« Le tri des migrants devrait davantage intéresser nos dirigeants que la dernière outrance de Trump »

Après les Noirs, les musulmans, les Latinos, les femmes, les homosexuels, les parents de soldats américains et les joueurs noirs de la National Football League (NFL), Trump a insulté les Haïtiens et les Africains. Banal fait divers. Les délires de ce président outrancier, de même que l’indignation des leaders africains, ne me touchent pas. Au contraire, j’ai l’impression d’observer des gamins dans une cour de récréation.

 

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Donald Trump pense ce qu’il veut. Si nos présidents n’ont pas mieux à faire que de se focaliser sur des propos tenus lors d’une réunion à Washington, tant pis pour nous. Mais avec cette polémique sur les « pays de merde », nous risquons de passer sous silence le débat de fond qui a trait actuellement au tri des migrants que certains pays veulent pratiquer.

« Plus loin »

 

Chaque pays a le droit de déterminer les ressorts de sa politique migratoire et de choisir ainsi entre les migrants « de merde » et les migrants acceptables. Si Donald Trump veut des immigrés scandinaves et pas issus de « pays de merde », Emmanuel Macron, lui, préfère un tri basé sur la nature de la migration en allant, selon le Défenseur des droits Jacques Toubon, « plus loin que tous ses prédécesseurs ».

La France met en place un arsenal répressif inédit, avec notamment la circulaire du 12 décembre 2017 qui institutionnalise, dans les centres d’hébergement d’urgence, l’envoi d’équipes mobiles pour effectuer le tri entre les « bons » et les « mauvais » migrants, c’est-à-dire entre migrants économiques et réfugiés ayant fui les conflits chez eux.

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Le tollé que cette décision a provoqué chez les grandes associations de défense des migrants qui dénoncent l’organisation de tri dans des lieux censés être des espaces d’accueil et d’hébergement inconditionnels de personnes en situation de détresse.

Pour M. Toubon, « cette situation est en défaut avec les droits fondamentaux » de son pays, tandis que l’écrivain Jean-Marie Gustave Le Clézio évoque dans L’Obs un « déni d’humanité insupportable ». Face à ces critiques, le président français assume et appelle à « se garder des faux bons sentiments ».

Ce tri des migrants devrait davantage intéresser nos dirigeants que la dernière outrance de Trump. Les tweets, communiqués et lettres de protestation ne servent à rien si nous laissons l’Occident, sur la question migratoire, légiférer concernant nos concitoyens, parfois au mépris de toute dignité humaine.

Principe de non-ingérence

 

Nous sommes des pays pourvoyeurs de migrants sur leurs sols mais continuons à subir sans broncher les politiques migratoires de plus en plus dures, voire inhumaines de nations puissantes. La responsabilité de l’Union européenne (UE) dans le drame des esclaves en Libye, avec notamment l’accord de février 2016 entre l’Italie et le gouvernement libyen, dénoncé par Amnesty international en vue de stopper les flux de migrants vers l’Europe, est indéniable.

Tout ceci devrait nous pousser à rompre plus souvent avec le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats tiers. Nous devons être davantage audibles quand l’Europe et les Etats-Unis légifèrent sur la migration. Jusque-là, les associations de défense des droits humains ou celles de migrants demeurent seules en première ligne. A quand des prises de parole fortes de nos leaders ou à l’échelle de l’Union africaine ? D’autant que ni l’Europe ni l’Amérique ne se sont jamais gênées pour se mêler de nos problèmes internes, qu’il s’agisse de nos conflits ou de nos élections, voire pour envoyer leurs soldats chez nous.

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Sur le sujet de la migration, nous ne pouvons plus subir les décisions de Bruxelles ou de Washington sans rien dire, comme ce fut le cas avec de nombreux instruments comme l’immigration choisie, la directive retour, etc.

Mais le spectacle du pouvoir prend le pas sur le débat de fond. Ceux qui doivent agir se muent en commentateurs plus ou moins maladroits, aux dépens de ceux que la misère a poussés sur les routes de l’exil. Nos dirigeants ne pensent l’immigration que de deux manières : la gestion de l’immigration clandestine souvent meurtrière sous-traitée à l’Europe ; puis une diaspora uniquement appréhendée sous l’angle des transferts d’argent au pays. Encore un manque flagrant d’imagination politique que ne cachent pas les récentes sorties don-quichottesques en réponse à Trump.

 

 

Hamidou Anne

(chroniqueur Le Monde Afrique)

 

Source : Le Monde (Le 16 janvier 2018)

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