BAKARY TANDIA AKA ABOU SIDI : INFATIGABLE HOMME DES DROITS

KASSATAYA – (Paris) – Sur les rives du fleuve Hudson, dans les vastes avenues de Manhattan comme à l’ombre de la Statue de la Liberté, Bakary Tandia est devenu un homme dont la voix compte dans la communauté des défenseurs des droits humains aux USA. Mais avant de devenir la boite noire de l’activisme qu’il est, loin des terres de Mauritanie et de son Kaédi natal, M. Tandia a traversé bien des épreuves.

DROIT DEBOUT AU LYCEE DE KAEDI

A quand pourrait-on dater l’inoculation du virus du militantisme dans les veines de Bakary Tandia ? Difficile à dire, tant l’histoire politique de la Mauritanie fut des plus heurtées depuis l’accession à l’indépendance de ce pays tiraillé « entre africanité et arabité » pour reprendre la formule chère à Pierre Robert Baduel.

En 1979, les militaires qui, un an auparavant avaient renversé le régime du premier président de la Mauritanie indépendante M. Moktar Ould Daddah, procèdent à une réforme du système éducatif qui se traduit par le renforcement de la langue arabe. C’est à la faveur des grèves qui en découlèrent que Bakary Tandia (également appelé Abou Sidi) se découvre l’âme d’un militant. Au lycée de Kaédi (sud de la Mauritanie), un des bastions de la contestation estudiantine et scolaire, Bakary Tandia est très actif dans la mobilisation contre la fameuse circulaire 02. Mais pour Tandia, la motivation était moins contre l’arabe que pour l’obtention d’un traitement juste pour ceux qui s’estimaient lésés par la valorisation d’une des langues du pays à l’exclusion des autres (Poular, Soninké et Wolof principalement).

La lecture qu’il fait de la très sensible question des langues en Mauritanie se résume comme-ci : « Il est dans l’intérêt de tout le monde d’étudier le maximum de langues possibles. Mais quand une langue devient un instrument d’oppression et de domination, la perception qu’on en avait, change radicalement. Il y avait en Mauritanie d’autres langues nationales que l’arabe. Toutes méritent d’être traitées avec égards et soutenues pour le développement. Sinon cela devient une injustice qui consiste à privilégier un groupe au-dessus des autres ». Mais les calculs politiques des groupes hégémoniques ne laissent aucune lueur d’espoir à ceux qui rêvent d’une Mauritanie unie et égalitaire.

Dans le prolongement de son engagement culturel, Abou Tandia et quelques-uns de ses amis créent une association culturelle et sportive pour pallier les manquements du système éducatif. La présidence de l’association revint à M. Mamadou Barro, aujourd’hui professeur d’anthropologie à l’université de l’Arizona. M. Tandia en devient vice-président. L’association va contribuer à la dynamisation de vie culturelle au sein du lycée,  à l’éveil de la sensibilité citoyenne des élèves et à la protection de leurs droits. Elle fut le principal moteur de la grève historique de 1979 sur fond d’arabisation et d’antagonismes ethniques en Mauritanie.

L’année suivante, en 1980, Bakary traverse le fleuve Sénégal pour aller étudier à Dakar au département de philosophie. Un an plus tard, sa passion pour la justice, l’investigation et la remise en cause des systèmes injustes le conduit à Abidjan pour étudier la criminologie parce que c’est une discipline qui « a une dimension révolutionnaire : remettre en cause les choses, et questionner les apparences ». A Abidjan, la passion pour l’engagement ne quitte pas Abou Tandia qui devient représentant de l’institut de criminologie au conseil de l’Université.

DROIT DEDANS EN MAURITANIE

En 1986, sa formation finie, Bakary Tandia retourne en Mauritanie pour se mettre au service de son pays. Mais l’espoir ne fut que de courte durée. Un chômage programmé l’y attendait. C’est en vain qu’il essaie d’intégrer la fonction publique. Les portes restaient désespérément fermées sous son nez les unes après les autres. En désespoir de cause, il finit par se résoudre à s’exiler. Ce sera pour les Etats Unis d’Amérique le combat pour la justice en bandoulière.

