Maxime Sou, l’enseignant modèle du Burkina Faso

Ce professeur affiche près de 100  % de réussite aux examens avec des classes de plus de 120 élèves.

Un coup de baguette sur la table. Les dos s’affaissent sur les pupitres de bois délabrés. Un autre coup et les ardoises se lèvent, griffonnées d’écritures enfantines où chacun tente de conjuguer le verbe chanter au passé composé. Il est 7 h 45, le silence règne. Seules les toux sèches symptomatiques de la saison froide se font -entendre. Un calme qui dépasse l’entendement : 132 élèves dans une classe d’à peine 40 m2. Maxime Sou ne peut pas avoir les yeux partout, mais il tient sa classe au doigt et à la baguette.

Cet enseignant à l’école Kua C de Bobo-Dioulasso, seconde ville du Burkina Faso, force -l’admiration. En  » vingt ans et deux mois «  de carrière, ce Burkinabé de 47 ans qui, avant de -gérer des CE2 enseignait surtout en classe de CM2, n’est jamais descendu au-dessous des 88  % de taux de réussite à l’examen d’entrée au collège, le certificat d’études primaires (CEP).

A quatre reprises, Maxime Sou a même réussi l’impensable dans un pays où les classes sont surpeuplées et sous-équipées : faire passer 100  % de ses élèves en classe de 6e. La dernière fois, c’était en  2014 : 120 élèves, 120 admis. A l’époque, au  » pays des hommes intègres « , le taux de réussite moyen au CEP est de 73,5  %, et le nombre moyen d’enfants par classe fixé à 49, selon le ministère de l’éducation nationale. Maxime Sou pulvérise les scores. Quel est donc son secret ?

 » L’autorité « , répond d’emblée ce père de quatre enfants. En dehors de sa classe, Maxime Sou est timide et parle à voix basse. A peine ose-t-il admettre sa réussite, ou plutôt celles, nombreuses, de ses élèves. Mais, devant un tableau noir, le personnage se transforme. L’homme s’efface lorsqu’il revêt son costume d’enseignant. La voix porte et la démarche est assurée. Pour capter l’attention de 132 élèves pendant trois heures, l’attitude est nécessairement théâtrale, et la discipline quasi militaire.

 

 » Don de soi et sacrifices « 

 

Faut-il y voir un lien avec son rêve d’enfant, -celui de devenir gendarme ? L’homme -esquisse un sourire.  » Au début des années 1990, il n’y avait pas de recrutement dans -l’armée. Je n’ai pas pu passer les concours. Il a fallu que je cherche une autre voie « , explique-t-il. Presque par défaut, Maxime Sou passe avec succès le concours d’enseignant en  1995. S’ensuivent deux années de formation, avant d’être  » valsé en brousse « , à Kouka, dans l’ouest du pays. Il découvre alors un métier pour -lequel il n’a pas eu de vocation.

 » Ma vocation s’est construite. Mais c’est vrai, elle n’était pas spontanée, au départ « , corrige-t-il. A Kouka, il y eut tout de même un déclic. Sa première fierté d’enseignant, dont il se rappelle comme si c’était hier, porte le nom de Sidiki Dao.  » Je l’avais en classe de CM1. Son papa était paysan. Je savais qu’il était brillant mais que, s’il restait à Kouka, il n’aurait pas beaucoup de chance de réussir et de terminer sa scolarité. «  Maxime Sou décide d’emmener Sidiki avec lui lorsqu’il est muté dans une autre école plus au sud, à Bama. Quelques années plus tard, Sidiki Dao intègre l’école la plus prestigieuse du Burkina Faso, le Prytanée militaire de Kadiogo (PMK).  » Aujourd’hui, il est sous-lieutenant « , ajoute-t-il fièrement.

Pour Maxime Sou, la réussite de ses élèves, c’est un peu la sienne.  » Quand je leur donne un devoir et que je me rends compte que la classe n’a pas la moyenne, ça m’empêche de dormir. Ce sont un peu mes enfants « , glisse-t-il.  » Don de soi et sacrifices «  sont les maîtres mots de l’enseignant. Mais aussi la  » fatigue et la pression -morale « .  » En  2014, j’ai demandé à ne plus avoir en charge des classes où il fallait faire passer des examens. J’étais à 22 de tension, le médecin m’a dit de me ménager. « 

Les journées de Maxime Sou restent chargées. Debout à 5 h 30, il arrive à l’école une heure plus tard. Les cours ne doivent pourtant commencer qu’à 7 h 30. En théorie seulement.  » Parfois, je dis aux élèves de venir à 7  heures, pour faire un -devoir de plus. «  C’est l’autre secret de la réussite de Maxime Sou. Imposer deux devoirs par jour quand les autres enseignants burkinabés n’en donnent généralement qu’un. Et donc se lever à l’aube pour corriger chaque jour 132 copies -supplémentaires, avec l’aide de son suppléant et de deux stagiaires.

 » Il peut même en donner jusqu’à trois par jour « , chuchote Alain Sanou, un des deux enseignants stagiaires, en pleine leçon de français. L’apprenti le reconnaît, assister Maxime Sou, c’est endosser une charge de travail supplémentaire.  » C’est un modèle « , poursuit-il en listant sur un large cahier les points abordés lors de la leçon.  » La différence entre lui et les autres professeurs, c’est qu’il dialogue avec les enfants. Il joue avec eux, leur propose au lieu de leur imposer. Mais, en même temps, il est sévère dans l’apprentissage, surtout avec ceux qui n’apprennent pas leurs leçons « , résume le stagiaire.

Malgré le sureffectif, dans la classe de Maxime Sou, les élèves ne portent jamais longtemps le bonnet d’âne. Deux samedis matin par mois, l’enseignant organise, bénévolement, des cours de soutien auxquels participent une trentaine de volontaires.  » Il faut porter l’attention sur les élèves les moins bons. C’est parfois difficile pour les parents de comprendre que l’enfant doit -encore se rendre à l’école pour autre chose. Certains parents disent qu’ils n’ont pas le temps et que le maître est dérangeant. Mais je continue. Tout commence par des difficultés « , abrège-t-il en regardant sa montre.

Il est 18  heures. La nuit est tombée, et les cours terminés depuis une heure. Là encore, en théorie.  » Je suis en retard « , dit avec gêne Maxime Sou. Il se lève, traverse la cour de l’école pour rejoindre le tableau noir. Sur les pupitres, ses élèves de CE2 ont laissé leurs places à des adultes. Après l’école classique, l’enseignant bascule dans l’éducation informelle pour permettre à des Burkinabés sortis du système scolaire de se remettre sur les bancs de l’école, de savoir lire et écrire.

Ce n’est qu’après 20  heures que l’enseignant fait tomber le costume et que l’homme rejoint ses quatre enfants et sa femme. Mais, à la maison, l’ambiance reste studieuse. Car, cette -année, c’est au tour de la femme de Maxime Sou de se construire une vocation. Dans quelques mois, elle tentera elle aussi de passer les concours… pour devenir enseignante.

 

Morgane Le Cam

 

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Source : Le Monde (Supplément Education en Afrique)

 

 

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