Frères ennemis

Respectivement à la tête de Manchester United et de Manchester City, José Mourinho et Pep Guardiola se retrouvent, samedi 10 septembre, pour un derby sous haute tension.

 

Même la police a été avertie. Pour le derby de Manchester United contre Manchester City, ce -samedi 10  septembre, les forces de l'ordre britanniques ont reçu un briefing complet… de la rivalité entre les deux entraîneurs, José Mourinho et Pep Guardiola. L'antagonisme est tel entre les deux hommes, à en croire les informations du Daily Mail, que la sécurité a pris en compte cet aspect psychologique, qui pourrait ajouter aux habituelles tensions du choc entre les deux clubs.

Mourinho contre Guardiola. Le Portugais de 53 ans contre l'Espagnol de 45 ans. L'abrasif contre l'esthète. L'ultraréaliste contre le -rêveur. Le héros contre l'antihéros, qui ont chacun remporté deux fois la Ligue des champions. Deux hommes qui se sont longtemps côtoyés et ont travaillé ensemble, avant de finir par se détester et d'entrer dans l'un des plus mémorables -affrontements entre entraîneurs. C'était entre 2010 et 2012. José Mourinho dirigeait le Real Madrid ; Pep Guardiola, le FC Barcelone. Les clasicos entre les deux équipes étaient -devenus des guerres de tranchée.

Le Portugais utilisait sa tactique favorite : la provocation. Par presse interposée, il accusait son adversaire de tous les maux, sous-entendait que les arbitres étaient en sa -faveur, inventait les pires humiliations. L'objectif : faire sortir l'opposant de son calme et de sa concentration. Quitte à faire du football un sport peu ragoûtant. Pep Guardiola lui-même, dans sa biographie écrite par le journaliste espagnol Guillem Balague (Pep Guardiola. Another Way of Winning, Orion, 2013, non traduit), reconnaissait sa désillusion. " Je n'ai pas un souvenir très heureux des matchs Barça-Madrid. Ce ne sont pas des matchs que j'ai aimés, que ce soit en gagnant ou en perdant. Il y avait toujours quelque chose qui laissait un mauvais goût dans la bouche. " Cette guérilla permanente avait fortement contribué à la décision de l'Espagnol de prendre une année sabbatique quand il avait quitté Barcelone en  2012, épuisé.

Et voilà que les deux hommes se retrouvent. Non seulement dans le même championnat, la très compétitive Premier League, mais dans la même ville d'un demi-million d'habitants. Old Trafford, à l'ouest de Manchester, n'est qu'à 8  kilomètres du stade Etihad.

L'affrontement n'était pas vraiment prévu. Pep Guardiola, qui entraînait le Bayern -Munich depuis 2013, s'était engagé depuis de long mois à rejoindre Manchester City. Pendant ce temps-là, les turbulences à Manchester United battaient leur plein. Depuis le -départ du mythique Alex Ferguson, il y a trois ans, les résultats ne sont pas à la hauteur. Le Néerlandais Louis van Gaal, appelé à la rescousse, n'a pas réussi à redresser le bateau. " Man U " a même échoué à se qualifier pour la Ligue des champions ces deux dernières saisons. Toutes les options pour trouver un nouvel entraîneur ont été passées en revue. José Mourinho, sans emploi depuis son -expulsion catastrophique de Chelsea en cours de saison l'an dernier, a finalement été choisi au dernier moment.

" Je peux vous promettre que rien n'aura plus touché Guardiola au cœur que d'apprendre que José Mourinho venait à Manchester. Franchement, il a dû être tenté de déchirer son contrat en petits morceaux ", estime Patrick Barclay, un commentateur de Sky Sports. Inversement, le Portugais, amateur de controverses, qui a par le passé adoré s'en prendre à Arsène Wenger quand il était à Chelsea, doit se frotter les mains… Le biographe de l'Espagnol, Guillem Balague, confirme : " Pep prend les choses très personnellement, alors que pour José ça fait juste partie du boulot… "

La lutte entre les deux hommes promet d'être d'autant plus électrique que les deux équipes semblent sur le point de revenir au meilleur niveau. Après le conte de fées de Leicester City la saison dernière, quand la petite équipe des Midlands avait remporté contre toute attente la Premier League, la domination de l'argent sonnant et trébuchant est de retour. Après trois journées de championnat, seuls les deux Manchester et Chelsea ont remporté tous leurs matchs. La rencontre de ce samedi s'annonce comme le premier choc important de la saison.

