Mauritanie : pour le ministre Moctar Ould Diay, la crise liée à la chute du cours du fer est jugulée

Après deux années difficiles, le ministre de l’Économie et des Finances parie sur un retour à l’équilibre des comptes. Et sur la capacité du pays à diversifier son économie.

À 42 ans, Moctar Ould Diay est en pleine ascension. L’ancien directeur général des impôts détient, depuis janvier 2015, le portefeuille des Finances, auquel s’est ajouté, en février 2016, celui de l’Économie.

Il est réputé pour son optimisme et le prouve dans l’entretien qu’il a accordé à Jeune Afrique en affirmant que la crise née de la chute du cours du fer est jugulée et que l’économie mauritanienne se prépare à ne plus dépendre de la rente minière.

Jeune Afrique : Il semble que les Mauritaniens continuent à souffrir de la crise qui a affecté la croissance économique et les finances de l’État. Où en est le pays ?

Moctar Ould Diay : Les Mauritaniens ne souffrent pas plus que les populations des autres pays en développement. Nous sommes pauvres, et l’accès aux services de base n’est pas universel, c’est évident. Si vous faites allusion au choc de la chute des cours des matières premières que nous avons connue, comme tous les pays miniers, oui, il a été rude mais il est derrière nous.

Quels ont été vos remèdes pour résister à ce choc ?

Pour réduire notre dépendance et faire face aux chocs engendrés par la baisse du cours du minerai de fer et par le changement climatique, nous avons d’abord mobilisé et diversifié nos recettes budgétaires. C’est ainsi que nos recettes fiscales sont passées de 42 milliards d’ouguiyas [environ 110 millions d’euros] en 2009 à 140 milliards en 2015. La progression a été comparable pour les recettes douanières. Nous avons utilisé ces ressources supplémentaires pour préparer une nouvelle dynamique de diversification de notre économie.

Par ailleurs, de 2009 à 2016, nous avons réalisé 3 100 km de routes – soit plus qu’il n’en avait été construit depuis l’indépendance –, et 2 000 km supplémentaires sont en chantier. En 2009, notre production électrique ne suffisait pas à nos besoins ; aujourd’hui, nous l’avons multipliée par dix et nous sommes devenus excédentaires. Nous n’avions que deux ports, à Nouakchott et à Nouadhibou ; trois autres sont en construction. Idem en matière de ressources humaines : nous venons de fêter la sortie des premières promotions de notre université de médecine et de notre École polytechnique.

Cette diversification n’est pas encore une réalité, mais tout est fait pour qu’elle soit réussie, selon la trajectoire que le chef de l’État nous a fixée.

Et du côté des dépenses ?

Effectivement, il faut bien dépenser l’argent du contribuable… Au cours des deux dernières années, nous avons supprimé plus de 3 000 doublons dans la fonction publique, et les salaires correspondants ont été suspendus. Et cette rigueur n’est pas liée au choc actuel. Elle persistera.

La vente de terrains et d’immeubles publics dans Nouakchott fait-elle partie de ces mesures de redressement ?

Non, une campagne de dénigrement destinée à stopper la dynamique des réformes a voulu les faire passer pour telles, mais ces opérations immobilières font partie d’une politique d’urbanisme. Jusqu’à présent, tous les terrains de Nouakchott ont été distribués de façon opaque et inéquitable. D’autre part, 70 % de la population de la capitale habitent dans des bidonvilles, et le Trésor public n’a jamais bénéficié de taxes immobilières normales.

Désormais, nous voulons supprimer les blocs incompatibles avec un centre-ville moderne. Nous distribuons gratuitement des terrains aux populations des bidonvilles et nous utilisons les réserves foncières pour l’amélioration des conditions de vie, mais aussi pour l’esthétique de notre capitale.

S’ils ne sont pas encore perceptibles par la population, les efforts du gouvernement ont-ils des résultats sur le plan macroéconomique ?

