Vu de Suisse : Mennel, la voix musulmane qui déchire une France égarée

La jeune chanteuse Mennel Ibtissem a dû abandonner sa participation à l’émission “The Voice” pour avoir tenu des propos déplacés sur les réseaux sociaux. Selon le correspondant du quotidien suisse Le Temps, cette affaire incarne une France perdue dans son rapport à l’islam.

 

L’affaire Mennel Ibtissem, après l’affaire Tariq Ramadan ? Alors que la communauté musulmane française se remet difficilement des déboires judiciaires du prédicateur suisse, toujours maintenu en détention à Fleury-Mérogis, une secousse médiatique d’un tout autre genre secoue l’Hexagone. En cause ? Le déferlement de messages et de prises de parole – les uns pour la soutenir, les autres pour la vilipender – après la décision de Mennel, une jeune apprentie chanteuse originaire de Besançon, de quitter le plateau de l’émission “The Voice” qu’elle avait dominée, le 2 février, par son interprétation de “Hallelujah”, l’une des chansons cultes du barde Leonard Cohen, décédé en novembre 2016.

 

L’histoire est tristement, tragiquement simple. Au lendemain de l’attentat de Nice, le 14 juillet 2016, Mennel Ibtissem, alors âgée de 22 ans – amatrice de prêches de Tariq Ramadan – se fend de “posts” stupides et complotistes sur Facebook, laissant entendre que la version officielle du gouvernement français sur le terroriste tué sur la promenade des Anglais, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, n’est peut-être pas la bonne. “C’est devenu une routine. Un attentat par semaine. Et toujours pour rester fidèle, le terroriste prend avec lui ses papiers d’identité. C’est vrai que quand on prépare un sale coup, on n’oublie surtout pas de prendre ses papiers”, rugit la jeune femme. Une attitude à des années-lumière du visage d’ange qu’elle présente, le 2 février, les cheveux cachés par un turban coquet, lorsqu’elle entonne les paroles de paix et d’amour de Leonard Cohen devant les juges de “The Voice” : les artistes Zazie, Florent Pagny et Mika…

Des médias qui attisent les fractures communautaires

 

Quelques jours après, c’est la fin de partie. Déluge de commentaires sur le Net. Mennel prend, le 8 février, la décision d’annoncer son retrait de l’émission, dont plusieurs épisodes avaient déjà été tournés. “Depuis quelques jours, explique-t-elle dans une déclaration, des messages que j’avais postés en 2016 sur mon Facebook privé sont ressortis. Ces messages étaient l’expression d’une peur que je partageais seulement, à cette époque, avec mes amis sur ce réseau. Je regrette profondément ces messages.” Point final ? Non. La peine n’est pas assez lourde. Voici que les commentateurs médiatiques s’en emparent.

 

Dans l’émission trash de C8 Touche pas à mon poste, suspendue durant plusieurs semaines en 2017 en raison des outrances de son présentateur, Cyril Hanouna, plusieurs invités déplorent que Mennel, non contente de chanter en anglais et en français, chante aussi en arabe. Sur C News, autre chaîne du groupe Bolloré, les éditorialistes s’étripent sur la signification de son turban. De quoi susciter la curiosité des chaînes d’information continue du Golfe, Al-Arabiya et Al-Jazira, qui s’emparent du sujet et le montent à la une…

Résultat, après un week-end d’insultes par petit écran interposé : une France assommée de se découvrir ainsi divisée, polarisée, toujours exposée au risque de tomber dans les fractures communautaires attisées par les médias. “Mennel n’est plus une gamine française interprétant en arabe la chanson d’un chanteur juif, superbe symbole, s’insurge dans Libération un professeur de lycée, Saïd Benmoufflok. Non, elle est désormais un agent de l’ennemi. Elle est le mal au visage d’ange. Elle est le paravent de l’islamisme, ce mot fourre-tout qui autorise la confusion entre un tweet imbécile et une complicité criminelle. Voilà comment certains pourfendeurs du complotisme sont eux-mêmes devenus des complotistes.”

Une période charnière

 

Le retour aux sources − soit à l’après-attentat contre Charlie Hebdo et à l’après-13 novembre 2015 − fait d’autant plus mal que le premier procès de Salah Abdeslam s’est tenu à Bruxelles la semaine dernière, et que celui du “logeur” des terroristes à Saint-Denis, Jawad Bendaoud, connaîtra son issue le 14 février : “On apprend donc qu’elle a tweeté des idées stupides à tendance complotiste, poursuit le professeur. Très exactement ce que la plupart des enseignants de France ont entendu dans leurs classes après les attentats, en 2015 et 2016. Ni plus ni moins. Comme nous tous, Mennel est fille de son temps. […] Elle a beau dire qu’elle aime la France, son pays. Elle a beau regretter des propos irréfléchis. Cela ne suffira jamais. Car on ne veut plus la voir.”

 

Mennel Ibtissem, elle, a choisi de se taire. Elle qui croyait, sur le plateau de “The Voice”, aux vertus de l’ascenseur social télévisuel s’est retrouvée happée par l’engrenage médiatique. Ironie : hier, Emmanuel Macron promettait dans Le Journal du Dimanche de “structurer et d’expliquer” l’islam de France, annonçant une réforme en ce sens en 2018. “Je pense que le risque, dans toute cette affaire, est de brandir des objets connotés, qui ont leur propre histoire, ou de faire des raccourcis en plongeant tout le monde dans un même sac”, poursuit dans le JDD le chef de l’État français. L’affaire Mennel ressemble fort à ces “raccourcis”…

 

Richard Werly
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