Maroc : les nouveaux seigneurs du Sahara occidental

Au lendemain de la récupération du Sahara occidental en 1975, Rabat s’était appuyé sur une élite du cru pour défendre sa cause. Choyées par le Palais, ces figures locales continuent de servir d’atout diplomatique.

Le Polisario vient d’être convié à Bruxelles pour des consultations relatives aux accords Maroc-Union européenne (UE), objet de réserves de la part de la Cour de justice européenne. Des élus marocains des provinces du Sud seront également de la partie et s’exprimeront aussi en tant que Sahraouis marocains.

« La diplomatie du royaume a toujours usé de l’argument implacable selon lequel le Polisario ne peut se targuer d’être l’unique porte-parole des Sahraouis », explique un ancien diplomate. Et des élus marocains originaires des provinces du Sud, le royaume n’en a jamais manqué.

Aujourd’hui encore, les trois régions du Sahara sont toutes présidées par des figures locales, qui représentent aussi l’écrasante majorité des députés, des conseillers ou des élus locaux. Une élite politique sahraouie qui a connu peu de renouvellement entre le règne de Hassan II et celui de Mohammed VI, restant fidèle à une structure tribale avec des équilibres propres à la culture sahraouie.

Clan et ramification

 

« La réalité tribale du Sahara a toujours pesé dans l’équation politique, même du temps de la colonisation espagnole », explique Rahal Boubrik, professeur à l’université Mohammed-V de Rabat. Ainsi, au lendemain de la Marche verte de 1975, quelques leaders historiques et chefs de grandes tribus sahraouies sont érigés par le Palais en tout-puissants notables. Ils sont même surnommés « les seigneurs du désert ».

Parmi les têtes d’affiche, Khatri Ould Sidi Saïd El Joumani et Khalihenna Ould Errachid, deux représentants de deux branches de la tribu des Reguibat, le clan sahraoui le plus nombreux et le plus puissant. Plusieurs de ses membres sont d’ailleurs influents de l’autre côté de la frontière, dans les camps de Tindouf : El Ouali Moustapha Sayed, le fondateur du Polisario, appartenait par exemple à l’une des branches de cette tribu (Tahalat), tandis que l’autre filière de ce clan (Lbouihat) compterait aujourd’hui encore près de 50 % du corps diplomatique du Front Polisario, dont l’armée est également constituée de membres de la tribu.

« Quand Khalihenna Ould Errachid a été choisi [en mars 2006] pour présider le Conseil royal consultatif des affaires sahariennes (Corcas), c’était tout sauf un mauvais casting, nous explique notre source diplomatique. Il était destiné à se retrouver face à ses cousins du Polisario autour de la table des négociations à Manhasset, à la suite de la présentation du plan d’autonomie marocain. »

L’enrichissement de ces néoseigneurs a toujours été conditionné par leur contribution à préserver le calme et la stabilité au Sahara

Le système mis en place par Hassan II et son ministre Driss Basri était fondé sur une approche qui n’a pas substantiellement changé : la légitimité ancestrale de ces seigneurs en draaiya (habit traditionnel sahraoui) est renforcée à coups de privilèges économiques qui se sont appréciés entre les deux règnes.

Dynasties

 

Si, au départ, des secteurs clés de l’économie sahraouie leur ont été confiés – à travers la distribution de licences pour l’exploitation des carrières de sable ou pour la pêche en haute mer et la passation de marchés de construction ou d’équipement –, les grandes familles sahraouies ont su diversifier et développer leurs activités. L’enrichissement de ces néoseigneurs a toujours été conditionné par leur contribution à préserver le calme et la stabilité au Sahara.

D’ailleurs, à l’ère Basri, la confection des cartes électorales dans le Sud se faisait sur mesure, de manière à ce que les municipalités soient « équitablement » distribuées aux fidèles du pouvoir. Et, même après l’avènement du nouveau règne et l’organisation d’élections transparentes, les grandes familles ont su tirer parti de leur expérience politique et de l’effet de levier économique pour continuer d’enchaîner les mandats de députés ou d’élus locaux.

Les Joumani, Ould Errachid, Bouaida, Derham et autres familles influentes, avec leurs proches, sont systématiquement élus dans les instances de la région. « Aujourd’hui encore, aucune élite sahraouie ne peut émerger sans la bénédiction de l’État. Ce qui malheureusement réduit la marge de manœuvre du renouvellement des élites », déplore le professeur Boubrik.

« Hub économique »?

 

Mais ce système est de plus en plus critiqué. Le Conseil économique social et environnemental (Cese) a déjà signé un rapport sur les provinces du Sud aux constats édifiants. D’abord, il est reproché au régime fiscal du Sahara d’être « empirique, sans cadre légal précis ». Autant dire que le Sahara est une sorte de paradis fiscal.

Nous voulons opérer une véritable rupture avec les méthodes adoptées dans la prise en charge des affaires du Sahara

Autre anomalie : la région compterait près de 6 000 fonctionnaires fantômes, et des milliers de Sahraouis bénéficient des cartiyas, des cartes d’une valeur mensuelle de 900 à 1 600 dirhams (de 80 à 140 euros environ) distribuées par l’Entraide nationale, une structure de prise en charge de personnes en difficulté. De quoi nourrir l’esprit de rente de la région, mais aussi un sentiment d’injustice économique.

Une réalité dont le souverain a pris toute la mesure : lors du 40e anniversaire de la Marche verte, Mohammed VI s’est déplacé à Laayoune et en a profité pour donner un coup de pied dans la fourmilière : « Aujourd’hui, après quarante années […], nous voulons opérer une véritable rupture avec les méthodes adoptées dans la prise en charge des affaires du Sahara, rupture avec l’économie de rente et les privilèges. » Dans la foulée, un plan de 77 milliards de dirhams a été lancé, avec la promesse de faire du Sahara un « hub économique » profitable à l’ensemble de la population. Pourvu que ce ne soit pas un mirage.

Fahd Iraqi

 

Source : Jeune Afrique

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