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Voilà quelques années, Zakaria Wahby ne connaissait rien au vin. Pourtant, il y a quelques mois, ce jeune Marocain a été couronné du titre de meilleur sommelier du pays. Une première dans le Royaume chérifien, qu’il représentera lors du prochain concours du meilleur sommelier du monde, en 2019 à Anvers. Une exception dans le monde musulman.
Longtemps terre de vignobles, puis abandonné par les vignerons français à la fin du protectorat, le Maroc a relancé sa production de vin dans les années 1990, marquant le début d’une nouvelle ère pour ses « vins du soleil ». Aujourd’hui, si l’art de la sommellerie est encore dominé par des étrangers venus explorer la viticulture marocaine, le concours du meilleur sommelier entend donner la voix à des ambassadeurs locaux. Et c’est donc Zakaria Wahby qui a été reconnu par ses pairs et désigné pour imposer le vin chérifien sur la planète des grands crus.
Autodidacte
Originaire de Benslimane (au nord de Casablanca), il est, à tout juste 30 ans, assistant chef sommelier au Royal Mansour, somptueux palace de Marrakech voulu par le roi Mohammed VI pour y accueillir ses invités de marque. Comme la plupart des sommeliers marocains, Zakaria Wahby est autodidacte ou presque – il a été aidé par de grands professionnels français qu’il a croisés sur son chemin. « Au Maroc, il n’existe pas de formation pour préparer ce métier », indique Michèle Chantôme, présidente de l’Association des sommeliers du Maroc (ASMA), à l’initiative du concours. Même dans les écoles d’hôtellerie, on n’évoque que très rapidement le sujet, « trop délicat », puisque la vente des boissons alcoolisées n’est légale que pour les non-musulmans. En théorie. Car on cultive une certaine hypocrisie au Maroc, où 85 % de la production est consommée sur place, et pas uniquement par les touristes.
Alors, pour se former, les jeunes sommeliers, dont la plupart travaillent déjà dans la restauration, apprennent sur le tas. « Des sommeliers français confirmés leur enseignent le métier au jour le jour. On fait un travail pédagogique pour montrer que le vin est un art, que ce n’est pas une boisson pour se saouler comme le pensent beaucoup ici », ajoute Mme Chantôme. Dans les grands établissements à travers le pays, la demande est de plus en plus forte. « Nous avons besoin de gens de métier qui savent faire le service de boisson », explique la présidente d’ASMA, également secrétaire générale de l’Association de la sommellerie internationale (ASI).
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Surtout que le vin marocain est en pleine expansion. On le croyait tombé en désuétude après l’indépendance du royaume, en 1956 – le Maroc cultivait 100 000 hectares pendant le protectorat. Mais depuis une vingtaine d’années, petits et grands vignerons font renaître le vin marocain. Aujourd’hui, on compte près de 7 000 hectares de vignes de cuve à travers le pays, treize domaines viticoles et environ 50 millions de bouteilles produites chaque année. « Le vin fait partie de l’histoire du Maroc. Et personne n’est mieux placé qu’un sommelier pour en parler », analyse le sommelier français Boris Bille, installé au Maroc depuis plus de vingt ans.
Nombreux obstacles
« Des sommeliers marocains, ce serait encore mieux », insiste Michèle Chantôme. Pousser les locaux à embrasser le métier, c’est tout l’enjeu du concours. « On a trouvé cette solution pour motiver les jeunes. On veut que les sommeliers de demain au Maroc soient marocains », confie-t-elle. Mais dans un pays musulman, les obstacles sont nombreux avant de lancer la compétition. Forte de son expérience à l’ASI, Mme Chantôme a d’abord fondé l’ASMA en 2012. A l’époque, les démarches sont compliquées. « Nous n’avons pas pu inscrire des Marocains en tant qu’administrateurs. Quand j’ai créé les statuts, j’ai également veillé à ne pas utiliser le mot “alcool”, que j’ai remplacé par “art des boissons”. » Finalement, le concours, très relayé par la presse locale, est un succès. « On craignait les critiques mais, pour l’instant, on ne nous a pas tapé sur les doigts. »
Pour Zakaria Wahby aussi, le chemin a été long. Issu d’une famille d’agriculteurs qui, « comme toutes les familles marocaines, ne sert pas de vin à table », il lui a fallu rattraper le retard. « Ce n’est pas facile pour un Marocain. On ne goûte pas, on ne sent pas le vin quand on est jeune. Donc on part avec un handicap, raconte-t-il dans la fraîcheur du patio de l’Hôtel Royal Mansour, où il travaille depuis un an aux côtés du Français Clément Dumas. Mais quand on aime, on se bat, on travaille dur. »
Zakaria Wahby, meilleur sommelier du Maroc
Son histoire d’amour avec le vin a commencé à 19 ans. Alors étudiant en économie, il est appelé un week-end pour un remplacement au Ryad du vigneron, le restaurant du Domaine des Ouled Thaleb. « Là, c’est le coup de foudre. J’avais l’impression d’être dans un rêve. J’ai tout de suite compris que le vin était plus qu’une bouteille. J’ai eu envie de raconter les histoires qui se cachaient derrière : les lieux, les gens, les vignerons, le millésime », se souvient le jeune sommelier. Aujourd’hui, lorsqu’on lui demande s’il le boit, ce vin qui le passionne tant, il est catégorique : « Le métier de sommelier, c’est 75 % le nez, 25 % la bouche. On n’a pas besoin d’avaler. »
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Pour beaucoup, l’étiquette de sommelier n’est pas toujours facile à porter. « Moi, j’ai de la chance. Ma famille m’a laissé décider », témoigne Zakaria Wahby. « Mais il y en a dont les parents ne savent pas ou ne comprendraient même pas le terme, rappelle Michael Rodriguez, chef sommelier à La Mamounia de Marrakech. C’est un choix courageux. Ils pourraient faire autre chose, mais ils ont été pris de passion. » Une petite révolution en terre d’islam.
Ghalia Kadiri
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