«Après de gros progrès, la lutte contre le paludisme régresse à nouveau»

L’Organisation mondiale de la santé publie ce mercredi son rapport 2017 sur le paludisme. Coordinateur de l’unité chargée de la résistance aux médicaments antipaludiques à l’OMS, Pascal Ringwald livre son analyse.

Ce mercredi, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publie depuis New Delhi un rapport de 196 pages contrasté sur le paludisme. Directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus est catégorique: «Nous sommes à un tournant. Sans une action urgente, nous risquons de régresser» dans la lutte contre une maladie qui a tué quelque 445 000 personnes en 2016. Le point de la situation avec Pascal Ringwald, coordinateur de l’unité chargée de la résistance aux médicaments antipaludiques de l’OMS.

Le Temps: Quels enseignements principaux tirez-vous du rapport mondial 2017 sur le paludisme?

Pascal Ringwald: Il contient des éléments positifs et négatifs. Au titre des bonnes nouvelles, nous constatons un nombre croissant de pays, près de trente, qui devraient être en mesure d’éliminer le paludisme d’ici à 2020. En revanche, dans les pays qui portent déjà un lourd fardeau par rapport à la malaria, le nombre de cas est en train d’augmenter. Selon des méthodes de calcul conservatrices, cette hausse se chiffre à cinq millions de cas par rapport à 2015. Mais elle pourrait être beaucoup plus importante, sans que cela implique nécessairement une augmentation de la mortalité.

La lutte contre le paludisme a été très fructueuse. Mais depuis trois ans, elle semble stagner. A quoi attribuez-vous ce phénomène?

On peut l’attribuer aux méthodes de collecte des données qui sont désormais beaucoup plus précises. On dispose désormais d’une meilleure surveillance. L’autre raison de la recrudescence du paludisme tient à la stagnation, depuis 2010, des investissements dans le programme de lutte antipaludique. Pour atteindre ses objectifs d’ici à 2020 de réduction du nombre de cas et de la mortalité de 40%, l’OMS estime avoir besoin de 6,5 milliards de dollars. Or, en 2016, la lutte antipaludique n’était financée qu’à hauteur de 2,7 milliards de dollars. Enfin, les Etats membres fixent des priorités différentes en termes de financement des maladies. Certains ont été confrontés à l’irruption de nouvelles maladies comme Ebola ou le sida et n’ont pas toujours les ressources pour financer d’autres programmes. Dans certains pays, les maladies non infectieuses revêtent aussi une importance croissante.

Quelques experts de la santé craignent les effets d’une résistance accrue aux médicaments antipaludiques, notamment dans des pays subsahariens où 3000 enfants meurent chaque jour de la malaria. La pharmacorésistance doit-elle nous inquiéter?

Pour combattre efficacement le paludisme, on utilise une combinaison de médicaments. On recourt à l’artémisinine, un produit chinois qui permet de réduire sensiblement la masse parasitaire. Il est combiné avec un deuxième médicament dont le rôle est de détruire les parasites restants. Si, chez un patient, il y a résistance à l’artémisinine, on sera moins à même de réduire la parasitémie de départ, soit la quantité de parasites dans les globules rouges. Il faudra compter davantage sur l’autre médicament. Cela impliquera des doses plus importantes du second médicament et/ou un traitement prolongé. En Asie du Sud-Est, où on constate une résistance accrue aux antipaludiques, les résultats restent encourageants. Dans les pays le long du Mékong, la baisse du nombre de cas se chiffre à plus de 50%. Il y a moins de 200 décès par an. Dans ces zones affectées par une forte pharmacorésistance, nous avons en réalité un autre problème: l’accès rapide aux médicaments.

La lutte contre la malaria connaît-elle d’autres lacunes?

Dans plusieurs pays, on n’investit pas suffisamment dans les diagnostics et la lutte antivectorielle ainsi que dans la recherche. Mais on explore de nouvelles pistes.

Quelles pistes par exemple?

Les trithérapies. Dans les cinq à dix ans à venir, elles vont beaucoup se développer. Des études explorent déjà leurs bienfaits. Les trithérapies dans la lutte antipaludique auront un effet majeur: elles permettront de lutter contre les résistances aux médicaments antipaludiques. De tels programmes vont sans doute commencer en Asie du Sud-Est et pourraient s’étendre ensuite à l’Afrique.

Les résistances aux médicaments sont-elles un phénomène nouveau?

Non. Dans les années 1960, on avait déjà constaté des résistances à la chloroquine en Asie du Sud-Est et en Amérique du Sud. En dix ans, elles ont touché tout le continent africain. Les cas et la mortalité avaient fortement augmenté. Les décès étaient toutefois moins liés à la résistance à la chloroquine qu’à des facteurs associés comme des anémies sévères.

Comment évaluez-vous les systèmes de santé en Afrique? Sont-ils à même de faire face à la recrudescence du paludisme?

En Afrique, la situation n’est pas comparable avec ce qu’on connaissait il y a quarante ans. Il y a désormais une meilleure surveillance et une meilleure prise en charge des cas.

 

Stéphane Bussard

 

 

Source : Le Temps (Suisse)

 

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