Maghreb : Tous unis au nom du couscous

L’Algérie, le Maroc et la Tunisie, se sont accordés pour postuler ensemble auprès de l’Unesco en vue de l’inscription du couscous au patrimoine mondial de l’humanité.

 

Et si la solidarité entre États maghrébins, dont les bisbilles algéro-marocaines sont régulièrement narrées par les gazettes des deux pays, commençait par la reconnaissance du couscous comme patrimoine “commun” ?

Le directeur du Centre national [algérien] de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH), Slimane Hachi, a annoncé cette semaine [22 janvier] l’introduction d’un dossier pour le classement de ce mets au patrimoine universel de l’Unesco. Fait inédit : la démarche sera faite conjointement par les trois pays du Maghreb. Une réunion, regroupant des experts maghrébins, devrait se tenir au printemps prochain dans le cadre du projet de classement de leur patrimoine culinaire commun.

Le fait est que, sous des dehors banals, le sujet est sensible. Les trois pays du Maghreb revendiquent l’origine de ce plat à base de semoule de blé dur, préparé avec de l’huile d’olive (ou du beurre) et accompagné de légumes, d’épices, de viande ou de poisson. Les disputes se font plus intenses entre les Algériens et les Marocains, en conflit autour de la question du Sahara occidental, et dont la rivalité s’est transposée sur les terrains politique, diplomatique, militaire et culturel.

La séparation culinaire entre le Maghreb et le Machreq

Comme pour la question du Sahara occidental, la Tunisie semble observer une “neutralité positive”, laissant les internautes des deux pays faire valoir, par réseaux sociaux interposés, les mérites de leurs versions respectives de la célèbre spécialité. Le fait est que le couscous marque la séparation culinaire entre le Maghreb et le Machreq, ligne invisible séparant les amateurs de blé des consommateurs de riz. Slimane Hachi semble plaider pour une approche dépassionnée, mettant en exergue la civilisation du blé, qui a rayonné sur toute l’Afrique du Nord. Ce sera, pour Ouiza Gallèze, chercheuse au CNPRAH, “une reconnaissance et un moyen de raffermir les liens solides entre les peuples, dans le sens où ils répondent aux mêmes traditions par les mêmes expressions culinaires. Car, comme tout élément culturel, le couscous est un moyen de rapprochement entre les peuples”.

Elle ne manque pas d’hyperboles pour qualifier le grain de semoule, considérant que le couscous “est, dans son étendue, plus important que le pétrole, qu’il a dépassé les limites frontalières et revêt une reconnaissance internationale, dans la mesure où il est présent sur les cinq continents”. Elle explique que “l’exigence de l’Unesco est l’appropriation et le sentiment d’appartenance que les communautés doivent exprimer envers l’élément”, objet de classement, avant de relever que le couscous représente “un composant de l’identité culturelle, symbolisant l’offrande et marquant les grands événements heureux ou tragiques, aux niveaux familial et communautaire”. À la question de savoir comment les États concernés peuvent en tirer des dividendes économiques, elle avance comme réponse la nécessité d’une “volonté politique”, tout en notant que le couscous peut être “propulsé” en Algérie dans le cadre du secteur touristique.

L’Unesco est inondée par les demandes

L’autre dossier qu’Alger souhaiterait défendre auprès des experts de l’Unesco concerne le raï, autre patrimoine revendiqué par le voisin marocain, qui prétend qu’il serait originaire d’Oujda, près de la frontière algérienne. Ces querelles peuvent paraître bien vaines tant le label “patrimoine immatériel de l’Unesco” est aujourd’hui vidé de sa substance. Si, à l’origine, il a été créé pour mettre en valeur un patrimoine menacé de disparition, ou dilué dans la mondialisation, il a vite été débordé par le nombre de demandes des États. La Chine aurait à elle seule 200 000 projets de candidature, et une quarantaine de requêtes déjà enregistrées. L’Unesco est inondée par les demandes des États, et elle y accède volontiers et avec largesse.

Elle a récemment eu à enregistrer l’art de l’équitation à Vienne, le festival des fruits du marula en Namibie, l’art de l’improvisation poétique au Kazakhstan et au Kirghizistan, l’art de la plaisanterie au Niger, le papier marbré turc et le sauna estonien, la dentellerie croate, le tango, les dessins sur sable au Vanuatu. Pour des cas particuliers, comme la Palestine, ces demandes ont valeur de résistance culturelle face à une entité qui s’approprie des richesses spécifiques.

Dans d’autres cas, elles prennent des allures de récupérations politiques, qui ont été dénoncées par l’organisme lui-même. On se rappelle notamment le classement [en novembre 2010 après un débat au sein du comité chargé des candidatures sur le risque d’usage abusif du label de l’Unesco à des fins commerciales] de “l’art du repas gastronomique français”, ouvrant la voie aux candidatures alimentaires : la diète méditerranéenne [inscrite aussi en novembre 2010 et concernant quatre pays : l’Italie, la Grèce, l’Espagne et le Maroc ; en décembre 2013, trois autres pays ont été ajoutés par l’Unesco : Chypre, la Croatie et le Portugal], le café turc [décembre 2013], le kimchi coréen [décembre 2015] ou encore la pizza napolitaine [décembre 2017].

De notre côté, et dans les foyers, le couscous n’aura pas attendu un label de l’Unesco pour être célébré. Quoi qu’il arrive, son caractère sacré restera intact.

 

Amel Blidi
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Source : Courrier international (Le 9 février 2018)

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