Ses clips à l'image léchée, sans artifices a permis à des néophytes de ce mouvement de tout de même essayer d'accéder aux messages, au-delà du genre musical, comme elle l'espère dans cet entretien. Rencontre avec une artiste "en mission".
Vos images vidéo ont la même énergie, la même poésie que les mots et mélodies des chanteurs dont vous réalisez les clips. C'est l'image exacte posée sur la rime chantée. Particulièrement dans le rap français c'est une corrélation assez rare à mon sens… Quand je vois le clip "Lettre à la république", je vois Kéry James et son univers d'écriture. Comment arrives-tu à une telle "juste corrélation"?
Déjà, merci beaucoup pour cette rencontre; c'est toujours gratifiant pour un artiste de voir que ses œuvres voyagent à travers le monde, particulièrement en Afrique, d'autant plus que les artistes avec lesquels je travaille sont très attachés à leurs origines et au continent africain.
Pour chaque morceau que je dois clipper, il y a à mes yeux une réponse singulière à apporter. On ne peut pas dire qu'il y a un concept sorti du tiroir pour chaque morceau. A chaque fois, on doit penser l'image en fonction du morceau et de l'artiste. Pour "Lettre à la république" dont tu parles par exemple, quand Kéry James m'a fait écouter le morceau, j'ai fait "Ouhlalalala !" (rires). C'était très violent, quand même incisif dans le fond et la forme. J'embrasse certaines idées des artistes avec lesquels je travaille, mais pas toutes finalement; ce n'est pas l'objectif d'ailleurs, mais c'est vrai qu'il est important pour moi de soutenir le message le mieux possible, et faire en sorte qu'il soit entendu par le plus grand nombre.
Quand j'ai entendu "Lettre à la République" j'ai tout de suite pensé que ça allait faire mal, mais je me suis surtout dit qu'il fallait absolument que les gens entendent ce que Kéry avait à dire, qu'ils ne s'arrêtent pas uniquement à la forme qu'est le rap, ou aux mots qui sont douloureux. Voilà pourquoi on a décidé de faire quelque chose de très esthétisant, où il n'y a ni blanc ni noir, où il y a uniquement des personnages cuivrés. Nous voulions attacher le clip au concept fort que la nation française choisit de statufier certains de ses enfants, et pourquoi ne pas se rappeler que nous sommes une France multiculturelle aujourd'hui, avec une combinaison de fils historiques?
Globalement, j'ai la chance de travailler avec des artistes qui me font confiance; ils ont une idée bien prévise pour le clip dont je vais m'emparer, et essayer d'insuffler mes idées propres. Parfois l'artiste n'a pas d'idée et me donne carte blanche pour l'image!
Je cherchais des modèles d'inspiration dans certains clips que tu as réalisé, comme "12ème Lettre" ou "Fautes de français" de Lino, l'un "freestyle", l'autre fortement marqué par une grosse scénarisation de l'image… En vain; Quels sont tes modèles d'influence ?
Je me suis professionnalisé au fur et à mesure que j'avançais dans la réalisation. Je n'ai pas un cursus académique qui me menait naturellement à la réalisation (diplômée de Penninghen, école de graphismes-concepteurs – NDLR). J'ai donc beaucoup appris avec mes équipes.
Quant à l'inspiration évoquée, la manière dont j'ai appris fait que je vais puiser des perspectives nouvelles dans l'histoire de l'art, la peinture, le cinéma. Dans la culture hip-hop, il y a les incontournables comme Hype Williams, ou les gros clippeurs américains. Je pense qu'on peut ne pas nécessairement avoir vu parce qu'on clippe du rap. Au contraire, il faut garder un large spectre créatif, une bibliothèque de forme plus vaste, comme partout.
Mamoudou Lamine Kane
Source : Mozaïkrim (Le 2 septembre 2016)
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