Lors du dernier sommet de l’Union africaine tenu du 10 au 18 juillet 2016 à Kigali, le Maroc a fait savoir son intention de demander l’adhésion à cette organisation, et ce, dans une lettre distribuée aux chefs des délégations présentes.
À l’analyse de "l’Acte constitutif de l’Union Africaine", on comprend aisément pourquoi le Maroc dans sa lettre n’a pas demandé l’exclusion de la RASD de cette organisation, car il savait, ou devait savoir, qu’il lui est impossible de faire une telle demande.
Évidemment, il est devenu insupportable pour le Maroc de rester en dehors de cette grande organisation africaine, ce qui a permis à la RASD et ses allies de prendre toutes les initiatives en son absence, dont la dernière fut la nomination de Joaquim Chissano, ancien président du Mozambique, comme envoyé spécial de l’Union africaine (UA) pour le Sahara occidental.
Le Maroc cherche donc à intégrer l’Union Africaine, mais, ce faisant, il n’aura d’autres choix que de siéger aux côtés de la RASD, ce qui constitue une reconnaissance de fait de sa part, plutôt que de rester en parasite dans son sillage.
- ADHÉSION DU MAROC À L’UNION AFRICAINE :
Le Maroc a quitté formellement "l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA)" le 12 novembre 1984, dont il était un membre fondateur en 1963.
Or cette organisation n’existe plus et fut substituée, le 11 juillet 2000 par "l’Union Africaine (UA)", lors du sommet de Lomé, dont l’Acte constitutif est entré en vigueur le 26 mai 2001 à Durban (Afrique du Sud).
Par conséquent, le Maroc ne peut plus demander une "réintégration", puisque l’OUA n’existe plus, mais plutôt une simple "adhésion" à la nouvelle Union Africaine, et ce, en fonction des principes et des exigences prévus à l’Acte constitutif de celle-ci.
- OBSTACLES POUR LE MAROC AU SEIN DE L’UA:
Tout d’abord, aux termes de l’article 4 (b) de l’Acte constitutif, "l’Union africaine fonctionne conformément aux principes du Respect des frontières existant au moment de l’accession à l’indépendance".
Puis, ces mêmes principes furent réitérés à l’article 4(f, h, i, k) du "Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine", adopté par l’Assemblée de l’Union africaine à Durban le 10 juillet 2002 et entré en vigueur le 26 décembre 2003; de même qu’aux articles 3 (a) et 4(c) du "Pacte de non-agression et de défense commune de l’Union africaine", adopté Abuja le 31 janvier 2005 et entré en vigueur le 18 décembre 2009.
Les dispositions de ces instruments juridiques fondamentaux, rendent impossible pour le Maroc la revendication du Sahara Occidental au sein de l’UA, d’autant plus que la RASD est un membre fondateur de cette organisation et en règle conformément à l’Acte constitutif de celle-ci!
- EXIGENCES D’ADHÉSION POUR LE MAROC AU SEIN DE L’UA :
Selon l’article 29 de l’Acte constitutif de l’UA :
"1. Tout État africain peut, à tout moment après l’entrée en vigueur du présent Acte, notifier au Président de la Commission son intention d’adhérer au présent Acte et d’être admis comme membre de l’Union.
2. Le Président de la Commission, dès réception d’une telle notification, en communique copies à tous les États membres. L’admission est décidée à la majorité́ simple des États membres. La décision de chaque État membre est transmise au Président de la Commission qui communique la décision d’admission à l’État intéressé, après réception du nombre de voix requis."
Cela veut dire que le Maroc doit d’abord "notifier" formellement "le Président de la Commission de son intention d’adhérer à l’Acte Constitutif et, d’être admis comme membre de l’Union."
Bien sûr cette demande d’admission doit aussi être soumise au processus de ratification selon le droit interne au Maroc.
