Saint-Valentin : chandelles ou crampons, un choix cornélien

Le 14 février, c’est la fête des amoureux. C’est aussi le match PSG-Real Madrid. Aurez-vous plutôt l’âme d’un tourtereau ou celle d’un supporteur ?

Roses rouges, fines bulles et petits fours

 

On m’apprend que le jour de la Saint-Valentin, alors que je vais conter fleurette à mon épouse comme d’ailleurs tous les autres jours de l’année, d’autres seront devant la télévision pour regarder un match de football. On les appelle des supporteurs. Mais elle, cela fait trente ans qu’elle me supporte. Certainement parce qu’elle ne m’a jamais vu jouer au ballon.

Cela remonte à ma prime jeunesse, j’étais gardien de but. Quand on veut que les choses soient bien faites, il vaut mieux les faire soi-même : une fois que j’ai eu rentré la balle dans ma propre cage, on m’a vite fait comprendre que le banc de touche m’était mieux adapté. Il y fait froid, plus que sous notre couette.

C’est sûr que renverser la bière et les chips sur le canapé en beuglant avec les copains devant la télé, ce doit être un grand moment. Que disserter des mérites comparés des dribbles de Thiago Motta et Thiago Silva – ils étaient forfait contre Rennes, peut-être avaient-ils préféré devancer la Saint-Valentin – doit élever l’âme. Que lire les déclarations guerrières de joueurs comme Nacho qui dit « le PSG réalise une grande saison mais on n’a pas peur d’eux car on est le Real Madrid » peut faire penser qu’on a raté un épisode de Game of Thrones, mais…

Une jolie table, des bougies, quelques mets choisis, du champagne peut-être, soyons fous (et puis les voisins nous ont piqué toute la bière), des bavardages anodins qui deviennent des discussions, des mains qui se frôlent à nouveau, des rires parfois. Se poser et, un temps, redécouvrir celle ou celui qu’on croise le soir et le matin, à côté de laquelle ou duquel on ronfle entre les deux. Et puis, pensez aux fleuristes, les pauvres : dans le froid, les mains dans l’eau, les doigts à la merci du sécateur, ils comptent sur nous, valentinophiles !

Bon, ce que j’en dis, c’est pour le foot. Parce qu’en cas de match de rugby, c’est autre chose. Fanées les roses, éteintes les chandelles, adieu le romantisme. Inutile de tenter de bander ce qu’il me reste de biceps, ni d’exhiber des abdominaux avantageux et originaux – ils ont la forme d’une dame-jeanne –, rien n’y fait : elle ne décolle pas de l’écran, et bienheureux encore qu’elle ne file pas pour la troisième mi-temps, tant elle les trouve beaux et musclés, ces gaillards poilus qui partouzent à trente sur du gazon (on appelle ça une mêlée, je crois). Pas de discussion possible, son tacle et son coup de boule pourraient rendre jaloux Zidane. Voilà pourquoi, comme Sir Winston Churchill, je ne pratique pas de sport, même à la télé. Et que j’aime ma femme, mais pas seulement le jour de la Saint-Valentin.

Cartons rouges, beaux dribbles et penaltys

 

Mesdames les jurées, je vais plaider coupable. S’installer devant sa télé devant un match de foot – fût-ce Real-PSG – le soir du 14 février, c’est d’une totale beauferie. En plus, je dois aussi reconnaître des faits de préméditation.

« Pour la Saint-Valentin, ça te dirait une soirée plateau-télé-foot ? Il y a le PSG qui joue contre le Real », ai-je lancé, bravache, histoire de marquer mon territoire. Misérable provocation… Je ne vais pas essayer de la jouer intello, citer Camus parlant du foot, me lancer dans des développements sur le paradigme sociétal de ce sport qui, d’après de très sérieux ethnologues, amène les joueurs à développer des stratégies de coopération proches de celles utilisées par Cro-Magnon pour chasser le bison.

Le football appartient à un modèle de masculinité plus très en cours, car envahissant et régressif. Le retour à un état de petit garçon excité. Ma femme n’a rien contre le football ; elle n’aime pas l’état dans lequel me met ce sport masochiste. Comment lui expliquer que vivre un match (surtout lorsqu’il s’agit du PSG) n’est pas une simple récréation égoïste, un vulgaire défouloir, mais un moment complexe, où l’on va passer par divers états, connaître l’espoir, la crainte, la souffrance, la joie, la peine, l’adhésion, le ressentiment ?

Le vrai problème du match « Ligue des champions vs Saint-Valentin », c’est que la mystérieuse et dévorante passion du football (pour une fois que l’on tombe sur un mystère masculin…) n’a pas vraiment d’équivalent féminin. Je pense même que le football comporte une part de spiritualité d’autant plus enracinée qu’elle vient droit de l’enfance.

Ma femme est assez consternée lorsqu’elle entend ça. Mais au fond, elle n’est peut-être pas irrémédiablement rebelle à tout ce cinéma. L’an passé, après l’indigne match retour contre le FC Barcelone, perdu PSG 1-6, elle avait l’air très en colère contre les joueurs du PSG. Et je sais qu’en rentrant du cinéma, mercredi soir, elle me demandera : « Alors, qu’est-ce qu’ils ont fait ? » Je sollicite la mansuétude du jury.

 

Jean-Michel Normand et Harry Bellet

Source : Le Monde

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