La fatigue de vivre, parfois

Y a des jours, allez savoir pourquoi, où vous avez autant envie de vivre que de vous balader à poil devant le concierge de votre immeuble.

C’est fatigant, parfois, de vivre. Sans trop savoir pourquoi, on a le cœur à la traîne, l’humeur chagrine, l’esprit mélancolique. Un rien nous abat, on ouvre un livre pour le refermer aussitôt, on se sent vide, tout nous écœure et dans cette grande fatigue de l’âme que rien ne parvient à exalter ou à transcender, on éprouve comme un vertige devant la vacuité de son existence.

Le mouvement perpétuel du monde, la folle agitation des hommes, la marche en avant de la société ne nous intéresse plus, on éprouve un sentiment d’étrangeté face à ce remue-ménage incessant, on ne perçoit rien d’autre dans tout ce tumulte qu’une comédie des apparences où les individus se plaisent à porter des masques pour mieux cacher leur intranquillité, leur impuissance à exister pour de bon, leur lâcheté, leurs renoncements, ces mille et un épisodes de leur vie qui portent tous le sceau amer de la défaite.

On reste là les bras ballants, sans force, sans envie ni désir, vaincu, si las que nos yeux se ferment d’eux-mêmes comme ces volets d’une maison de campagne qu’on tire une dernière fois avant de la mettre en vente: il y a dans l’air comme un parfum d’abandon, de désillusion, de tristesse, dont chaque goutte s’écoule dans la lenteur glacée du temps passé.

On ne sait plus comment vivre comme si nous avions égaré le mode d’emploi dans le vestibule de nos souvenirs, on ne sait plus de quel côté se tourner, on interroge le silence, on questionne les murs de la chambre, on interpelle la lumière du dehors mais aucune réponse jamais ne survient: on demeure seul avec ses tourments, ses questions, ses doutes dont on distingue les contours sans en percer les mystères.

On se force à sortir, on se rend à une invitation, on participe à un dîner mais le cœur n’y est pas; on invente un prétexte et on se dépêche de rentrer chez soi là où personne ne nous attend si ce n’est ce lit qui est comme un ami qui nous ouvre grand les portes du sommeil où nous nous enfouissons dans des épaisseurs si profondes, avec une volupté telle, que les rêves n’osent venir nous déranger.

Le lendemain, on se lève à regrets, rien n’a changé, tout est demeuré à sa place et on se couvre de ce même manteau lourd de soupirs qui nous attend, fidèle parmi les fidèles, dans l’entrée: dehors le ciel a mauvaise mine, les arbres ressemblent à de grands enfants abandonnés, les fleurs grelottent de froid, les squares ont l’apparence de grands cimetières abandonnés avec leurs bancs désolés, leurs balançoires détrempées, leurs pelouses renversées; les gens marchent vite, vous débordent de partout, vous déposent sur place comme si vous n’existiez pas, comme si vous étiez une ombre, comme si vous étiez déjà mort.

D’ailleurs tout a le parfum de la mort, de cette grande chose impossible et pourtant commune à tous qui vous fascine autant qu’elle vous rebute, qui vous apparaît parfois comme une consolation, comme une amie dont les appels à venir la rejoindre secouent la grande nuit de votre invincible solitude sans parvenir à vous arracher à cette vie à laquelle malgré tout vous tenez plus que tout au monde.

Il faut parfois éprouver la douleur de vivre pour mesurer l’extraordinaire beauté de l’existence –putain, tu vas nous les gonfler longtemps avec tes jérémiades à deux balles, les écoulements de ton âme russophile détrempée d’huile d’olive qui n’intéressent personne à part deux ou trois apprentis suicidaires, on dirait du Paulo Coelho sous Lexomil, lève-toi donc et marche, que le ciel soit avec toi, va, vis et deviens, et cesse une bonne fois pour toute avec ces atermoiements sirupeux qui te font ressembler à une mère juive le jour où son fils chéri se marie avec une goy, d’accord?

D’accord.

Laurent Sagalovitsch

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