Jérusalem : sous la cendre, la braise

Donald Trump et Jared Kushner doivent se dire qu’ils avaient bien raison, qu’il n’y avait pas de quoi faire tout un foin diplomatique et pousser les hauts cris aux Nations unies après l’annonce par le président américain de la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël. La preuve ? Les principaux concernés, les Palestiniens, ont à peine manifesté. Le  » jour de colère « , décrété par l’Autorité palestinienne vendredi 8  décembre, deux jours après le discours de Donald Trump, a été plus suivi par les journalistes que par les jeunes manifestants, hormis quelques échauffourées. Après tout, doivent penser le président américain et son gendre, qui exerce auprès de lui les fonctions de conseiller spécial pour le Proche-Orient malgré une grande proximité avec la droite -israélienne, eux aussi auraient compris l’évidence : Jérusalem est déjà la capitale d’Israël, et cette -reconnaissance ne fait qu’entériner un  » état de fait « .

Une fois de plus, le conflit israélo-palestinien a déjoué les attentes. La première Intifada n’avait-elle pas éclaté, en  1987, à la suite d’un accident entre un camion israélien et une voiture palestinienne – qui avait tué quatre Palestiniens ? A Jérusalem, les vendredis suivants ont été plus calmes que le premier  » jour de colère « . La preuve d’une lassitude, d’une résignation, ou encore du discrédit de l’Autorité palestinienne, dont les mots d’ordre ne sont plus suivis ? Probablement, mais pas seulement. C’est aussi la preuve d’une mutation dangereuse du conflit israélo-palestinien.

Rien à espérer

Car il faudrait être fou pour croire que Jérusalem n’importe pas aux Palestiniens, ceux qui résident dans la ville trois fois sainte, comme les autres. Seulement, ils ne croient plus aux discours, ni à ceux de leurs chefs qui les appellent à se soulever après les avoir tant de fois réprimés ni même à ceux du président des Etats-Unis – fussent-ils chargés d’espoir et de promesses, comme ceux de Barack Obama, ou de mépris et de désinvolture, comme aujourd’hui ceux de Donald Trump. Les mots, les incantations pour un  » processus de paix « , les concepts trop rabâchés et usés comme des galets par la mer –  » les deux Etats vivant côte à côte avec Jérusalem pour capitale « ,  » le gel de la colonisation « ,  » la fin de l’occupation « ,  » le respect du droit international  » – sont devenus des abstractions, des tics de langage vidés de sens.

La colonisation a rendu impossible l’existence d’un Etat palestinien viable. La jeunesse palestinienne le sait mieux que quiconque. Tout comme elle sait que la réconciliation entre la bande de Gaza, dirigée par le Hamas, et la Cisjordanie, administrée par le -Fatah, relève d’une chimère. Pour qu’un Etat palestinien devienne possible, il faudrait que la société israélienne décide que le conflit avec les Palestiniens a un coût trop élevé. Ce n’est pas le cas. Et, lorsque les Palestiniens ont eu recours à la violence, de 2000 à 2002, au début de la seconde Intifada, la société israélienne a réagi en faisant bloc autour de son armée et en élisant Ariel Sharon. Quant à la communauté internationale, elle n’existe pas, et, quand bien même elle existerait, elle a d’autres chats à fouetter, l’Iran, la Corée du Nord, la Syrie, etc.

Il n’y a donc rien à espérer pour les Palestiniens dans un avenir proche, tangible. Restent le concret, la vie quotidienne, et l’au-delà, l’éternité. Le conflit israélo-palestinien s’est perdu quelque part entre ces deux bornes, l’une trop proche, et l’autre trop lointaine. Ce qui affecte aujourd’hui l’opinion palestinienne, ce sont les incidents de proximité ou l’atteinte au sacré. Le conflit s’est déterritorialisé, il est devenu  » communal  » et  » identitaire « , voire confessionnel tout à la fois.

Deux incidents illustrent tout particulièrement ce double phénomène à Jérusalem. En juillet 2014, un adolescent palestinien, Mohammed Abou Khdeir, était enlevé et brûlé vif à Jérusalem-Est par de jeunes extrémistes juifs, condamnés depuis à la per-pétuité et à vingt et un ans de -prison. Cette agression ignoble avait déclenché des émeutes dans le quartier, puis dans la partie orientale de la ville, avant d’alimenter une escalade entre le -Hamas et l’armée israélienne dans la bande de Gaza, débouchant sur une guerre meurtrière (1 500  morts, quasiment tous -palestiniens) de six semaines. Ici, c’est donc un drame de proximité qui a mis le feu aux poudres. Un peu plus d’un an plus tard éclatait ce que l’on a appelé  » l’Intifada des couteaux « , une -série d’attaques au couteau et à la -voiture-bélier. Des attaques de proximité encore.

A l’autre bout du spectre se trouvent Dieu et l’au-delà. En juillet, lorsque la police a installé des -portiques de détection de métaux à l’entrée de l’esplanade des Mosquées, près de laquelle un policier israélien avait été abattu, un mouvement populaire sans précédent, pacifique, s’était développé. Un mouvement spontané, qui avait pris de court le leadership politique et religieux palestinien et qui avait fait reculer le gouvernement Nétanyahou. Le contraste avec les mornes  » jours de colère  » décrétés en décembre par l’Autorité palestinienne est saisissant.

La question de Jérusalem, comme celle de la Palestine en général, est devenue ultralocale et surtout ultraconfessionnelle. On peut le regretter, car autant il est possible de négocier et de transiger sur le territoire et les frontières, autant on ne le fait pas sur le respect dû au jour le jour, encore moins sur les questions qui touchent au sacré. Il faut donc s’attendre à des jours de braise et de colère à Jérusalem, comme dans les territoires palestiniens ; il suffira d’une étincelle, qui viendra sûrement, hélas, d’un incident local ou d’une atteinte aux lieux saints. Donald Trump sera passé à autre chose d’ici là.

par Christophe Ayad

 

Source : Le Monde

 

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