Y a-t-il encore des Bambara en Mauritanie ?

Telle est bien la question que l'on a le droit de se poser à la lecture de la récente livraison de la série du vaillant Colonel (e/r) Ould Beybacar sur l'histoire contemporaine de la Mauritanie et ses défis multiformes.  Evidemment, les sujets d'intérêt national ne manquent pas en ce moment.

Et cela pourrait expliquer qu'un certain passage de cette livraison n'ait attiré aucune attention, quelle qu'elle soit.    

Il n'y a pas si longtemps j'exprimais mon admiration pour ce colonel qui, à n'en pas douter, depuis qu'il est apparu sur la scène nationale au rythme de chroniques bien ficelées sur les questions qui fâchent tant, continue de mériter, à mon sens, d'être considéré comme l'un des « meilleurs » colonels de cette « Mauritanie des colonels » toujours à vau l'eau.  (Il n'y qu'à voir le théâtre de l'absurde qui se déroule sous nos yeux.) J'avais terminé le billet par gentiment raisonner le colonel sur une certaine comparaison fâcheuse tout en lui accordant, volontiers le bénéfice du doute (http://kassatr.cluster030.hosting.ovh.net/vous/18181-colonel-ould-beibacar-le-recadrage-de-la-mauritanie-des-colonels ).  Le colonel, du fait de son courage moral indiscutable, mérite et garde mon respect, comme il devrait celui de tous les Mauritaniens. C'est en fait ce respect qui me pousse à me remettre au clavier. 

Ne voilà-t-il pas, cependant, que le colonel, dans la dernière livraison de « l'impossible (soyons optimistes et disons 'oh combien difficile') unité nationale, écrit : « J'ai visité personnellement tous les départements de la Mauritanie à l'exception de Bir Oumgrein et de Chami, et je n'ai jamais entendu parler de communauté bambara. Dans toute ma scolarité et toute ma carrière je n'ai rencontré que trois personnes qui revendiquent ouvertement leur « bambarité », Keita Boubacar mon professeur d'anglais au collège de Kiffa, le capitaine Mamoye Diarra et Traoré Ladji" (http://lecalame.info/?q=node/4460). Evidemment, je ne doute (toujours) pas de la bonne foi du colonel.  Une fois de plus, qu'il me permette de lui dire que, là aussi, avec tout le respect dû, il se trompe. 

De nombreux cadres passés et présents de ce pays, mais aussi des dizaines de milliers de Mauritaniens de communautés de Néma à Aioun (des villes où il a pourtant servi et pas seulement visitées, si l'on en croit ses chroniques), Kiffa, M'bout, Timbédra, Kaédi, Sélibaby, et j'en passe des autres endroits moins connus lui dirons la même chose.  Peut-être bien que le colonel a visité ces localités après que les effets des dernières années du régime civil et (surtout) de celles de la 'Mauritanie de colonels' aient commencé à se faire sentir sur les communautés Bambara…  L'histoire de la Mauritanie que le colonel connait si bien lui dira aussi qu'il se trompe, ne serait-ce qu'en considérant les modifications de frontières coloniales survenue en 1947.  Et soit dit en passant, comme sa dernière chronique l'effleure à peine, si Messaoud Ould Boulkheir, par exemple, connaissait un peu mieux cette histoire, il emploierait sa verve à clamer davantage sa 'Bambara-ité' que son 'Arabité.' Mais passons !

