La Chine bouscule le palmarès scientifique mondial

Menaçant de supplanter les Etats-Unis, la recherche chinoise a également beaucoup progressé en qualité.

Photographier le rapport des forces scientifiques mondiales. Et retracer quinze ans d’évolution. C’est ce que permet le rapport sur  » la position scientifique de la France dans le monde, 2000-2015  » qu’a rendu public, jeudi 5  avril, l’Observatoire des sciences et des techniques (OST) dirigé par Frédérique Sachwald. Une étude bibliométrique, fondée sur les données du  » Web of Science « . Ce dernier recense l’essentiel des articles parus dans les revues scientifiques. Une étude qui se veut uniquement  » factuelle « , souligne Michel Cosnard, le président du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCeres) dont l’OST dépend, puisqu’elle  » ne propose aucune conclusion, ou décision, mais des données à analyser par qui le voudra « .

La prudence de M. Cosnard s’explique. Le sujet est brûlant, car tout commentaire cherchera à relier les performances scientifiques aux politiques publiques qui en sont à l’origine. Ceci dans un monde où la puissance économique, militaire, diplomatique ou culturelle trouve sa source dans le savoir et les technologies. Ainsi, en  2000, l’Union européenne voulait, à travers la  » stratégie de Lisbonne « , devenir  » l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique  » et voyait dans l’effort de recherche et d’innovation la clé de sa future position mondiale.

Quinze ans après, où en est le monde de la science ? Les faits saillants du rapport indiquent un glissement du rapport des forces. Tel un bulldozer, la science chinoise bouscule les hiérarchies établies au siècle dernier et s’impose comme une nouvelle grande puissance. Les Etats-Unis voient s’effriter leur hégémonie, éclatante il y a un demi-siècle. Le Japon, longtemps second, s’écroule. Des pays émergent : Inde, Iran, Brésil, Corée du Sud. Espagne et Italie se renforcent. La France ? Elle ne pointe désormais qu’au 7e rang, dépassée par la Chine, mais aussi par l’Inde, et ne représente plus que 3,2  % des publications scientifiques mondiales.

Une explosion des publications scientifiques Les statistiques de la science mondiale font irrésistiblement penser à la Reine rouge d’Alice au pays des merveilles. Tout le monde, ou presque, y court de plus en plus vite pour simplement conserver sa place, en produisant de plus en plus de connaissances scientifiques. Le nombre de publications scientifiques s’envole.  » Un doublement en quinze ans « , annonce Frédérique Sachwald. Et même un peu plus, puisque l’on passe de près de 800 000 articles en  2000 à près de 1,8  million en  2015. Cette inflation reflète d’abord l’augmentation du nombre de scientifiques en activité dans le monde comme de leurs moyens techniques. Et donc des connaissances produites. Obtenir le séquençage du génome d’un organisme, et donc le publier, prend mille fois moins de temps et d’argent qu’il y a vingt ans. Michel Cosnard y voit une augmentation « raisonnable «  au regard de  » l’évolution de l’effort de recherche mondial, avec l’arrivée de nouveaux acteurs. On ne publie pas n’importe quoi « .

Cette vision mérite un bémol. Cette inflation résulte aussi de la pression exercée par les dirigeants politiques sur les scientifiques de la recherche publique, les sommant de publier toujours plus et plus vite.  » Publish or perish « , publier ou périr… Cette pression entraîne des problèmes sérieux : création en série de revues prédatrices dénuées de toute sélection des articles par les pairs, saucissonnage des résultats d’expériences, publications prématurées, résultats non reproductibles, fraudes, mauvaises conduites… Lorsqu’elle résulte d’une pression du pouvoir politique, soucieux de  » productivité « , cette inflation contribue à une  » mal-science  » – pour reprendre le titre d’un ouvrage de Nicolas Chevassus-au-Louis, Malscience, de la fraude dans les labos (Seuil, 2016) – laquelle a suscité la création de nouvelles instances comme l’Office français de l’intégrité scientifique, en  2017.