Or, le Maroc n’a jamais notifié le Président de la Commission de l’Union Africaine ou déposé une demande auprès de celui-ci relativement à son adhésion. Tout ce qu’il a fait, c’est de distribuer une lettre d’intention auprès des délégations participantes au sommet de Kigali, ce qui équivaut à un ballon d’essai pour tester les pays membres à l'égard de son hypothèse d'adhésion.
- IMPOSSIBILITÉ D’EXCLURE LA RASD APRÈS ADMISSION DU MAROC:
Pour son fonctionnement, l’Union africaine (UA) dispose de plusieurs organes énumérés à l’article 5 de son Acte constitutif.
De ces organes, c’est la Conférence de l’Union qui décide souverainement, selon l’article 7 de l’Acte, par consensus ou, à défaut, à la majorité́ des deux tiers des États membres de l’Union.
Les pouvoirs de la Conférence, en fonction desquels elle peut décider, sont énumérés aux articles 9 & 23 de l’acte, que je reproduis ici:
"Article 9: Pouvoirs et attributions de la Conférence
1. Les pouvoirs et attributions de la Conférence sont les suivants:
(a) Définir les politiques communes de l’Union;
(b) Recevoir, examiner et prendre des décisions sur les rapports et les recommandations des autres organes de l’Union et prendre des décisions à ce sujet;
(c) Examiner les demandes d’adhésion à l’Union;
(d) Créer tout organe de l’Union;
(e) Assurer le contrôle de la mise en œuvre des politiques et décisions de l’Union, et veiller à leur application par tous les États membres;
(f) Adopter le budget de l’Union;
(g) Donner des directives au Conseil exécutif sur la gestion des conflits, des situations de guerre et autres situations d’urgence ainsi que sur la restauration de la paix;
(h) Nommer et mettre fin aux fonctions des juges de la Cour de justice."
"Article 23: Imposition de sanctions
1. La Conférence détermine comme suit les sanctions appropriées à imposer à l’encontre de tout État membre qui serait en défaut de paiement de ses contributions au budget de l’Union: privation du droit de prendre la parole aux réunions, droit de vote, droit pour les ressortissants de l’État membre concerné d’occuper un poste ou une fonction au sein des organes de l’Union, de bénéficier de toute activité ou de l’exécution de tout engagement dans le cadre de l’Union
2. En outre, tout État membre qui ne se conformerait pas aux décisions et politiques de l’Union peut être frappé de sanctions notamment en matière de liens avec les autres États membres dans le domaine des transports et communications, et de toute autre mesure déterminée par la Conférence dans les domaines politique et économique."
À la lumière de ces disposition, nulle part il n’est fait mention à l’exclusion, ou même du gèle, du statut d’un État membre de l’UA.
Outre le retrait volontaire prévu à l’article 31, la seule possibilité qui existe actuellement, aux termes de l’Acte constitutif de l’Union Africaine, est la suspension d’un État membre selon l’article 30 dans le cas d’une prise de pouvoir par «des moyens anticonstitutionnels (Coup d’État)», ce qui n’est évidemment pas le cas de la RASD.
- CONCLUSION
Quels que soient les arguments du Maroc ou ses intentions, et, quoi qu’en disent ou promettent ses alliés au sein de l’Union Africaine (le Sénégal, la Côte-d’Ivoire et les autres), il est impossible de suspendre, de geler, d’exclure, et encore moins d’éjecter la RASD de l’Union Africaine suivant son Acte constitutif actuellement en vigueur.
Même les Protocoles sur les amendements adoptés à Maputo le 11 juillet 2003 et à Malabo le 27 juin 2014, lesquels sont encore en attente de ratification, n’y changent quelque chose à cet égard!
La RASD jouit donc d’un droit acquis au sein de l’Union Africaine, de sorte que le Maroc doit accepter de siéger avec elle, côte à côte, ou carrément s’abstenir d’adhérer à cette organisation, avec les conséquences qu’il connait.
Maître Takioullah Eidda, avocat
Montréal, Canada
(Reçu à Kassataya le 21 juillet 2016)
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