Mouhamed Diakité, l’émancipation en Afrique par le smartphone

Un entrepreneur ivoirien est lauréat du prix Digital Africa 2017 grâce à une application qui permet de transférer de l’argent vers l’international, de réaliser des achats à l'aide d'un téléphone et de participer au développement économique de l'Afrique.

Dans le cadre du sommet entre l’Union africaine et l’Union européenne qui se déroule les 29 et 30 novembre à Abidjan, la seconde édition du concours Digital Africa récompense dix start-up actrices de l’innovation numérique en Afrique. «Ce prix, on me le remet dans mon pays, devant ma famille, mes amis et même mes concurrents», sourit le fondateur et PDG d’ethicPhone, Mouhamed Diakité, lauréat du prix dans la catégorie : «Territoires : défi urbain, transformation rurale, smartcity».

L’entrepreneur de 46 ans a intégré cet été Station F, le «plus grand campus de start-up du monde», lancé par Xavier Niel en 2013 dans le XIIIe arrondissement de Paris. L’espace concentre 1 000 entreprises, 3 000 postes de travail et a une capacité maximale de 9 000 personnes. Mouhamed Diakité nous accueille dans cette ruche bourdonnante avec un regard qui en pompe le miel, l’habitant d’Aulnay-sous-Bois savourant «le chemin parcouru». Le prix Digital Africa s’ajoute aux nombreuses récompenses venues sanctionner une odyssée née en 2014 au sein de l’incubateur Nord/Sud Bond’innov à Bondy (Seine-Saint-Denis). Le PDG d’ethicPhone parie sur une formule 3 en 1 : appeler, transférer et payer depuis un mobile. 

«Avoir un compte en banque est réservé à une petite élite»

Un rapport du Fonds international de développement agricole (Fida) indique qu’en 2016, plus de 60 milliards de dollars (50,6 milliards d’euros) ont été envoyés vers l’Afrique (deux fois plus que l’aide publique au développement en 2016, estimée à 27 milliards d’euros). La Banque mondiale estime qu’environ 40% de l’argent rapatrié par la diaspora est envoyé de manière informelle. C’est-à-dire en passant par une tierce personne ou un intermédiaire. «Nous ne pouvons pas faire autrement, justifie Mouhamed Diakité. Je ne peux pas, par exemple, envoyer de l’argent à ma grand-mère au village.» Les zones rurales ne sont pas couvertes par les opérateurs de transfert d’argent classique, les clients se plaignent également de la cherté des opérations. EthicPhone répond à ces deux griefs grâce à un compte en banque mobile permettant d’atteindre les zones rurales. Les commissions coûtent 2 euros pour un transfert d’argent inférieur à 100 euros et 3 euros au-delà. Les tarifs actuels des concurrents se situent en moyenne entre 4,50 euros et 12 euros pour 100 euros.

Si Mouhamed Diakité parle avec autant de précision, c’est qu’il est diplômé d’un double master en stratégie d’intelligence économique en finance et ingénieur en système d’information et de la communication. Il s’est également spécialisé dans l’impact de la diaspora sur le développement l’Afrique lors de son doctorat à l’Ecole normale supérieure de Lyon. En Afrique de l’Ouest, le taux de bancarisation de la population est estimé à environ 15% avec des disparités importantes entre les territoires (5% au Niger, 20% en Côte-d’Ivoire). Au Niger, on compte un distributeur automatique de billets pour 68 053 personnes. «Avoir un compte en banque est réservé à une petite élite», précise Mouhamed Diakité. Avant de poursuivre : «La généralisation de la bancarisation passe par la téléphonie mobile qui en sera le principal vecteur.» Pour la gestion des flux financiers, ethicPhone s’appuie sur une agence de banque mobile. Contrairement à l’Europe, payer avec son téléphone portable est devenu un geste banal en Afrique. Le Boston Consulting Group évalue à 1,5 milliard de dollars les recettes en commissions pour les «banquiers mobiles» en 2019.

«Distinction continentale»

Dans cette mission de bancarisation inclusive, ethicPhone est soutenu par de nombreuses institutions publiques (1). Le fonds Garrigue, une coopérative citoyenne accompagnant les PME «ayant une finalité sociale et/ou environnementale», s’est aussi associé à la start-up. L’application mobile compte aujourd’hui 6 000 clients issus essentiellement des diasporas nord-africaines et subsahariennes. «En Europe, nous avons bénéficié de tous les financements mis à disposition par les pouvoirs publics pour accompagner une start-up innovante.» Mouhamed Diakité table sur sa deuxième «distinction continentale», après le prix Start-up of the Year Africa obtenu à Casablanca en janvier, pour installer ethicPhone en Afrique. Seul frein : le manque d’investissements. L’entrepreneur se dit confronté à des banques frileuses et des fonds d’investissement qui ne s’engagent «que si vous avez un nombre déjà considérable de clients», difficilement atteignable sans avancer une certaine somme d’argent.

Mouhamed Diakité reste persuadé qu’une politique «économique panafricaine d’investissement» pourrait redonner de l’espoir. Selon lui, seuls l’investissement et «la prise en compte du digital en tant que matière première» peuvent empêcher la jeunesse de s’échouer sur les rives de la Méditerranée, ou de tomber entre les mains d’esclavagistes.

(1) BpiFrance, Scientipôle, la région Ile-de-Franceetc.

 

Balla Fofana

 

 

Source : Libération (France)

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

 

 

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page