Nombreuses sont les générations de Maures et Mauresques, 'blancs' et 'noirs' (c'était en effet ainsi qu'on les appelait, et qu'ils se reconnaissaient, simplement, avant qu'advienne cet orientalisme de bas étage où tout le monde est Arabe ou aspire à l'être) ont appris à parler le Bambara au contact de cette communauté dans les Hodhs et l'Assaba pour ne parler que de ces régions.  Dans ces régions, des vagues successives de générations (la mienne certainement, à Aioun), de gamins et gamines Maures encore une fois, 'blancs et noirs' ont été élevées au goût du N'gomi (beignet de farine de mil) au petit matin, de Tigua-dégué-na (sauce d'arachides typiquement Bambara) à midi, et de poignées de bassikourou (restants de préparation du diner) au crépuscule.  Ces générations ont été tenues en haleine de nombreuses nuits de l'année par les rythmes palpitants du Jembé et Dounoun, envoutées par les voix exquises de griottes Bambara, aujourd'hui disparues, telles que Fatouma Safo et son mari au Ngoni magique Djély Baba Dramé originaires de Tichitt.  Elles ont sans doute aussi, plusieurs fois par an, entendu, de loin, les incantations, ou vu passer, masqués et au pas de danse endiablée des jeunes adolescents Bambara pendant les cérémonies et rituels annuels du Yogoro. (Ces quelques aspects de la culture Bambara évoqués simplement à titre d'allégorie). Et il ne s'agissait pas de ce qui, aujourd'hui, passerait sans doute pour une invasion Bantoue. Ceci ne devrait surprendre personne. C'était là une simple conjugaison de l'histoire et de la géographie.  Ni plus, ni moins.  Bien sûr, la présente réaction à chaud ne saurait constituer une réponse à la mesure des questions de fond que le passage cité plus rappelle dans le cadre de cette 'impossible' unité nationale que les chroniques du bon colonel exposent avec une candeur désarmante.

Le débat sur la place des Bambara dans the psychodrame de la 'question nationale' n'est pas nouveau. Déjà, au plus fort du calvaire de certains Bambara (des plus vus !) à s'enrôler, et qui, lorsqu'ils avaient la chance inouïe de pouvoir commencer le véritable parcours du combattant que constitue l'épreuve, se voyaient confrontés à l'indignité de ne même pas pouvoir cocher l'inexistante case 'autre' (que celles des autres communautés nationales reconnues), Ahmed Jiddou Aly écrivait avec une cinglante ironie  ce qui suit en 2013:  «Par ce génial procédé, un bon mauritanien ne peut avoir pour nom de famille Diarra, Dicko, Traoré, Couloubaly, Doumbia, Dembélé, Dramé, Touré, Cissoko, Cissé, Keïta,Konaté, Koné ou Tounkara. L'éthnie Bambara est officiellement absente de Mauritanie. Nous savons tous que la Mauritanie n'a pas de frontière de 2500 km avec le Mali, que le Hodh ne faisait pas partie du Soudan français jusqu'en 1945, qu'aucun tirailleur ou employé de l'AOF n'a jamais servi dans notre pays, enfin que Bambaradougou (le plus ancien quartier de Sélibaby construit par les descendants des Bambaras Massassit, premiers colonisateurs de la région du Guidimakha avant Idaw Ich et les Français) est une pure invention de l'esprit fertile de l'auteur de l'article. Comment dans ce cas voulez-vous qu'il y ait des Bambaras chez nous?» (http://cridem.org/C_Info.php?article=58134).

A méditer par le colonel et ceux qui doutent encore (ou se refusent d'admettre) l'existence d'une communauté Bambara en Mauritanie qui, évidemment, existe bel et bien, en dépit de ce qui a été un silence assourdissant des membres de cette communauté (et qui peut le leur reprocher?)  La seule qui, dans le chorus des récentes 'déclarations' et autres 'manifestes' (plus que justifiés, au demeurant) est restée discrète.  Au delà du simple instinct de survie dans un pays et système politique qui s'obstinent à ne pas reconnaître son existence, forts de leur certitude d'avoir « déjà donné » en reconnaissant trois autres communautés Négro-Africaines, est-ce là un signe désespéré (mais aussi désespérant) de patriotisme?

A méditer aussi.

Enfin, quoique que je sois, comme l'écrasante majorité des Mauritaniens (et la Mauritanie elle-même, pardi!) un insolent défi biologique et culturel à un certain essentialisme inepte et grotesque selon l'argumentaire du colonel lui-même, je voudrais, ici, clamer, fièrement, ma Bambara-ité (c'est à dire mon appartenance assumée à la culture Bamanan).  

Un de plus donc, Colonel. Respectueusement.

 

Prof.  Boubacar N'Diaye

Politologue

 

 

(Reçu à Kassataya le 14 octobre 2016)

 

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