DROIT DEVANT A NEW YORK

En 1992, Bakary Tandia pose donc son baluchon aux USA et croque à belles dents dans la grosse pomme. Bakary saisit les opportunités qui s’ouvrent devant lui si près de la Statue de la liberté, du Lincoln memorial ou encore de Harlem pour tisser un puissant réseau auprès d’acteurs des droits civiques et de politiques de renommée mondiale.

Il est de toutes les manifestations à Washington DC, devant le département d’Etat,  la Maison Blanche ou le Congrès pour alerter sur la situation des droits de l’homme où le besoin se fait sentir. En 1996, les Mauritaniens des USA créent une association de défense des droits de l’homme qui attire l’attention du monde sur les graves violations des droits humains dans ce pays tenu par un dicteur militaire féroce, le Colonel Mouawiyya Ould Taya.

L’association devient un véritable pont entre la diaspora et l’opposition intérieure. C’est l’époque où la diaspora mauritanienne et ses soutiens Américains faisaient défiler aux USA les militants Mauritaniens les plus en vue : Messaoud Ould Boulkheir, Boubacar Ould Messaoud, Ibrahima Moctar Sarr, Aissata Satigui Sy (AMDH), Maimouna Sy (association des veuves), Maoulouma Mint Bilal, et, plus récemment, Biram Dah Abeid, Brahim Ould Billal (IRA) ou encore Mohamed Ould Borboss. Grace à cette mobilisation, l’Amérique est au fait de ce qui se passe en Mauritanie en matière de violation des droits de l’homme.

En 1996, avec l’aide de Tandia, Jerry Herman (qu’il considère comme son mentor) se rend en Mauritanie et réalise des interviews avec des esclaves dans un contexte particulièrement tendu. A cran, le pouvoir mauritanien multiplie les efforts pour dissimuler la pratique ou en réduire la portée. En 1997, c’est Elenor Burkett de Times Magazine qui se rend en Mauritanie et publie à son retour un article qui fait sensation. Dans la foulée, Michele Stephenson réalise un documentaire sur les droits de l’homme en Mauritanie intitulé Faces of Change. Un film qui fut sélectionné pour plusieurs festivals.

En 2001, Bakary Tandia participe à Dakar à la conférence régionale préparatoire pour la Conférence Mondiale Contre le Racisme à Durban la même année. En Afrique du Sud, Bakary Tandia prononce un discours devant Winnie Mandela et lui remet en mains propres un dossier sur la situation des droits de l’homme en Mauritanie. La Mauritanie est citée dans la déclaration finale pour la situation catastrophique des droits de l’homme que connaissait alors le pays.

Durant  et après la conférence, M. Tandia travaille avec Michele Stephenson et Human rights Lawyer & Filmmaker pour la réalisation du fil « Faces of Change. » Le documentaire porte sur le racisme et les discriminations sur cinq continents à travers cinq personnages. Le Mauritanien Mohamed Ould Borboss y porte la voix de la communauté Haratine.

DROIT DANS SES BOTTES D’ABOLITIONNISTE

 

 

En 2013 Tandia et Sean Tenner créent Abolition Institute à Chicago pour accompagner la lutte des mouvements anti esclavagistes et le trafic des êtres humains en Mauritanie. Sean Tenner est un appui de poids. Il a activement participé à la campagne pour faire élire Barack Obama en 2008.

De plus, il entretient d’étroites relations avec la famille Clinton. Grace à l’appui du sénateur Durban, la cause obtient une subvention de près de 5 millions de dollars du Congres américain en 2016. Fin juillet-début aout 2016, les abolitionnistes Boubacar Ould Messaoud et Me El Id ould Mohameden M’Barek sont invités à Chicago pour assister au gala annuel du Conseil Judiciaire de l’Illinois. Me El Id ould Mohameden M’Barek est désigné comme Guest speaker pour avoir défendu en 2016 à Néma (Est de la Mauritanie) une famille victime d’esclavage.

Suivront une série de rencontres dont une réunion de travail de deux heures avec le révérend Jesse Jackson. Dans la foulée, le prix Aichana Institute est créé pour récompenser les militants ou les organisations qui se sont distingués dans la lutte contre l’esclavage. Décerné chaque année le 12 février (anniversaire de la naissance d’Abraham Lincoln qui signa la déclaration d’émancipation des noirs d’Amérique), le prix porte le nom de la première esclave mauritanienne libérée par l’association SOS Esclaves fondée et présidée par Boubacar Ould Messaoud. Les lauréats 2017 du prix sont Biram Dah Abeid et Brahim Ramdane au nom de leur engagement pour éradiquer l’esclavage en Mauritanie.

