Au mois de décembre, François Hollande provoque un tollé en reconnaissant, dans le livre Un président ne devrait pas dire ça, avoir ordonné quatre assassinats ciblés de terroristes. Mais, selon le journaliste Vincent Nouzille, auteur du livre Erreurs Fatales: comment nos présidents ont failli face au terrorisme sorti ce 4 janvier et dont Le Monde publie les bonnes feuilles, c’est «au moins une quarantaine» de cibles qui ont ainsi été «neutralisées». En théorie, il existe deux type d’assassinats ciblés. Les «opérations homo», pour «homicide» sont effectuées par le service Alpha, lui-même dépendant du service action de la DGSE (renseignement extérieur). Elles sont effectuées au sol par une équipe qui doit rester invisible. Les autres consistent en des frappes militaires réalisées par l’armée française ou ses alliés. Toutefois, «les frontières entre l’action clandestine et l’action militaire visible sont désormais plus poreuses», explique Vincent Nouzille dans son ouvrage.
Selon lui, la France possède une «kill-list» d’individus à éliminer, et François Hollande a donné son feu vert à la DGSE et aux chefs d’état-major pour mener à bien cette mission. Toutefois, il donne son autorisation finale, dans le cadre de conseils restreints de défense. Ainsi, lorsque la France s’engage au Sahel, elle identifie des cibles à éliminer en priorité. Un document de la direction du renseignement militaire (DRM), daté du 7 mars 2014 et consulté par Le Monde, mentionne la présence de 17 HVI («high value target», cible de haute valeur en français), principalement des djihadistes d’AQMI et d’al-Mourabitoune. Quatre auraient été éliminées depuis, confirme le président.
«Entre 2008 et 2013, les forces spéciales françaises et la DGSE ont, par exemple, capturé ou tué près d’une centaine de djihadistes dans certains pays du Sahel (Mauritanie, Mali, Niger) sans qu’aucune opération militaire ait été légalement déclenchée. Sans oublier les raids menés en Libye en 2011 dans la plus grande discrétion, ou celui de la DGSE en Somalie en janvier 2013, en pleine “zone grise”», raconte le journaliste.
Libération pointait déjà la hausse du nombre de djihadistes tués le 25 décembre dernier: «Dans un étrange effet miroir, le nombre de jihadistes français ou francophones tués en Syrie ou en Irak dans des bombardements ciblés de la coalition s’est multiplié ces dernières semaines : trois ont été abattus début décembre –l'’un d’entre eux avait été condamné par la justice française qui le recherchait toujours; quelques jours plus tôt, l’un des plus hauts cadres français de l’organisation terroriste était lui aussi abattu par un drone américain; le 6 octobre, une frappe de l’armée française éliminait un membre du groupe Etat islamique soupçonné d’avoir piloté à distance l’attentat raté contre une église de Villejuif… La guerre contre l’EI dans laquelle s’est engagé l’exécutif a sa part d’ombre, sensible, secrète, taboue.»
Un tabou absolu
Après les attentats de janvier 2015, la France ne décide pas d’éliminations ciblées en Syrie. Mais après les tentatives ratées d’attaques à Villejuif, et surtout celle du Thalys, le président change de stratégie. «Qu’est-ce qu’on aurait fait si le type avait tué vingt personnes, et qu’on avait su qu’il avait été formé à Raqqa? L’idée, si l’on est menacés par un groupe extérieur, c’est qu’il faut y aller», confie alors François Hollande aux journalistes du Monde. La France fournit également des renseignements à ses alliés de la coalition, principalement les États-Unis, afin qu’ils effectuent des frappes. Selon le Monde –qui a cherché à identifier les individus éliminés– sur au moins huit djihadistes français tués, sept l’ont été par l’armée américaine. Le Pentagone a annoncé officiellement la mort de cinq d’entre eux: David Drugeon, Charaffe El-Mouadan, Boubaker El-Hakim, Salah Gourmat et Walid Hamam.
Mais le gouvernement français ne reconnaît pas publiquement qu’il élimine des individus. Ces exécutions ciblées se font en dehors du cadre légal et pourraient être considérées comme des actes de guerre, ou donner lieu à des poursuites des familles contre l’État. Elles ne sont guère prisées des magistrats qui cherchent à traduire ces «cibles» devant la justice. L’armée française préfère donc évoquer le bombardement de camps d’entraînement. Les assassinats ciblés relèvent de la raison d’État: une situation où le pouvoir s’autorise à transgresser le droit au nom d’un critère supérieur. Pour cette raison, les responsables politiques évitent, en principe, d’en parler.
«Celles et ceux qui effectuent ces actions agissent dans l’ombre. Tenter de tirer un avantage politique de ce qu’ils font les expose d’autant plus inutilement que cela peut entraîner la révélation de compétences techniques et donc servir les groupes combattus. Cela revient surtout à faire un usage bien léger de violations répétées de la légalité et à réduire à des calculs tactiques les voies, supposées plus élevées, de la raison d’État», soulignait déjà le spécialiste du terrorisme Yves Trotignon dans Le Monde fin décembre 2016.
Le projet avorté d’élimination d’Abdelhamid Abaaoud
A l’été 2015, la DGSI (renseignement intérieur) communique au président le nom d’Abdelhamid Abaaoud. Il est avancé qu'il forme des djihadistes dans une tour située à Raqqa, en Syrie.
«Dans cet immeuble, il y aurait un personnage (…) un Belgo-Marocain qui forme des djihadistes qui viennent de l’étranger, soit pour en faire des combattants sur place, soit pour retourner en Europe et frapper leur pays d’origine. (…) Son lien avec certaines des dernières attaques commises en France et en Belgique est avéré», confie François Hollande aux journaliste du Monde, le 4 septembre 2015.
Ce projet est néanmoins abandonné, en raison, selon François Hollande, de la présence trop importante de populations civiles. «Nos informations ne sont (…) pas suffisamment précises pour neutraliser cette menace en évitant tout dommage collatéral», affirme le président. Il est de toute façon trop tard pour éliminer Abdelhamid Abaaoud, qui est entré en Europe le 1er août 2015.
Repéré par Antoine Hasday
Source : Slate
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