Stupeur en Gambie : Le président Jammeh se dédit et crie à la fraude

Kassataya – (Paris) – Le 2 octobre 2016 quand le président de la Commission Electorale Indépendante gambienne, M. Alieu Momar Njie apparut à la GRTS, la TV nationale, pour exprimer sa surprise de voir le président sortant, l’inénarrable, l’excentrique His Excellency Sheikh Professor Alhaji Dr Yahya AJJ Jammeh, Babili Mansa féliciter son adversaire et M. Adama Barrow, vainqueur de l’élection présidentielle, ce fut le début d’un mini-séisme pour ceux qui suivent la situation politique dans ce petit pays enclavé dans le Sénégal.

 
Mais c’était trop beau pour être vrai -l’auteur de ces lignes avait écrit avant même l’intervention de Jammeh qu’il ne croyait pas une seconde en ce scénario surréaliste.
 
La suite des événements lançaient quelques signaux que peu de gens avaient su décrypter. D’abord, le président élu Adama Barrow ne fit aucune apparition dans les médias officiels nationaux parce que Yaya Jammeh s’y était opposé. Ensuite, Yaya Jammeh avait opposé une fin de non recevoir à toutes les demandes faites par le président élu pour entamer la transition et préparer la passation de pouvoir prévue pour fin janvier 2017. Enfin, ce ne sont pas moins de 49 officiers supérieurs de l’armée nationale qui ont été promus à des grades supérieurs en période de transition par un président battu supposé expédier les affaires courantes. Dès le lendemain donc, ce qui devait arriver arriva. Revoilà Yaya Jammeh tel que nous l’avons connu depuis qu’il est arrivé au pouvoir en 1994, théâtral, menaçant, jurant par Allah que les élections avaient été truquées et qu’il en rejetait totalement les résultats. C’est la stupéfaction générale. Le voisin sénégalais ne va pas tarder à réagir par la voix de son ministre des affaires étrangères M. ManKeur Ndiaye qui « rejette et condamne fermement cette Déclaration qui remet en cause celle par laquelle le Président sortant avait lui-même reconnu sa défaite après la publication des résultats du scrutin par la Commission électorale indépendante » et met en garde le président Yaya Jammeh et le gouvernement gambien contre toute tentative de porter atteinte aux intérêts des ressortissants sénégalais qui résident en Gambie. Le ministre sénégalais des affaires étrangères a également condamné l’interdiction faite à l’avion du président en exercice de la CEDEAO [ndlr le Sénégalais Macky Sall a passé le témoin à la Libérienne Ellen Johnson Sirleaf en juin 2016) d’atterrir en territoire gambien. Le ministre a enfin fait savoir que le Sénégal a saisi l’Union Africaine, la CEDEAO et demandé une réunion d’urgence du Conseil de Sécurité des Nations Unies pour examiner la situation en Gambie. C’est dire que la situation est prise au sérieux. De son côté, l’administration Obama a réagi par la voix du département d’état qui condamne fermement la décision du président Jammeh.
Et maintenant ?
En prenant cette décision peu surprenante par ailleurs, le président Jammeh joue son va-tout. Il ne semble pas avoir tiré tous les enseignements du précédent ivoirien lors de l’élection présidentielle de 2011 qui avait vu le sortant Laurent Gbagbo contester les résultats donnant Alassane Ouattara vainqueur. Le bras de fer qui s’en était suivi s’était soldé par l’intervention de la France, l’installation de Ouattara au palais président et la traduction de Laurent Gbagbo devant la CPI où il est encore incarcéré en attendant la fin de son procès. Le scénario le plus probable aujourd’hui serait une intervention des troupes de la CEDEAO avec un leadership sénégalais. A défaut d’un envoi de troupes au sol pour déloger le président Jammeh, un blocus pourrait être envisagé le long des 720 km qu’il partage avec le Sénégal et des 80 km de cotes sur sa façade atlantique. Le président Macky Sall aurait d’autant intérêt à le faire que le président élu M. Adama Barrow s’est quasiment « réfugié » dans ses bras dès son élection, pour l’assurer de relations apaisées. Pour rappel, le Sénégal entretient des relations heurtées avec la Gambie qui ont connu un pic avec un blocus de plus de trois entre février et mai 2016 quand l’imprévisible président gambien avait fait passer les tarifs du ferry qui assure les liaisons entre les deux pays de 4000 FCFA à 400 000 FCFA du jour au lendemain.
 
Le Sénégal est déjà militairement intervenu en Gambie à deux reprises dans le cadre d’opérations dénommées Fodé Kaba 1 (novembre 1980 sous Senghor) et 2 en juillet 1981 (sous Abdou Diouf) lors du putsch fomenté par Kukoi Samba Sanyang contre le président Daouda Kairaba Diawara, alors en visite en Angleterre pour le mariage de Lady Diana. Macky Sall pourrait imiter ses prédécesseurs.
 
Paradoxalement, cette décision irréfléchie de Yaya Jammeh offre une opportunité inespérée de crever l’abcès. Dans le scénario initial, Jammeh se retirait tranquillement dans son village en laissant dans l’armée des hommes qui lui sont fidèles et qui pouvaient à tout moment le ramener au pouvoir ou, à défaut, faire de lui un acteur craint et qui compte ; un peu à l’imagine du général Gilbert Djendjéré après la chute de Blaise Compaoré au Burkina Faso. En tentant de reprendre le pouvoir, le général Djendjéré avait donné au reste de l’armée du Burkina Faso l’occasion de se débarrasser définitivement du RSP et de son homme fort. Réalisant son erreur après coup, il parlera de « coup d’état le plus bête du monde ». Yaya Jammeh vient de servir à l’histoire la volte-face la plus bête du monde.
 
Plusieurs questions restent posées cependant : quel sera le sort réservé au président élu ? Quel est le rapport de force au sein de l’institution militaire ? L’armée lâchera-t-elle un des siens même pour défendre le vote des Gambiens ? Au téléphone, la cyber activiste gambienne Fatu Camara, réfugiée aux USA où elle a fondé une radio web très écoutée par la Diaspora, a confié à Kassataya.com que « l’armée gambienne est profondément divisée. Des informations proviennent du terrain faisant état de dissensions entre le Général Ousmane Bargie, le chef des armées, et le président Jammeh qui tenterait de faire arrêter le général. Des jeunes soldats ont également posté des images en brandissant des armes et se disant prêts à défendre la démocratie ». Pendant notre entretien, son téléphone sonne. On vient de lui annoncer que des coups de feu ont été entendus à Banjul. Il était 3h du matin GMT ce 10 décembre 2016.
 
 
Abdoulaye DIAGANA pour Kassataya
 
 
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