« Chers Présidents africains, voici votre discours de vœux clé en main ! »

L’universitaire Sarah-Jane Fouda a créé un outil magique à partir d’extraits de discours du Nouvel An de huit chefs d’Etat. Pour frapper les esprits… sans rien promettre.

Cher Président,

Comme votre Excellence le sait, il est de tradition d’adresser un message à vos compatriotes pour la nouvelle année. Votre équipe de rédacteurs n’est pas disponible ? Elle est fatiguée ? Rassurez-vous, nous vous avons préparé le Code universel du discours africain (CODA). Ce tableau est constitué d’extraits des discours du Nouvel An 2018 de vos homologues. Il vous permettra de vouslancer sans crainte sur les grands thèmes qu’ont développés pour vos pairs les meilleurs rédacteurs du continent : l’économie et le social ; la démocratie ; la sécurité.

Dire, c’est faire. Si vous voulez bien débuter l’année et durer, suivez ces plumes expertes, suivez le CODA. Leur discours est d’une redoutable efficacité : il produit l’archétype du dirigeant africain en même temps qu’il donne vie à son interlocuteur privilégié, « l’Homme africain », comme le disait Nicolas Sarkozy, cette masse ignare, apathique et anhistorique qui a les gouvernants qu’elle mérite. Vous avez compris le fond ? Passons à la forme.

Jargonnez avec conviction !

 

Pour élaborer votre discours, il vous suffit de combiner ces séquences de phrases entre elles. Les couleurs vous aideront à identifier les thématiques : rose pour la sécurité, rouge pour l’économie et gris pour la démocratie. Le mode d’emploi est le suivant : commencez par la case en haut à gauche, puis enchaînez avec n’importe quelle case en colonne 2, puis avec n’importe laquelle en 3, puis n’importe laquelle en 4 et revenez ensuite où bon vous semble en colonne 1 pour enchaîner au hasard.

Essayons ensemble !

Vous voulez d’abord assurer les populations de l’imminence de l’émergence ? Partons dans le rouge : « Chers compatriotes/la gestion rigoureuse de notre économie et la redistribution des fruits de notre croissance/doivent avoir un impact immédiat dans l’année qui vient, autrement dit en 2018/car je souhaite pour notre nation une année de grandes réalisations sur la voie de la construction de la destinée commune. »

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Vous l’aurez constaté, nul besoin d’une démonstration chiffrée ou de faits probants. Ce qui compte, c’est d’aligner des mots qui sonnent bien ensemble. Jargonnez avec conviction ! La répétition des incantations, des mots-clés et des « formules à la mode » finiront de convaincre.

La tendance est au « parler vrai »

 

Comme l’a dit IBK, votre confrère du Mali : « Le terrorisme, parlons-en ! ». Cette année encore, le sujet reste incontournable, tout le monde en parle. Descendons dans le rose (sécurité), et testons une nouvelle combinaison : « Fils et filles de la nation, chers amis et hôtes du pays/l’anéantissement des forces du mal et la lutte contre les marchands d’illusion et de la mort/exigent de ne pas baisser la garde et de toujours maintenir l’alerte sur le front sécuritaire/et à ceux qui, étrangers ou nationaux, seraient tentés de nous conduire sur des chemins que notre vivre-ensemble réprouve, notre réponse ne souffrira d’aucune hésitation : elle sera impitoyable. »

Vous voilà entrés dans l’Histoire !

Sachez néanmoins que la tendance est au « parler vrai ». C’est un peu le fait de Macron, beaucoup celui d’Obama. Cela dit, il apporte dynamisme et rupture à votre style présidentiel, raison pour laquelle le CODA intègre cette option. Exemple : (rouge) « Soyons honnêtes : sur ce plan, nous avons de gros efforts de rattrapage à faire. C’est pourquoi j’ai décidé qu’en 2018 nous allons mettre les bouchées doubles. A cet égard/(gris) la révision de la Constitution et la réforme des institutions/(rose) font que chaque soir je m’endors dans la hantise de ce que nous réserve le lendemain/(gris) parce que, ai-je besoin de vous le rappeler, notre pays est une démocratie ».

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Vous voyez, les trivialités du « causer peuple » ne sont plus ici des sorties de route.

Au-delà du style, le langage du véridique se révèle très utile s’agissant des questions de démocratie, surtout si votre contextepolitique est délicat, voire franchement hostile : élections, référendum, révision de la Constitution, etc. S’agissant de la démocratie et des élections, le « franc-parler » de notre tableau a pour avantage de « parler » aux acteurs politiques, j’ai nommé les opposants. En outre, il favorise l’éducation politique« des populations ». Ce terme, populations, il faut en user et en abuser. Ce sont des masses indistinctes, affamées, qu’un rien satisfait et qui sont loin, évidemment, de pouvoirêtre qualifiées de citoyens, c’est-à-dire ayant des droits, pas seulement des besoins. Vous pourrez ainsi, dans la foulée, fustiger l’antipatriotisme des uns ou féliciter« la maturité » des autres. Tout un chacun sait, Président, que les adultes responsables reviennent toujours à la raison, à vos côtés, « dans l’unité et la paix ».

« Faites Africain ! »

En matière de sécurité et de terrorisme, justement, il y a deux écoles, deux postures : celle des terreurs et celle des terrorisés. La première s’inscrit dans la lignée des pools de rédacteurs de la Maison Blanche, du Kremlin et de Pyongyang. Pour la deuxième, on ne sait pas trop. On soupçonne qu’elle remonte à l’époque « du président normal », sûrement en raison de son objectif : rechercher la proximité avec les citoyens. Donc, pour un discours martial, utiliser les premières lignes roses du CODA. Et si vous cédez à la panique, vous trouverez les phrases correspondant à votre état psychologique au bas du tableau. Mais dans ce cas, attention : cela aura sans doute un effet anxiogène sur vos compatriotes.

Un dernier conseil : ne sortez pas du tableau. Les esprits mal intentionnés vous inciteront sans doute à intégrer dans le flot des propos des exemples de projets ou d’éventuelles réalisations de votre mandat. Gardez-vous en, car c’est le plus sûr moyen de prononcer des sottises. Ainsi a-t-on fait dire, le 31 décembre 2017, à Ali Bongo que « la fourniture de tables-bancs » visait à « accroître le taux d’alphabétisation du pays ».

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Si vraiment vous voulez improviser, alors « faites Africain ! ». Convoquez la sagesse du continent, les lieux communs, les topiques de l’Afrique traditionnelle et ancestrale. Allez-y, car, comme on l’a fait dire à Faure Gnassingbé : « C’est au bout de l’ancienne corde que se tisse la nouvelle. » Il est de la dernière évidence que les rédacteurs officiels du continent sont convaincus que les Africains aiment les images et que la métaphore édifie l’Africain.

Voilà, votre Excellence, vous êtes prêt pour votre discours. Bonne chance. Et vive la République ! Vive la Démocratie ! Vive l’Afrique !

Sarah-Jane Fouda

Sarah-Jane Fouda est consultante en communication, spécialiste du discours et de l’argumentation. Elle enseigne la logique informelle à l’Université Paris-III Sorbonne Nouvelle.

Source : Le Monde
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