ENTRETIEN : « Le régime mauritanien a mis le pays dans une situation déplorable »

L’ex-président Ely Ould Mohamed Vall dénonce la mauvaise gestion du chef de l’Etat actuel et ses manipulations pour rester au pouvoir.

Militaire mauritanien, ancien président du pays de 2005 à 2007, Ely Ould Mohamed Vall est devenu un farouche opposant au chef de l’Etat actuel, Mohamed Ould Abdelaziz (dont il est le cousin), arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en 2008, élu en 2009 puis réélu en 2014 avec 80 % des suffrages lors d’une élection boycottée par les principaux partis de l’opposition. Il dénonce, comme une bonne partie de l’opposition, la volonté du président Aziz de modifier la Constitution – qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels – pour pouvoir se représenter en 2019.

Après deux ans de négociations, un dialogue national s’est tenu à Nouakchott en ce mois d’octobre entre le pouvoir et des membres de l’opposition avec l’objectif de réformer la Constitution (suppression du Sénat, création d’un poste de vice-président notamment). Quel bilan en tirez-vous ?

Ely Ould Mohamed Vall Ce n’était pas un dialogue mais un monologue national. Les deux plus grandes tendances de l’opposition [le Rassemblement des forces démocratiques (RFD) d’Ahmed Ould Daddah et le Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU)] ont refusé d’y participer. Parmi les rares partis qui avaient accepté d’y prendre part, l’un a fini par se retirer, l’autre par dénoncer la volonté du pouvoir de toucher aux points garantissant l’alternance. De toute façon, pourquoi accepter de débattre de la question de l’alternance avec un pouvoir sortant ? Le principe même d’en parler est inacceptable. Si le président veut vraiment respecter les institutions comme il le dit, qu’il permette aux élections de se tenir selon les formes et les normes prévues.

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La véritable question pour la Mauritanie est autre : elle a été mise par ce régime dans une situation économique déplorable. Le pays est aujourd’hui lourdement endetté alors qu’il ne l’était pas quand ce pouvoir est arrivé. La Société nationale industrielle et minière de Mauritanie (SNIM), qui assure 30 % du budget de l’Etat, risque bientôt de ne plus pouvoir fonctionner. Elle a pourtant profité pendant des années des excellents cours mondiaux, mais cette manne a été gaspillée. La pêche, deuxième ressource du pays, est aussi en crise. De même pour l’or. Tout ceci à cause de la mauvaise gestion et des détournements. Les investisseurs étrangers ne viennent plus. Cette situation est bien plus grave que cette histoire de dialogue national.

Le président s’est engagé à ne pas se représenter pour un troisième mandat. Vous ne le croyez pas ?

Depuis plusieurs mois, il essaie de modifier la Constitution. Son objectif était de trouver un consensus national. Il n’a pas réussi à le faire donc, aujourd’hui, il dit qu’il ne se représentera pas.

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Je ne le crois pas car il n’a pas tenu ses engagements, ni en 2008, ni en 2014. Son idée de référendum sur les modifications constitutionnelles ? C’est uniquement pour lui permettre d’ouvrir une brèche : soit pour se représenter lui-même soit pour présenter un homme qu’il contrôlera. Ce qui sera la même chose.

Vous dénoncez l’action d’un seul homme, mais si le président Aziz est toujours au pouvoir, n’est-ce pas qu’il est soutenu par une partie du pays ?

Depuis 1978, nous vivons une succession de régimes militaires. Le fait de tenir les institutions lui permet de se maintenir. Il faut rappeler comment ce pouvoir est arrivé en 2008 : ce n’était même pas un coup d’Etat, mais la réaction d’un seul individu. Depuis 2008 jusqu’à aujourd’hui, il continue de s’imposer par la force, et prend le pays en otage. L’opposition a appelé à manifester le 29 octobre.

La Mauritanie bénéficie d’un soutien international, notamment de pays européens…

En 2008-2009, ces pays ont estimé qu’il ne fallait pas fragiliser le pays, mais aujourd’hui, ils savent très bien que ce monsieur peut être un élément de déstabilisation. Personne ne peut ignorer que la situation est explosive. Je mets simplement les responsables des pays étrangers devant leurs responsabilités : ne pas être complices d’un régime qui entraîne ce pays vers la crise.

On reconnaît au régime du président Aziz son efficacité dans la lutte contre le terrorisme. De fait, aucune attaque n’a eu lieu dans le pays depuis 2011.

Les attaques ont commencé quand il est arrivé ! Les terroristes se sont introduits dans le pays avec lui. Si les attaques ont cessé, ce n’est pas de son fait mais la conséquence de l’opération française « Serval » au Mali.

Les lourdes peines de prison récemment infligées à des militants antiesclavagistes ont provoqué de nombreuses condamnations internationales…

Cela a été provoqué par les maladresses de ce régime. [La question de l’esclavage] est un problème de société, qui doit être géré dans le cadre d’une solution politique. Et ce serait tout à fait possible si nous étions dans un cadre normal.

Serez-vous candidat à la prochaine présidentielle de 2019 ?

Il faut d’abord trouver une solution politique : s’asseoir autour d’une table et identifier le projet de société que nous voulons, ainsi que les instruments de sa mise en œuvre. Permettre une transition politique dans la transparence dont puisse sortir un régime suffisamment légitime pour affronter les défis du pays.

Aujourd’hui, nous sommes dans une situation d’exception, dans la continuation d’une crise commencée en 2008. On ne peut pas dire : « Je fais un putsch que je légalise ensuite avec des élections. » Lorsque nous serons revenus à une situation normale, nous parlerons de la tenue d’élections.

Charlotte Bozonnet

 

Source : Le Monde

 

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