La  » remontada  » chinoise Si tout le monde court à la même -vitesse, voire accélère, les hiérarchies établies perdurent. Mais l’arrivée d’un nouveau coureur surpuissant, la Chine, bouleverse le podium. Avec les réformes des années 1980, elle a petit à petit constitué une force de frappe scientifique. Ce fut difficile, la Chine pré-Mao ayant été dépecée et envahie par des puissances étrangères et celle de Mao ayant démoli ses premiers efforts dans l’enseignement supérieur et la recherche avec la tragédie de la Révolution culturelle. Elle ne pesait qu’à peine 1 % du total mondial en  1980. Mais, depuis le début du XXIe  siècle, la machine à former scientifiques et ingénieurs monte en puissance année après année. Les laboratoires reçoivent des financements substantiels alimentés par une dépense de R&D de 2,05 % du PIB en  2014, un pourcentage supérieur à l’effort des pays de l’Union européenne, selon Eurostat. Les échanges internationaux sont devenus la règle, favorisés par l’abondance d’une  » diaspora  » chinoise (ou d’origine chinoise) dans les laboratoires des Etats-Unis ou d’autres pays du peloton de tête.

Résultat ? La Chine est remontée de la 8e place en  2000 à la seconde, atteinte dès 2006. Elle surpasse désormais tous les pays, sauf les Etats-Unis, en nombre de publications scientifiques, avec 16 % du total. L’histoire n’offre aucun équivalent d’une telle  » remontada  » d’un pays dans la hiérarchie mondiale des sciences. La production chinoise affiche certes une performance moyenne inférieure aux meilleurs en matière d’impact et de citations, mais son volume d’articles lui permet de pointer au 2e rang mondial dans le classement des articles les plus cités, avec 13 % du total, derrière les Etats-Unis. Elle a ainsi dépassé dix pays en moins d’une décennie, une  » remontada  » encore plus marquée que pour le nombre total d’articles. Les laboratoires chinois participent à toutes les aventures scientifiques de pointe, de la génétique à l’astrophysique… quand ils ne sont pas leadeurs mondiaux, comme pour la téléportation quantique par satellite. Leurs -copublications avec les autres pays – notamment en mettant à profit la  » diaspora  » chinoise aux Etats-Unis – montrent leur insertion dans la communauté scientifique mondiale et accroissent leurs résultats dans les classements fondés sur les citations.

Les disciplines qui grimpentSi toutes les disciplines voient leur nombre d’articles augmenter, certaines accélèrent plus que d’autres. La recherche médicale demeure la plus prolifique, avec près de 420 000 articles. Mais la chimie et les sciences de l’ingénieur complètent le podium en  2015 après avoir éjecté la biologie fondamentale. Un effet  » chinois « , puisqu’il résulte en grande partie de l’effort de ce pays dans ces deux disciplines.

Une science de plus en plus -internationaleLa carte de la science mondiale montre d’autres changements. Le premier est celui de l’internationalisation de la science. Les scientifiques collaborent de plus en plus au-delà des frontières. Un phénomène popularisé avec les grandes expériences internationales de la physique des particules, comme quand, en  2012, 3 000 chercheurs du monde entier ont signé la découverte du boson de Higgs. Les articles  » mono-adresse « , signé d’un seul laboratoire ou d’un seul pays, sont de moins en moins fréquents.

De nouveaux pays émergent. L’Inde, la Corée du Sud, le Brésil, l’Iran, la Turquie… avec à chaque fois une  » courbe d’apprentissage  » à la chinoise. Le nombre d’article augmente d’abord puis c’est la qualité qui arrive. De petits pays par la taille conservent des places excellentes parmi les meilleurs (Pays-Bas, Israël, Suède, Finlande…). D’autres, de taille moyenne, voient leurs efforts récompensés, comme l’Espagne, l’Italie ou le Canada. Le Japon est tombé du podium, passant du deuxième au cinquième rang, malgré les finances mobilisées. La Russie a été saignée de nombre de ses meilleurs chercheurs, mais opère un timide redressement depuis 2013.

Reste un trou béant sur cette carte, celui des pays pudiquement qualifiés de  » moins avancés  » dans le langage diplomatique : l’Afrique, subsaharienne notamment, une bonne part de l’Asie, le Moyen-Orient dévasté. Une absence lourde de menaces, tant sciences et technologies semblent nécessaires à des trajectoires de progrès économiques et sociaux.

 

Sylvestre Huet

 

Source : Le Monde

 

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