L’activisme de Bakary Tandia fait jouir la cause des droits de l’homme d’une couverture médiatique exceptionnelle : interview sur Voice Of America, nombreuses conférences dans les universités, les centres communautaires, les églises, lobbying auprès d’acteurs publics de premier plan, mobilisation de la communauté mauritanienne aux USA… et pour finir, un reportage sur l’esclavage en Mauritanie réalisé par la chaine internationale CNN. Plus d’une centaine d’universités américaines font appel à son expertise pour des interventions dans le domaine des droits de l’homme.

ET SUR TOUS LES FRONTS

On eut pu penser que Bakary a déjà largement de quoi remplir ses journées. C’est sans compter avec la conception qu’il a du militantisme. Dans son entendement, « un militant des droits de l’homme droit lutter contre les violations quelles qu’elles soient et pas seulement celles qui l’affectent. » A New York, Bakary  devient un interlocuteur précieux aux yeux des acteurs publics. En sa qualité de Policy Advocate (défenseur des politiques) à African Services Committee (ASC) il devient une véritable courroie de transmission entre les décideurs et les populations issues de l’immigration. L’association – accréditée au Conseil Economique et Social des Nations Unies, ECOSOC– le délègue régulièrement aux conférences et meetings des Nations Unies.

Bakary Tandia multiplie les initiatives notamment pour l’accès aux droits : santé, logement, éducation, assistance juridique et réforme de l’immigration. Il organise des ateliers pour former les communautés d’origine étrangère au leadership et au plaidoyer. Le but étant de les aider « à articuler leurs problèmes afin de les présenter de matière cohérente et leur donner plus de visibilité. » La réalisation de la clinique Madina à New York est  le résultat de la collaboration entre le Conseil des Imams Africains (auquel il offre son assistance technique) et Harlem Hospital avec le soutien de l’Etat de New York. La clinique offre des soins gratuits aux migrants.

Bakary Tandia est membre du conseil d’administration de New York Immigration Coalition (NYIC), une coalition de plus de 200 organisations dont la mission est de défendre les droits des migrants. Il participe activement aux activités de plaidoyer de NYIC aux niveaux municipal, étatique (New York) et fédéral. Ces efforts ont abouti à la signature de l’ordonnance municipale 41 interdisant les contrôles policiers relatifs au statut des migrants. D’autres mesures du même ordre ont suivi comme l’accès gratuit aux services de traduction et d’interprétariat. Au niveau fédéral la campagne a eu comme résultat la signature d’un décret présidentiel en Juin 2012 qui permet à des jeunes sans-papiers d’étudier et de travailler sans craindre d’être expulsés (programme DACA). Décision que la nouvelle administration Trump est entrain de remettre en cause.

 

L’engagement de Bakary Tandia est salué par les pouvoirs publics et les associations. C’est ainsi qu’il reçoit une distinction de la municipalité de New York et bien d’autres encore dont celle du département de la police de New York.

LA MAURITANIE AUJOURD’HUI ET DEMAIN

Quand il tourne le regard vers sa Mauritanie natale, Bakary Tandia peine à réprimer sa propre révolte. Le tableau qu’il dresse de la cohabitation entre composantes nationales (Arabes, Haratines, Poulars, Soninkés, wolofs et Bambaras) ou de la lancinante question de l’esclavage, reste désespérément sombre.

Pour Tandia, « les bases de la cohabitation en Mauritanie sont totalement faussées. Ceux qui sont supposés représenter les composantes nationales sont, le plus souvent, réduits à faire de la figuration. Il s’agit d’une fiction qui concourt à maintenir un système esclavagiste et raciste. »

Bakari Tandia avertit : « Les noirs sont mauritaniens et c’est pour cela qu’ils restent malgré toutes les tracasseries. Ils vont quitter la Mauritanie pour aller où ? »

Quant aux Haratines, « ils sont décidés à montrer qu’ils ne peuvent plus accepter les pratiques dont ils ont été victimes jusqu’ici. Et ils se servent des opportunités offertes par les medias sociaux et les moyens de communication modernes pour le faire savoir. Le changement est inévitable : communication, sensibilisation internationale, connexion avec les noirs, le gouvernement ne peut plus faire pour contrer cette déferlante sinon l’accompagner.»

