Nouvelles d’ailleurs : Mon pays

Un des reproches qui m'est fait est celui-ci : «  Tu n'aimes pas ton pays, tu passes ton temps à le critiquer ».

Je n'ai jamais compris cette autosuffisance de nous qui voudraient que nous devrions être obligés de ne dire que du bien, de parler de notre pays qu'en termes élogieux et flatteurs, qui nous pousseraient à n'écrire que des panégyriques.

Ce pays est le mien, est mien.

Je l'aime d'un amour puissant, profond, entier. Je ne le négocie pas au gré des circonstances. Il est mien . C'est tout. Et je suis sienne. Intégralement.

Je l'aime en poésie, je l'aime charnellement, je l'aime avec ses grandeurs et ses petitesses, ses lumières et ses pages sombres, ses vérités et ses mensonges.

Je considère que mon pays n'appartient pas à une classe ou à une communauté mais qu'il est le seul bien que nous avons, en dehors du don précieux de la vie, qu'il est notre cœur et notre frontière.

Je l'aime d'un amour fou, passionnel, je l'aime en colère, je l'aime en paix.

Il me possède, je le possède.

Il est mon pays des merveilles.

Mais il est aussi mon pays de douleurs, de souffrances, d'injustices, d'inégalités, d'exploitation de l’homme par l'homme, de faims, de soif…

Il n'est pas qu’une devise, un drapeau, un hymne national. Il n'est pas un dû. Et nous ne lui sommes pas dus non plus.

Nous n'avons pas choisi de naître en ces terres balayées par les vents, par les sables, arrosées par les pluies d'hivernage ou calcinées par les sécheresses, en ces terres de cultures ou ces oasis, en ces villes anciennes ou en ces villes nouvelles, en ces villages perdus, en ces montagnes majestueuses, en ces marigots, en ces berges d'un Fleuve, en ces ciels infinis, en ces couleurs, en ces langues multiples, en ces poésies, en ces contes, en ces histoires, en ces cimetières, en ces mémoires, en ces chants…

Nous n'avons pas choisi de respirer les vents de la mer ou les vents de l'intérieur.

Nous sommes. Et je suis. Il est.

Mais c'est parce que j'aime ce pays qui est mien que verser dans un exotisme trompeur ou dans une mémoire tronquée et fantasmée ou, pire encore, dans la cécité volontaire, serait une insulte à ce pays qui nous est offert.

Nous sommes heureux et malheureux. Nous sommes tellement habitués à la misère que nous en arrivons au déni, souvent. Au déni ou à la colère, à la colère sourde de ceux qui n'ont rien. Ou à la fatalité.

Notre pays est lumineux.

Mais il est aussi charnier de tous les rêves de ceux qui l'ont inventé, imposé à la face du monde, quand nous n'étions rien et que nous sommes devenus Nation.

Il est charnier car dans ses sables dorment des hommes qui, un jour, ont subi la folie meurtrière de leurs compatriotes.

Il est faims, faims et soifs.

Il est détournements, il est gabegie, il est médiocratie érigée en vertu.

Il est laminé par les intégrismes nouveaux, refaçonné en rigidités intellectuelles.

Il est laboratoire de déconstructions.

Il est jouet et bien de l'armée.

Il est un pays où une exclusion qui ne dit pas son nom tient lieu de construction d'une identité.

Il est misères, misères qui n'ont pas de couleurs de peaux et qui n’appartiennent pas à une communauté.

Il est cette solitude dans un monde qui a perdu ses valeurs morales.

Il est cette, aussi, cette petite fille que l'on excise, cette adolescente que l'on marie, cette enfant qui meurt en couches, cette femme qui se retrouve à la rue, répudiée…

Il est cet homme qui vit sur le trottoir, qui y dort, qui tend la main aux feux rouges.

Il est ces pauvres parmi les pauvres, les Haratins, qui sont ce que nous avons produits, en tant que système, de plus hideux, ces anciens esclaves qui, même s'ils ne le sont plus considérés comme tels dans certaines communautés, en gardent le nom…

Il est cette politique qui ne se reproduit qu'au sein des mêmes classes, avec les mêmes hommes, les mêmes discours éculés, les mêmes couardises et, parfois, certains courages. Parfois….

Il est cet enfant qui dort dans la rue.

Il est cette arrogance des quartiers plus que riches, où l'étalage de l'opulence est norme.

Il est ces bidonvilles, ces quartiers de misères et de colères, ces quartiers de violences.

Il est le mensonge devenu norme, la foire aux faux diplômes, le grand bazar de l'incompétence qui dicte nos vies, la dictature camouflée en démocratie, les bruits de bottes sous le masque de l'agneau.

Il est ces rafles quotidiennes, la chasse aux étrangers.

Il est ces adwabas où l'on meurt loin des beaux quartiers de la capitale.

Il est ce pays où seule compte la religiosité étriquée et non plus la spiritualité.

Il est cette jeunesse sacrifiée sur les bancs d'une école désastreuse, crime contre la vie.

Il est la vie à crédit pour pouvoir manger, payer son loyer, mettre du gas-oil dans la voiture.

Il est cette femme qui va mourir en couche faute de soins, loin de tout centre hospitalier.

Il est cette justice qui n'accable que les pauvres , jamais les puissants, même si, parfois, elle fait semblant.

Il est ces prisons mouroirs.

Il est ces hôpitaux où si l'on n'a pas d'argent pour aller enrichir les pharmacies sises en face, on ne sera pas soigné.

Il est cet enfant qui ne va pas à l'école et qui travaille pour nourrir sa famille.

Il est ces cliniques qui permettent aux riches d'être soignés mais qui restent inaccessibles à la majorité.

Il est ce pays où les tribus font allégeance à un pouvoir.

Il est cette cour de flagorneurs qui suivent le pouvoir et l'encensent, espérant ramasser des miettes.

Il est ceux qui ont volé, qui continuent à voler, qui se sont enrichis.

….

Et nous au milieu, femmes et hommes fantastiques, débrouillards, pleins d'humour, qui négocient leur vie jour après jour, heure après heure, toujours debout, toujours debout.

Nous donnons une leçon de vie et d'humanité à ceux qui pensent pour nous, qui décident pour nous.

Et nous aimons notre pays.

J'aime mon pays. Je ne demande pas à Dieu de le bénir. Ce serait trop facile. Car Dieu nous a déjà donné beaucoup : la vie et ce bout de terre perdu entre Océan et Sahara. Et une mémoire. Et une histoire. Et des ancêtres. Et des cultures. Il nous a donné l'intelligence et le pouvoir d'agir et d'interagir sur nos environnements. A nous de faire que ce pays qui nous a été offert soit notre.

Je vois fleurir des «  Que Dieu bénisse la Mauritanie ». Ce qui sous entend qu'Il la bénisse en ce qu'elle est devenue. Ce qui serait malheureux.

Moi je dis «  Que Dieu bénisse les mauritaniens ».

Qu'Il nous bénisse…

J'aime mon pays.

 

Salut

 

Mariem mint DERWICH

 

 

Source  :  Le Calame  (Le 30 septembre 2016)

 

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