Coupe du monde 2026  : le Maroc charge la FIFA

Le royaume, en balance avec le trio Etats-Unis-Mexique-Canada, juge le processus d’attribution non équitable.

Qui du Maroc ou du trio constitué par les Etats-Unis, le Mexique et le Canada sera choisi pour accueillir la Coupe du monde 2026 ? A quelques semaines de la désignation, le 13 juin à Moscou, de l’hôte du premier Mondial élargi à 48 équipes, la tension monte entre la Fédération internationale de football (FIFA) et Rabat, déjà battu quatre fois dans les urnes dans le cadre de l’attribution des éditions 1994, 1998, 2006 et 2010 du tournoi. Soutenu par la plupart des pays africains et musulmans ainsi que par plusieurs nations européennes (dont la France), le Maroc est considéré comme un adversaire sérieux par le trio nord-américain.

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Après plusieurs semaines de polémiques – le royaume marocain estimant que le processus n’est pas équitable – Fouzi Lekjaa, le président de la Fédération royale marocaine de football (FRMF), a interpellé sans détour Gianni Infantino, président de la FIFA, lui faisant part de ses « inquiétudes » et de « sa surprise » après la découverte de changements de dernière minute relatifs aux critères d’évaluation des candidatures. Le système de notation a en effet été transmis par la FIFA au Maroc le 14 mars, soit moins de vingt-quatre heures avant le dépôt de sa candidature et quarante-huit heures avant la date butoir de la remise des dossiers.

Rumeurs d’alliance

 

Selon Rabat, neuf nouveaux critères ayant un impact négatif sur son « bid book » ont été adoptés. Ceux-ci concernent l’hébergement (un minimum de chambres d’hôtel par ville en fonction de la taille du stade), les stades (la durabilité des infrastructures), le transport (une capacité aéroportuaire minimale de 60 millions de passagers par an), les villes hôtes (une taille minimale de 250 000 habitants), et les déplacements (une durée maximale d’une heure trente entre un aéroport et une ville hôte).

Ces inquiétudes viennent s’ajouter aux rumeurs d’alliance entre le président de la FIFA et la candidature nord-américaine. Elu en 2016, avec l’aide en sous-main de l’Américain Sunil Gulati, architecte et ex-président de la candidature nord-américaine et actuel membre du conseil de la FIFA, Infantino avait alors capté les voix de la puissante Confédération d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes pour accéder à la présidence.

L’un des autres points de contestation est la mise sur pied d’une « task force » constituée de cinq membres, chargée d’évaluer la conformité des dossiers de candidature et de les évaluer. Cette émanation de l’administration de la FIFA compte notamment dans ses rangs les deux secrétaires généraux adjoints de l’instance, dont le juriste suisse Marco Villiger, zélé serviteur de Gianni Infantino. La FIFA se pliera à la décision de cette commission technique et validera ou non les candidatures, trois jours avant le vote crucial du congrès.

Or, aux yeux des Marocains, cette task force n’est pas indépendante. Dans une note confidentielle, à laquelle Le Monde a eu accès, ils estiment que son existence contrevient aux statuts de la FIFA. « Le conseil de la FIFA n’a plus de rôle souverain, il devra accepter le choix de la task force, dénonce un proche de la candidature marocaine. Il y a une volonté de la maison mère de ne pas faire passer le dossier marocain devant le congrès. Les règlements ont été modifiés. La FIFA fait tout pour éliminer le Maroc avant le congrès. On veut bien perdre, mais à la loyale. »

Manœuvres « flagrantes », selon Sepp Blatter

 

Cette critique est reprise par l’ex-président de la FIFA (1998-2015) Sepp Blatter. « Depuis la réforme initiée en 2011, le congrès doit pouvoir se prononcer sur l’attribution du Mondial. Ce n’est pas à une task force de le faire. Chaque pays candidat doit pouvoir se présenter au vote du congrès » , confie l’octogénaire au Monde, en pointant les manœuvres « tellement flagrantes » de son successeur. Des voix se sont élevées – côté africain notamment – contre les pouvoirs étendus de cette task force. Après un vote imprévu sur son maintien ou non, l’instance a finalement été confirmée.

En outre, la partie marocaine pointe les modalités du scrutin qui seront appliquées à Moscou. Pour la première fois, 207 pays (211 moins les 4 candidats) membres de la FIFA seront autorisés à voter pour désigner le pays hôte du Mondial. Ce n’est plus le gouvernement de la FIFA, à la croisée de tous les scandales de corruption, qui a la charge d’attribuer le tournoi. Sauf que, désormais, les votants auront le choix entre trois bulletins : le Maroc, le trio nord-américain ou – nouveauté instaurée par la FIFA – « aucune des deux candidatures ».

Une victoire de cette « troisième voix » entraînerait le report de la procédure d’attribution à 2020 et sa réouverture à tous les continents. « A la base, Infantino voulait laisser le processus d’attribution se décider d’ici à juin 2020. Et il a choisi de l’avancer à 2018. Il veut régler cette question avant 2019 et l’élection du président de la FIFA à laquelle il sera candidat », avance un proche de la candidature marocaine.

De surcroît, une défaite des Etats-Unis, qui attendent d’importantes retombées économiques de ce tournoi élargi à 48 équipes, et déjà battus par le Qatar en 2010 pour l’attribution du Mondial 2022, fragiliserait la Fédération internationale. D’autant que la FIFA a été ébranlée par la tornade judiciaire initiée en 2015 par les autorités américaines et que ses intérêts sont actuellement défendus par le cabinet d’avocats… californien Quinn Emanuel. Dans un e-mail, en date de mars 2017, que Le Monde s’est procuré, le trio nord-américain suggérait d’ailleurs à Fatma Samoura, la secrétaire générale de la FIFA, d’ouvrir la voix à une candidature unique, la sienne, pour l’attribution du Mondial 2026.

Scrutin serré

 

L’octroi sans appel d’offres par la FIFA des droits télévisés pour le Mondial 2026 aux chaînes américaines Fox News et NBC-Telemundo pose aussi question. Selon le quotidien britannique The Daily Mail, en février, la FIFA aurait d’ailleurs exigé des clauses dans les contrats de transmission télévisée qui lui procureront une prime exceptionnelle de 302 millions de dollars (244 millions d’euros) en cas de victoire de l’Amérique du Nord dans le cadre de l’attribution du Mondial 2026. Les trois chaînes américaines (Fox, NBC et Telemundo) seraient ainsi disposées à verser ce bonus.

A Zurich, au siège de la FIFA, on préfère jouer l’apaisement. « Il y a eu un timing malheureux, il ne fallait pas envoyer les critères vingt-quatre heures avant le dépôt du dossier marocain, souffle un cadre de l’instance. Mais les Marocains vont trop loin. Je suis persuadé que les deux candidatures seront soumises in fine au vote du congrès. »

La projection des reports de voix préfigure un scrutin serré. Dans ce contexte brûlant, la FIFA se risquera-t-elle à écarter la candidature marocaine avant le vote du 13 juin ? « Les Marocains savent que, si leur dossier n’est pas retenu, cela ferait scandale, note un observateur avisé de l’instance mondiale. Un scandale que la FIFA ne pourrait pas se permettre. »

 

Charlotte Bozonnet, Rémi Dupré et Ghalia Kadiri

Source : Le Monde

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