Sylvia Serbin (Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire, éd. Sépia), dispensent leurs lumières au public, et cette Afrique des femmes s’incarne au cours des rencontres et des débats par des écrivaines invitées dans la riche programmation du salon concoctée par le duo de Boniface Mbongo Moussa et de Pascale Kramer. La rencontre du vendredi soir en nocturne réunira, venues du Sénégal, Aminata Sow Fall et Ken Bugul, mais aussi l’Ivoirienne Véronique Tadjo, rejointe par une femme puissante des médias en la personne de la journaliste camerounaise Denise Epoté, directrice Afrique de TV5 Monde. Elles y raconteront leur parcours de combattante de la plume et partageront avec le public les figures qui leur sont chères. La première, Aminata Sow Fall, distinguée par l’Académie française en 2016 qui lui a remis le Grand Prix de la francophonie, auteur de La Grève des bàttu et dont vient de paraître L’Empire du mensonge (Serpent à plumes), évoque l’entourage directement familial qui a inspiré son dernier opus et a balisé sa vie : « Les femmes qui m’ont marquée à jamais sont ma mère, pour sa générosité, son intelligence et sa bonté infinie, ma tante, sœur aînée de ma mère, pour sa force de caractère et son affection qu’elle m’a toujours témoignée jusqu’à la fin de ses jours. Et l’une des griottes de ma mère pour sa fidélité, sa franchise, son attachement aux principes sacrés de l’honneur », nous confie-t-elle. Pour Ken Bugul dont quasiment tous les livres, mais sans doute en particulier Riwan et Cacophonie (éd. Présence africaine) – son dernier roman –, ont pour thème majeur le combat des femmes pour la liberté, et l’écrivaine sénégalaise, qui a fait du Bénin son pays de transit, cite aussi bien les femmes du golfe de Guinée que « nous toutes, mères, épouses, amantes, aimantes, célibataires et transgenres, etc. Dans ma tête grouillent des noms et des visages de femmes puissantes. De Yacine Boubou à Diarra Bousso, des femmes de Nder à la reine Ndaté Yalla, de la Grande Royale à Aline Sitoé Diatta, des héroïnes de Ousmane Sembène aux héroïnes invisibles. »

 
© Patrick Roy

 

De la reine Pokou à Winnie Mandela

 

Dans son dernier livre sur Ebola En compagnie des hommes (éd. Don Quichotte), Véronique Tadjo rend hommage à ces anonymes qui ont tissé la chaîne de solidarité face aux ravages de l’épidémie. Mais on songe tout de suite dans sa bibliographie à la Reine Pokou (éd. Actes Sud) : « À travers son destin se dévoile toute la problématique des femmes qui essaient d’accéder au pouvoir, ce que cela entraîne comme sacrifice et, au fond, toute la tension entre le désir de prendre part aux décisions de la vie publique et cette barrière établie par la société patriarcale. » Véronique Tadjo a longtemps vécu et enseigné en Afrique du Sud et évoquera aussi Winnie Mandela, qui vient de disparaître, « elle qui s’est approchée du pouvoir et s’est fait brûler les ailes », poursuit-elle. Sur le parcours de la première épouse de Nelson Mandela (un focus sur le grand homme dont 2018 marque le centenaire de la naissance est aussi au programme du salon), Denise Epoté apportera son regard, puisqu’elle a eu la chance de la rencontrer à plusieurs reprises.

 
© Pierre Albouy / photographe indpendant

 

Les hommes aussi !

 

Bien d’autres écrivaines sont conviées cette année au salon africain de Genève dont le Point Afrique est partenaire : ainsi, Ananda Devi (une heure avec elle le samedi à 16 heures), dont les livres donnent de mémorables portraits de femmes, entre désir et interdit, et jusqu’au dernier Manger l’autre (éd. Frasset), qui dépeint comme de l’intérieur le rapport au monde d’une jeune obèse. Citons encore Bessora, de retour avec le premier volet d’une tétralogie intitulée La Dynastie des boiteux (éd. Serpent à plumes), Monique Ilboudo, qui lève le voile sur le sujet de l’homosexualité dans son nouveau roman Si loin de ma vie (éd. Serpent à plumes »), un thème également abordé dans le dernier roman particulièrement puissant De purs hommes (éd. Philippe Rey) de Mohamed M’bougar Sarr. Ce dernier, révélé par Présence africaine avec Terre ceinte, était le lauréat du prix Kourouma 2016 décerné chaque année à Genève. Après Max Lobe, l’an dernier, c’est Wilfried N’Sondé qui l’emporte cette année avec Un océan, deux mers, trois continents (éd. Actes Sud). La foisonnante actualité éditoriale n’appartient pas qu’aux femmes, même si elles sont toutes présentes dans les derniers romans à découvrir de Jean-Luc Raharimanana, Max Lobe, Théo Ananissoh, Florent Couao-Zotti, Marc Alexandre Oho Bambé, et dans un poignant rapport à sa mère par Sami Tchak… À toutes et tous, ils font une amazone nommée Afrique littéraire à découvrir et à se partager sans modération dans cette nouvelle et chaleureuse édition du Salon du livre de Genève.

Valérie Marin La Meslée

Source : Le Point (France)

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