“Roots”, remake de la série culte, revient sur les inégalités raciales aux Etats-Unis

Minisérie regardée par plus de 100 millions d’Américains lors de sa diffusion en 1977, la série “Roots” (“Racines”) est, depuis le 30 mai, de retour à la télévision américaine. Un remake qui espère ouvrir les yeux de la nouvelle génération sur les atrocités de l’esclavagisme aux Etats-Unis.

Chaque année, la VHS abîmée de la minisérie Roots est un passage obligatoire du cours d’Histoire pour des millions d’écoliers américains. Diffusé en 1977, le programme raconte la condition d’esclave de la population noire à travers plusieurs générations d’une famille, de 1750 en Gambie jusqu’à la guerre de Sécession dans le sud des Etats-Unis. À l’époque, ABC avait diffusé les huit épisodes presque à reculons, pas convaincue que les Blancs regarderaient une série sur les Noirs dont le point de vue est majoritairement celui des esclaves. Huit jours plus tard, après la diffusion du dernier épisode devant 100 millions d’Américains – près d’un sur deux à l’époque – Roots devenait un phénomène culturel autant qu’un moment-clé du débat sur les inégalités raciales de l’Amérique post ségrégationniste.

Près de quarante ans après, trois chaînes du câble américain ont diffusé lundi 30 mai, à l’occasion de Memorial Day – le jour où l’on honore les soldats morts pour la patrie –, le premier épisode du remake de Roots avec son casting prestigieux : Laurence Fishburne, Forest Whitaker, Anna Paquin etc. « Les téléspectateurs qui ont regardé la série il y a quatre décennies ont vécu des avancées et des régressions sur la question raciale. Ils ont vu l’élection du premier président noir et un candidat à la présidentielle qui hésite à désavouer le Ku Klux Klan », explique le New York Times, preuve s’il en faut une que le sujet de l’inégalité liée à l’origine ethnique est encore d’actualité. Et qu’il le sera sans doute toujours, poursuit le journaliste, citant un personnage : « Il y a toujours quelqu’un qui va vouloir prendre ta liberté ».

Racines (Roots), minisérie réalisée par Marvin J. Chomsky, John Erman, Gilbert Moses et David Greene, créé d'après le roman homonyme d'Alex Haley et diffusée entre le 23 et le 30 janvier 1977 sur ABC.

 

Malgré ses très nombreuses qualités, la version de 1977 présentait quelques défauts, encore plus flagrants aujourd’hui. Plus besoin en 2016 d’avoir le point de vue de certains personnages blancs pour s’assurer la présence de la population blanche devant son écran. Le remake a aussi développé les personnages principaux en ne les traitant plus seulement comme des martyrs, mais comme des hommes et des femmes qui ne subissent pas fatalement leur sort, prêts à se rebeller contre le traitement qui leur est infligé. « Roots revient pour la génération Black Lives Matter (1) », titre le Daily Beast. Le site internet souligne que dans le deuxième épisode de la nouvelle version, un esclave tente de s’échapper d’une plantation avant d’être abattu, de dos, par ses négriers. Toute ressemblance avec des faits-divers récents étant fortuite.

D’abord réticents à l’idée d’un remake d’un des programmes les plus marquants de la télévision américaine, les acteurs de l’époque, sa star LeVar Burton (qui incarnait Kunta Kinté jeune) en tête, se sont depuis rangés derrière le projet. « Le mouvement Black Lives Matter, les informations qu’on lit tous les jours font que l’histoire de Roots mérite autant d’être connue aujourd’hui qu’il y a quarante ans », explique le producteur exécutif de la nouvelle version, avant d’ajouter que le climat social aux Etats-Unis nécessitera sans doute une autre piqûre de rappel dans quarante ans.

Ian Casselberry dans la série Roots (2016).

 

Une question d’inégalités raciales… et d’image

Pour autant, le groupe de chaînes derrière cet ambitieux projet n’a semble-t-il pas seulement pensé aux enfants américains qui devaient encore regarder une série longue de huit heures datant de 1977 avec sa réalisation et son montage démodés, de l’avis même des acteurs de l’époque. Comme le rapporte le Hollywood Reporter, Nancy Dubuc, présidente du groupe A+E Networks qui a diffusé lundi soir le premier épisode en simultané sur trois de ses chaînes, ne cache pas ses rêves de triomphe aux Emmy Awards. Si elle n’envisage pas de faire aussi bien que l’original avec ses 37 nominations et 9 prix reçus lors de la cérémonie de 1977, elle espère pouvoir contrer la victoire promise à la série sur le procès d’O.J. Simpson, American Crime Story, traitant aussi des questions raciales, et diffusée sur la chaîne concurrente FX. « On devrait être en face-à-face direct avec O.J. et j’espère que Roots sera l’histoire que les gens veulent reconnaître comme le message définitif [sur la question de la race]. On veut les Emmys, et pas seulement les nominations. On veut tout gagner ». Avec un budget de presque 50 millions de dollars, la chaîne phare du groupe, A&E, a mis les moyens et espère se démarquer de son étiquette télé-réalité, format qui remplit majoritairement sa grille aujourd’hui. Plusieurs chaînes, comme AMC avec The Walking Dead, et plus récemment Lifetime avec UnREAL (actuellement sur NRJ12) se sont façonnées une nouvelle image grâce à des séries ambitieuses et de qualité.

Quant à la question de l’audience, Nancy Dubuc, n’aura pas les mêmes inquiétudes que la direction d’ABC en 1977. Celle-ci, ne croyant pas du tout à la réussite du programme, avait diffusé la minisérie quotidiennement pendant huit jours plutôt qu’au rythme d’un épisode par semaine, afin de s'en débarrasser au plus vite, et ce, sans même avoir vendu tous les espaces publicitaires précédant le premier épisode. A l’inverse, le remake de Roots a beaucoup fait parler de lui en amont, s’attirant les foudres de quelques publications ultraconservatrices et les félicitations de la Maison-Blanche, qui a reçu la production et le casting le 17 mai dernier, à l'occasion d'une projection privée. « Les gens à qui j’ai parlé m’ont dit qu’ils n’avaient pas ressenti de la colère après avoir vu la série », explique l’un des acteurs principaux Malachi Kirby qui incarne Kunta Kinté, après avoir assisté à plusieurs projections dans des universités historiquement fréquentées par la population noire. « Je ne voulais pas que la série soit douloureuse pour le spectateur mais qu’elle lui apporte une meilleure compréhension, et qu’elle crée une discussion saine. Une discussion qui je l’espère, amène à des actions, car même si des progrès ont été faits, le chemin est encore long ».

 

Gaétan Mathieu

(1) Le mouvement Black Lives Matter (Les vies noires comptent) milite depuis 2013 pour dénoncer le racisme et les violences policières à l'encontre des Afro-Américains.

 

Source : Télérama

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