
A Dakar et Saint-Louis, le Président s’est offert des bains de foule inouïs. « La France ne doit plus être une sorte de pays rêvé mais elle doit agir sur le terrain », assure le chef de l’État au JDD.
« Comment tu vas? » Quand Emmanuel Macron retrouve son homologue sénégalais Macky Sall au pied des marches du palais présidentiel de Dakar, la scène a des airs de retrouvailles entre deux vieux copains, qui tranchent avec la solennité du protocole. « Il y a un facteur générationnel, lâche un de ses conseillers diplomatiques, lui-même bluffé. On a un Président qui n’a pas peur de sa jeunesse. » Ainsi va la diplomatie de ce chef d’Etat de 40 ans, à la fois décontractée et tranchante, menée à un train d’enfer. Et, aussi, avec beaucoup de retard sur le planning…
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Pour Macron, la France ne doit plus être « une sorte de pays rêvé »
Deux mois après son discours fondateur de Ouagadougou, dans lequel il avait expliqué qu’il n’y avait « plus de politique africaine de la France », le président français, en deux jours d’escapade sénégalaise, est passé de la théorie aux travaux pratiques. « C’est un changement de méthode profond, explique le Président au JDD. Nous avons défini des priorités : éducation, santé, environnement, français et culture. Il s’agit désormais de travailler sur des projets concrets qui correspondent dans ce cadre à la stratégie des gouvernements ou des sociétés civiles. Il s’agit aussi d’assurer un suivi dans la durée. La France ne doit plus être une sorte de pays rêvé, dans lequel tout le monde peut s’imaginer un avenir rêvé, mais elle doit agir sur le terrain. La jeunesse africaine a à se construire un avenir choisi. C’est tout l’objet de ce déplacement au Sénégal. Aider le gouvernement sur l’éducation. Porter des projets qui changent la vie concrète des sénégalaises et des sénégalais : le TER, la construction des collèges, la lutte contre l’érosion côtière à Saint-Louis. »
C’est un changement de logiciel. L’Afrique n’est pas un acquis à conserver, c’est un terrain à conquérir.
La preuve par l’exemple avec l’inauguration vendredi, dans la banlieue de Dakar, du collège Hann Bel-Air, flambant neuf, notamment grâce au soutien de l’Agence française de développement (AFD). Un déluge de hurlements adolescents accueille les deux présidents à leur entrée dans la cour de l’établissement. Puis ils s’invitent au cours de maths d’une classe de troisième. « Vous allez bien? » récidive Macron, qui interroge des collégiens et collégiennes sur leurs plans de carrière : « gendarme », « ingénieur » ou « gérante d’hôtel ». À tous, la réponse du Président est la même : « Maintenant, à vous de jouer! » À peine ressortis dans la rue, Macron et Sall s’offrent un bain de foule en forme de meeting électoral pour le chef de l’État sénégalais, qui a rassemblé des centaines de partisans. La présidentielle de mars 2019 n’est pas loin… Macron se prête au jeu. On le croirait en campagne. « C’est un changement de logiciel, glisse un conseiller. L’Afrique n’est pas un acquis à conserver, c’est un terrain à conquérir. »
Rencontre éclair avec Rihanna
Cette journée de vendredi s’est déroulée sous le signe d’un (insoutenable) suspense : Macron allait-il rencontrer la chanteuse Rihanna, présente à Dakar? La rencontre, furtive, a bien eu lieu en marge du sommet international du Partenariat mondial pour l’éducation (PME), dans laquelle la star américaine est très impliquée. Cinq minutes chrono, le temps de faire immortaliser l’instant par un photographe rameuté in extremis et d’échanger quelques mots : le Président remercie la vedette, qui met sa célébrité au service de la cause ; Rihanna lui retourne le compliment. Un peu plus tard, il annonce un chèque de 200 millions d’euros pour le PME. Soit la somme presque exacte que lui demandait la chanteuse, quelques heures plus tôt, via Twitter…
Macron-Rihanna, même combat? Satisfecit décerné par Friederike Röder, directrice de l’ONG One : « Jusqu’ici, on n’avait que des discours. Là, on a un engagement chiffré, un réel effort de la France. » Un nouveau départ, donc, pour Macron l’Africain. « Il est vu comme un président jeune et dynamique, qui a une vision décomplexée des relations entre Afrique et France », s’enthousiasme le ministre des Affaires étrangères sénégalais, Sidiki Kaba. Dans le car qui embarque le staff élyséen, l’équipe diplomatique abonde : « Il veut garder un côté affectif qui a toujours existé dans notre relation avec l’Afrique, mais aussi casser le logiciel qui fait que depuis la décolonisation, on n’a rien inventé dans cette relation. » La recherche de l’innovation, toujours…
Bain de foule à Saint-Louis et atmosphère de fin de campagne
« Pardonnez-moi, il m’arrive d’être en retard! » Emmanuel Macron s’excuse : la communauté française l’attend depuis près de deux heures à la résidence de l’ambassadeur. Il se prête très volontiers au jeu des selfies, s’attarde, échange quelques instants, visiblement impressionné, avec des vétérans, dont un tirailleur sénégalais de 94 ans qui fut l’un des premiers à traverser le Rhin en 1945. Avant d’aller longuement discuter avec les militaires français basés à Dakar, qui lui offrent une ancienne édition reliée racontant l’épopée de Soundiata Keïta, premier empereur du Mali, un ambitieux, lui aussi.
Brigitte Macron et Marieme Faye Sall.
(Ludovic Marin/AFP)
C’est donc avec encore plus de retard que la délégation française débarque au dîner officiel fort peu protocolaire, avec buffet sénégalais, poèmes de Senghor et concert privé de Baaba Maal et Youssou N’Dour, les deux superstars nationales. Brigitte Macron danse avec le président Sall, les ministres Jean-Yves Le Drian et Frédérique Vidal se trémoussent et le président français démontre que le sens du rythme ne fait pas tout à fait partie de ses dons naturels.
Mais c’est à Saint-Louis que s’est déroulé le clou du spectacle, samedi. Le staff avait prévu trois quarts d’heure pour gagner depuis l’aéroport la langue de Barbarie, une zone côtière menacée par la montée des eaux : il en aura fallu deux fois plus au cortège présidentiel, dans une cohue indescriptible, au milieu de dizaines de milliers de badauds surexcités. Une fois, deux fois, trois fois, le Président descend au contact de la foule, prend des enfants dans les bras, ressentant à l’évidence un plaisir intense dans l’exercice. Il faudra même l’insistance de Macky Sall pour le remettre sur les rails de la visite. « On a perdu le Président! » Dans le cortège, son équipe, qui n’avait jamais vu une telle liesse, ne plaisante qu’à moitié. Les hommes de la sécurité présidentielle, eux, sont sur les nerfs.
Dernière étape sur la place Faidherbe, dans une atmosphère de meeting de fin de campagne. Macron n’est pas candidat, mais c’est tout comme. « Ce que je suis venu faire ici, ce n’est pas simplement voir, mais aussi faire le Saint-Louis de demain! », claironne-t-il. Et de conclure en wolof : « Sénegaal ca kanam » (« Sénégal en avant »), la devise de l’équipe nationale de football.
David Revault d’Allonnes
à Dakar (Sénégal)
Source : Journal du Dimanche