Les deux entraîneurs n'ont pas lésiné sur les moyens pour s'offrir la meilleure équipe possible. Pep Guardiola a dépensé sans compter une (très petite) partie de la fortune du cheikh d'Abou Dhabi, Mansour Bin Zayed Al-Nahyan, le propriétaire des Blues. Il a aligné 156  millions de livres (185  millions d'euros) pendant le mercato, ce qui fait de Manchester City l'équipe la plus dépensière d'Angleterre. Le -défenseur John Stones, le gardien Claudio Bravo – qui devrait faire ses débuts ce -samedi – et le milieu de terrain Ilkay Gündogan sont les signatures les plus marquantes.

Quant aux Red Devils, ils ont eux aussi brisé leur tirelire, en dépensant 145  millions de -livres (172  millions d'euros). Cette somme phénoménale ne concerne que quatre joueurs, mais elle comprend Paul Pogba. Le Français a été acheté 89  millions de livres (105  millions d'euros), devenant à 23 ans le footballeur le plus cher de tous les temps. Zlatan Ibrahimovic a aussi rejoint Manchester United, mais c'était gratuit, le Suédois étant arrivé en fin de contrat au Paris-Saint-Germain.

Lequel Zlatan a aussi quelques comptes à -régler : quand il était à Barcelone (2009-2010), le courant ne passait pas avec Guardiola. -Lionel Messi n'appréciait guère d'avoir un coéquipier qui lui fasse de l'ombre, et le Suédois avait été forcé de faire ses valises après seulement un an sur place…

Argent qui coule à flot, antécédents douloureux, ego surdimensionnés, zone géographique limitée, le tout avec une presse tabloïd -anglaise qui jette en permanence de l'huile sur le feu : tout est prêt pour faire de l'affrontement entre les deux entraîneurs un clash violent. Pourtant, tout avait si bien commencé.

Nous sommes en  1996. José Mourinho -arrive à Barcelone. Son métier : traducteur – et confident – de l'entraîneur anglais Bobby Robson. Pep Guardiola est alors l'un des -milieux de terrain les plus talentueux de l'équipe catalane. Les deux hommes s'entendent plutôt bien. Ils travaillent ensemble à la tactique de l'équipe et les relations sont cordiales.

Une scène immortalise cette entente. En mai  1997, le Barça remporte la finale de la Coupe des coupes contre le Paris-Saint-Germain. Guardiola et Mourinho tombent dans les bras l'un de l'autre. Ils sautent sur le terrain, enlacés, heureux de la victoire. " Oui, j'ai encore une photo de cette embrassade, avouera bien plus tard Mourinho à la radio -espagnole Cadena Ser. Nous étions proches. "

Leurs chemins se sont ensuite séparés. Mourinho a débuté sa carrière d'entraîneur à part entière au Portugal, avant de partir pour Chelsea. Guardiola a de son côté monté les échelons au sein du Barça, devenant entraîneur assistant de son équipe de toujours.

Arrive le printemps 2008 et le départ de Frank Rijkaard, l'entraîneur de Barcelone. Le Portugais a un rêve : lui succéder et revenir au Camp Nou. Une bonne partie de la direction est d'accord. L'homme connaît très bien le club pour y avoir passé quatre ans. Ses succès à l'étranger ont prouvé ses qualités d'entraîneur. A en croire la biographie de José Mourinho, écrite par Patrick Barclay (Mourinho. Further Anatomy of a Winner, Orion, 2011, non traduit), Guardiola a même donné son accord de principe. " Inversement, José reconnaît que Pep est un personnage important au club, explique-t-il. Il s'est dit : “Il faut que je m'entende bien avec ce type.” " Le lien entre les deux hommes semble sur le point de se resserrer.

Mais Mourinho est aussi cassant et arrogant, connu pour épuiser moralement et physiquement ses équipes. Inquiets, les dirigeants du Barça vont consulter Johan Cruyff, le génial développeur du " football total " qui a donné son style distinctif de jeu à Barcelone quand il l'entraînait entre 1988 et 1996. Le verdict du maestro ? " Prenez Guardiola. "

Le pari est gigantesque. L'Espagnol n'a -jamais été entraîneur à part entière. Pour Mourinho, cela n'en rend le camouflet que plus cinglant. Furieux, touché dans son (énorme) amour-propre, le Portugais n'a -jamais digéré cet échec. Tout était alors en place pour l'affrontement dantesque entre les deux hommes en Espagne. Celui-ci est sur le point de reprendre.

Eric Albert

 

Source : Le Monde (Supplément Sports)

 

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