Notre déficit budgétaire était de 4 % du produit intérieur brut en 2015, nous l’avons ramené à 0 % en 2016. Notre déficit du compte courant était de 19 %, il a été réduit à 12 %. Le choc a été absorbé. Je rappelle que nous avons aussi diminué notre taux de pauvreté, qui est passé de 42 % en 2008 à 31 % en 2013.

Comment préparez-vous le futur ?

Notre croissance était supérieure à 5 % en 2014, mais seulement de 2 % en 2015. Nous estimons que nous devrions parvenir à 4 % cette année. Mais nous visons un taux de plus de 5 % à l’avenir et, pour cela, nous sommes en train d’adapter la stratégie que nous allons conduire de 2017 à 2030.

D’abord, il nous faut développer notre agriculture. Nous disposons de 500 000 ha de terres arables, dont 135 000 sont irrigables, mais nous n’en exploitons que 40 000. La marge est énorme !

Même écart entre nos possibilités et nos réalisations en matière d’élevage : nous avons 20 millions de têtes de bétail, mais nous continuons à importer viande, lait et yaourts. Nous comptons atteindre l’autosuffisance en matière de lait grâce à des usines comme celle de Néma, qui vient d’entrer en production, ou celle de Boghé.

L’agriculture et la pêche nous permettent de sortir d’une économie de rente.

Troisième secteur où nous devons progresser : la pêche. Nous n’exploitons que 1 million de tonnes alors que notre capacité est de 2 millions. Il nous faut « pêcher cette différence » et, surtout, transformer les produits de notre pêche. Il n’est pas normal que le Maroc traite 300 000 t de sa pêche industrielle et emploie 100 000 personnes pour cela, alors qu’avec 500 000 t nous ne dénombrons que 10 000 emplois directs. Nous étudions la possibilité de compléter l’unique port de pêche, celui de Nouadhibou, en créant quatre autres ports.

Ces trois secteurs nous permettront de ne pas poursuivre dans une économie de rente minière. Si le gisement de gaz de Banda débouche sur la production d’électricité à bas prix et si le gisement de phosphates tient ses promesses, alors nous aurons des atouts supplémentaires pour continuer sur notre trajectoire, qui pourrait nous valoir une croissance à deux chiffres d’ici à 2030 !

Les 10 % de croissance réalisés pendant dix ans par l’Éthiopie ne l’empêchent pas de connaître de graves troubles, nés des frustrations de certaines couches de sa population…

Je sais. Et c’est pour cela que j’ai cité l’agriculture et la pêche avant les produits pétroliers comme piliers de notre développement futur.


Un think tank pour un État de droit

Ils ne sont qu’une trentaine – hauts fonctionnaires, universitaires, journalistes ou hommes d’affaires –, mais tous très mobilisés. L’ambition des membres de Mauritanie Perspectives est de rendre l’État plus efficace, plus transparent et de le mettre au service de la cohésion nationale. « Nous sommes très modestes, explique le président de ce think tank, Mohameden Ould Bah Ould Hamed. Nous voulons seulement être reconnus comme un groupe de réflexion indépendant et que l’on fasse appel à nous quand un avis se révèle nécessaire sur l’évaluation de la lutte contre la pauvreté ou sur les doublons dans l’administration. »

Financé par une cotisation mensuelle de 5 000 ouguiyas (13 euros) et par l’aide des agences de coopération internationale allemande (GIZ) et espagnole (Aecid), ainsi que par celle de l’Agence française de développement (AFD), Mauritanie Perspectives réfléchit avec la société civile ou avec les administrations en vue d’améliorer et de réformer ce qui doit l’être. L’éducation est l’une de ses priorités, « parce qu’une bonne école donne de bons fonctionnaires, de bons politiques et une bonne gestion, qui sont les éléments constitutifs d’un vrai État de droit », souligne Mohameden Ould Bah Ould Hamed.

Cependant, selon une critique omniprésente au sein de la sphère publique mauritanienne, le think tank compterait trop de Beydanes (Maures blancs) et pas assez de Négro-Mauritaniens.

Alain Faujas

 

Source  : Jeune Afrique

 

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