Trump dégrade la présidence

On s'est habitués. On n'y prête plus attention. On clique, on tourne la page, on change de chaîne. On a banalisé Donald Trump.

On oublie que cette personne qui trouve le temps de fouiller les sites de l'extrême droite raciste, qui scanne à plaisir les publications numériques des théoriciens du complot et autres suprémacistes blancs, est le président des Etats-Unis. Il est à la tête de la plus puissantes des démocraties de la planète. Il est responsable de l'image de la démocratie. Et c'est lui, le 45e président américain, qui s'attache ainsi à sélectionner soigneusement des vidéos bidon sur lesdits sites, puis à les diffuser aux 43  millions de fidèles de son fil Twitter !

La presse interroge les porte-parole de la Maison Blanche : comment Trump est-il tombé sur ces montages vidéo destinés à discréditer les musulmans du monde entier ? Réponse : le président fait lui-même ses recherches. Ces -derniers jours ont pourtant été chargés. Ils ont vu la semaine du  27  novembre au 3  décembre s'achever sur le vote par le Sénat de la plus grosse baisse d'impôts que les Etats-Unis aient connue depuis 1986. Ils ont vu Donald Trump reconnaître Jérusalem comme la capitale d'Israël – et compliquer un peu plus la reprise d'un éventuel dialogue israélo-palestinien.

Apparemment, ces événements n'ont rien à voir entre eux. Pourtant, ces journées-là représentent la quintessence du trumpisme.

Commençons par l'insulte faite au Royaume-Uni. Patouillant dans le fumier des sites de l'ultradroite raciste, Trump sélectionne trois vidéos de Britain First – groupuscule britannique spécialisé dans les provocations anti-islamiques. On imagine la scène : le successeur d'Abraham Lincoln cliquant sur trois montages racistes – censés montrer des musulmans agressant des non-musulmans – puis assurant leur diffusion. Il s'agissait de faux et d'images éditées hors de leur contexte.

Londres a protesté, Trump ne s'est pas excusé. Ses porte-parole l'ont défendu : le président a voulu attirer l'attention sur la violence islamis-te. Cela l'autorise à détourner des images. Trump est dans son univers : mentir, manipuler, monter une communauté contre l'autre, diviser.

Dans son édition d'octobre, le mensuel Vanity Fair cherche à comprendre. Il interroge cinq historiens. A qui peut-on comparer Trump ? La Maison Blanche a déjà connu quelques scènes exotiques – du républicain Richard Nixon sombrant dans le cognac lors du scandale du Watergate au démocrate Bill Clinton baissant son pantalon devant une stagiaire. Mais des menteurs compulsifs obsédés par leur propre personne, des ego dérangés passant de l'autoadulation à l'autocommisération, des hommes en proie à des visions hallucinées – Trump a vu des " milliers de musulmans " massés sur le pont de Brooklyn pour applaudir les attentats du 11  septembre 2001, des titulaires d'un QI incertain convaincus de leur supériorité intel-lectuelle, non, il n'y en a pas eu, disent les historiens.

Les élus républicains ont pris la responsabilité historique de soutenir cet homme. A la sauvette, les 52 sénateurs du Grand Old Party lui ont donné, le 2  décembre, sa première victoire : le vote – qui sera confirmé par la majorité républicaine à la Chambre – de la réforme de la fiscalité. Il organise un énorme transfert de richesse au profit des entreprises et des plus riches des Américains. Il abaisse le taux de l'impôt sur les sociétés (de 35  % à 22 ou 20  %) afin, notamment, de lutter contre la délocalisation fiscale. L'Etat compensera la baisse de ses revenus en taillant dans les dépenses sociales.

Baisse d'impôt dictée par Dieu

Ce vote est de nature religieuse. Il obéit à un article de foi républicain : toute baisse d'impôt est dictée par Dieu. Surtout quand elle soulage les riches parce qu'ils redistribueront, sous forme d'investissements et de hausses des salaires, l'argent ainsi récupéré. Cela s'appelle la " théorie du ruissellement ". Elle ne s'est jamais avérée et les économistes la rangent sous l'étiquette de " l'économie vaudoue ". Outre que la réforme se traduira par une hausse substantielle de la dette américaine, elle va manifestement à l'encontre des intérêts d'une partie de l'électorat trumpiste.

Trump s'est fait élire sous la bannière de la révolte sociale. Il est le défenseur des laissés-pour-comp-te de la mondialisation. Il s'affiche comme le porte-parole des " petits Blancs ", privés de leur emploi, de leur dignité, de leur santé, par l'accélération libre-échangiste et technologique des trente dernières années. Seulement voilà, Trump est l'élu d'un Parti républicain qui s'est donné pour tâche de démolir l'Etat social rooseveltien, qui -diabolise l'impôt, l'assurance-santé et l'expansionnisme de l'Etat fédéral. Richissime promoteur immobilier, Trump s'est volontiers converti au catéchisme républicain. Mais il doit en permanence résoudre cette contradiction : concilier son populisme avec sa politique économique.

C'est là qu'intervient son activis-me quotidien sur Twitter. Trump sait qu'une partie de la révolte -sociale est d'origine culturelle. Contre l'élitisme libertaire du Parti démocrate, les républicains ont su gagner une partie de l'électorat populaire. Trump entretient son public. Il cultive, et exploite, le désarroi de l'opinion face à l'immigration, à l'islamisme, à l'étranger – déployant ce discours victimaire d'une Amérique malmenée par tous les maux de l'époque. Pour le moment, ça marche. Les historiens peuvent dire, avec raison, que cet homme a dégradé la démocratie américaine comme elle ne l'a jamais été et éreinté son image dans le monde entier. Il reste cette réalité : le noyau dur électoral du trumpisme tient bon, régulièrement revitalisé par les Tweet du patron.

 

Alain Frachon

 

 

Source : Le Monde

 

 

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