Les  » lions  » africains n’ont pas fini d’avancer

L'économie est certes une histoire de chiffres, mais les businessmen savent aussi combien le feeling joue dès lors qu'il faut sortir son carnet de chèques. De ce point de vue, l'Afrique part avec une longueur de retard : la dégringolade des prix du pétrole, l'instabilité politique et l'insécurité donnent une image assez catastrophique de l'avenir du continent.

Au World Economic Forum (WEF) qui s'est déroulé à Kigali, au Rwanda, du 11 au 13  mai, ce raccourci en agaçait plus d'un. " A la fin des années 1960, quand je suis arrivé au Canada pour mes études, on m'a demandé si je parlais africain : mais l'Afrique, cela n'existe pas ! Cette vision a quatre siècles ", nous expliquait Ibrahim Mayaki, secrétaire exécutif du Nepad, une agence qui coordonne les politiques économiques africaines. Les investisseurs " historiques ", issus des anciennes colonies britanniques et françaises, peinent à s'affranchir de cette vision " en bloc ". " Ils auraient tout intérêt à rajeunir leurs modèles et leurs investisseurs ", estime M. Mayaki, qui souligne le pragmatisme des nouveaux venus sur le continent : les Chinois, les Indiens et les Turcs.

" Le risque perçu est beaucoup plus important que le risque réel. Cela explique que les marges soient bien plus importantes qu'ailleurs, juge Stefano Niavas, du Boston Consulting Group, une société de conseil. En Afrique, on a tendance à s'enflammer dans un sens ou dans un autre. Mais une chose est sûre : on part de loin et le niveau de vie augmente de façon continue. La question d'être là ou pas ne se pose même pas pour des pays comme le Nigeria, l'Ethiopie, l'Afrique du Sud ou la République démocratique du Congo. "

McKinsey, qui a présenté au WEF les premières conclusions d'un rapport très attendu, " Lions on the Move 2.0 : the continuing progress of Africa's economies ", estime qu'il y a au moins trois Afrique. Le premier groupe, qui représente 19  % du PIB africain, rassemble les " stars " du continent : la Côte d'Ivoire, l'Ethiopie, le Kenya, le Maroc ou le Rwanda, dont l'économie ne dépend pas des matières premières, et dont la compétitivité s'est renforcée. Le second groupe (43  % du PIB) rassemble les pays dont la croissance a été importante au cours des cinq années passées, mais qui traversent une période d'instabilité. C'est le cas de l'Angola, de la République démocratique du Congo, du Nigeria ou encore de la Zambie, qui doivent diversifier leur économie, et régler leurs problèmes de sécurité. Le dernier groupe (38  % du PIB) est constitué des pays dont la croissance est modérée : l'Afrique du Sud, Madagascar et les trois pays ébranlés par le " printemps arabe " il y a cinq ans (Egypte, Libye et Tunisie).

" L'histoire est plus nuancée, mais les lions continuent d'avancer ", insiste Acha Leke, directeur de McKinsey en Afrique. Les investissements dans les infrastructures ont doublé en dix ans, les investissements directs étrangers ont bondi de 14  milliards de dollars en  2004 à 73  milliards en  2014. En  2034, le continent disposera du réservoir de main-d'œuvre le plus important au monde (1,1  milliard de personnes). " Le continent compte plus de 700 entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 500  millions de dollars. Elles sont en majorité locales, et leur profitabilité est bien plus élevée que dans le reste du monde ", rappelle-t-il. Selon le FMI, l'Afrique sera la deuxième région la plus dynamique dans le monde avec une croissance moyenne de 4,3  % entre 2016 et 2020. " La chute du prix des matières sert finalement de catalyseur à une évolution attendue depuis longtemps ", juge Sneha Shah, analyste chargé de l'Afrique chez Thomson Reuters.

" potentiel de croissance "

" Les fondamentaux n'ont pas changé, tout le monde reste optimiste sur le potentiel de croissance, même si momentanément certains Etats ont moins d'argent pour investir dans les infrastructures ou dans l'énergie, estime Amrote Abdella, la directrice de Microsoft 4Afrika, une initiative du géant informatique américain pour booster les nouvelles technologies sur le continent. Il y a eu beaucoup de buzz autour du décollage africain, mais il ne fallait pas attendre une transformation du jour au lendemain. " Selon cette femme d'affaires éthiopienne, nul doute que la jeunesse de l'Afrique est son meilleur atout. Très connectés, les jeunes nouent des amitiés hors frontières. La technologie leur donne accès à une éducation jusque-là inaccessible.

L'image de l'Afrique pourrait aussi évoluer à la faveur de sucess stories. " Le paiement mobile est né ici. Cela a créé de la confiance et de la fierté ", estime Frannie Léautier, vice-présidente de la Banque africaine de développement. " Les idées ne changent pas vite, mais on observe un respect grandissant pour les leaders africains, et les opinions qu'ils expriment. Cela donne davantage d'espace au dialogue ", ajoute cette Tanzanienne, en citant l'exemple de la COP21, pendant laquelle les pays africains, sur une position différente de la majorité, ont été écoutés. Cette évolution  change le regard des Africains sur leur capacité à innover. " Aujourd'hui, témoigne Frannie Léautier, la plupart d'entre eux préfèrent une chaise en plastique fabriquée en Chine à une chaise locale en bois. Nous devons davantage valoriser le made in Africa. Il y a quinze ans, les femmes de l'élite s'habillaient toutes à la mode occidentale. Ce n'est plus du tout le cas. "

Chloé Hecketsweiler

 

Source : Le Monde

 

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