UNITE DES OPPRIMES

Qu’y-a-t-il donc de commun entre Haratines et Noirs de Mauritanie au-delà de la couleur de peau ? « Ils sont tous opprimés dans leur propre pays. C’est à cause de la discrimination qu’il y a esclavage. Un noir est un noir. On est traité de la même manière. Les deux phénomènes se nourrissent mutuellement. Les deux sont des violations graves des droits de l’homme. Il ne doit pas y avoir de sélectivité ni de hiérarchie. Les deux maux existent et doivent être combattus en même temps. »

Mais pour être constructifs et éviter les aventures sans lendemain, Bakary Tandia suggère de faire un diagnostic pertinent pour apporter des réponses adéquates à chaque problème. « La discrimination existe partout dans le monde. Mais l’esclavage telle qu’il est pratiqué en Mauritanie dépasse l’entendement. Quand quelqu’un n’est même plus considéré comme un être humain, il n’existe pas de violation plus grave. C’est l’humanité qui est reniée. Il n’y a pas de point de comparaison. La personne est chosifiée, peut être donnée, cédée sans conséquence. » Et le problème perdurera tant que les populations concernées seront encore privées de moyens d’existence, de terres et d’éducation.

La question de l’esclavage en Mauritanie est rendue encore plus complexe par le fait que les Haratines se situent entre les communautés dont la cohabitation est si difficile. Noirs de peau, ils n’en sont pas moins Arabes de culture et de langue. Pour Bakary Tandia, « le fait d’être Arabes ou Noirs est secondaire pour les Haratines. Ce qui est important c’est de protéger leurs droits et de leur donner les mêmes droits que tous les autres. » Le militant des droits de l’homme tranche : « Si les Haratines veulent se définir comme un groupe distinct c’est leur droit. Personne ne doit s’arroger le droit de déterminer à leur place qui ils sont. Même aux USA il y a eu une évolution. Les Noirs sont passés de Blacks à Africans Americans. Il faut faire la distinction entre la spéculation politique et le fondamental. »

 

SUIVRE SON CHEMIN, DROIT.

La nuit tombe sur la Grande Pomme. Bakary Tandia fait faire une dernière visite de son New York à lui avec ses places mythiques. Ce soir ce sera Harlem avec le théâtre Apollo où défilèrent les étoiles qui firent briller le ciel de la lutte pour l’égalité.

Ce sera aussi le Adam Clayton Powell Jr. State Office Building ou enfin le mythique restaurant At Sylvia’s qui reçut le ban et l’arrière-ban des célébrités noires, de Malcolm X à Barack Obama en passant par James Brown et Mohamed Ali. Entre deux coups de fourchette, l’infatigable militant des droits de l’homme conclut : « Ceux qui contrôlent le système en Mauritanie doivent comprendre que leurs comportements relèvent de l’injustice et que ce ne peut être permanent. Le changement est inévitable. Donc, s’ils tiennent aux intérêts de la Mauritanie, ils doivent avoir le courage de reconnaitre la réalité de la crise dans laquelle se trouve le pays et créer les conditions nécessaires au changement en faisant appel à toutes les filles et à tous les fils du pays. Les alliés doivent aussi être mis à contribution pour régler les problèmes qui constituent des blocages et mettre en place un mécanisme qui va permettre d’assurer ou de protéger les droits de tout le monde. Les bonnes volontés ne manquement pas. »

Ce parcours époustouflant, Bakary Tandia le doit aussi à une formation solide et continue. Dans son entendement, pour être un défenseur des droits de l’homme efficace il faut se cultiver et s’éduquer  sans répit.  C’est pourquoi, malgré ses multiples occupations, il trouvera l’énergie d’obtenir un Bachelor en International Criminal Justice à John Jay College of Criminal Justice,  un certificat de adovacy à Columbia University  et un Masters à Fltecher School en Law and Diplomacy.

Autant de provisions pour poursuivre son long parcours au service des plus fragiles sur les pistes rocailleuses des droits de l’homme.

 

Pour KASSATAYA.COM, ABDOULAYE DIAGANA

 

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