Nouvelles d’ailleurs : Des Haratines et des lapins…

Les Haratines font trop d'enfants (version azizienne du « se multiplier comme des lapins »), a dit notre Sultan, lors de son discours de Nema. Discours « historique », à mettre aux côtés de moults autres discours « historiques ».

Les Haratines font trop d'enfants. Moi, je rajouterai : les Haratines sont pauvres donc les pauvres font trop d'enfants. Histoire de bien camper le décor et d'arrêter de se prendre les pieds de pseudo-sociologue dans le couscous. Et, comme ils font trop d'enfants, il est difficile de les aider et il leur est quasiment impossible de tous les envoyer à l'école. Ils font trop d'enfants donc ils sont les fossoyeurs de leur propre développement.

Je ne sais pas vous mais, moi, je trouve que le grand air de Néma, la belle de l'Est, lui va bien, à notre Président : il se sent pousser des ailes, plonge, avec délice, dans ce qu'il aime le plus : la rencontre avec le peuple. Soi-dit en passant, ce peuple de Néma, venu, sagement, l'écouter, était constitué, en grande partie, de Haratines qui ont donc appris que, d'un ils se reproduisent trop ; que, de deux, ils se reproduisent trop. Notre Sultan a donc découvert l'eau chaude, à savoir que, plus on est pauvre, plus on a des enfants.

Il a, en plus, inventé le fil à couper le beurre, en affirmant que les Haratines sont des lapins, en plus d'être des Haratines, en plus d'être des pauvres, en plus d'être la communauté la plus malheureuse de notre pays, en plus d'être les exclus. Quand je vous dis que l'air de Néma y est sûrement pour quelque chose… Nous voilà donc édifiés sur la libido des Haratines, leurs mœurs sexuelles, leurs préférences. De là à ce qu'on nous ponde le Kama Sutra version Nous Z'Autres, il ne manque qu'un poil de c… de chameau. Nous ne sommes pas loin du délit d'atteinte aux bonnes mœurs, là.

Mais revenons à nos « lapins » de Haratines qui ne trouvent rien de mieux à faire que de se reproduire à trop grande échelle. Et qui se sabordent tous seuls. Si vous me permettez, Monsieur/Excellence/Roi de Mauritanie et Commandant en Chef, de vous répondre, je vous dirais ceci : oui, les Haratines ont souvent des familles nombreuses et oui, ils sont les pauvres parmi les pauvres de notre pays. Et, oui, les pauvres font trop d'enfants. Non pas que les femmes aiment cela mais parce que la pauvreté exclut, de fait, l'accès aux politiques de planning familial. Parce que, quand on est pauvre, on n'a pas accès à l'école. Parce que, quand on est pauvre, on est loin, très loin, des mesures de santé publique.

Oui, les pauvres font trop d'enfants. Et quand on est et haratine et pauvre, on est doublement exclu.

D'abord, une exclusion culturelle, celle que j'appelle de la mémoire : pendant des siècles, les maîtres étaient bien contents que les esclaves aient beaucoup d'enfants, main d’œuvre gratuite et facile. Quand, parfois, ce n'était pas les maîtres qui aidaient à cette natalité galopante. Les oulémas d'antan ont bien ancré ceci dans la tête des esclaves. La leçon a été retenue.

Puis une exclusion économique qui fait, des Haratines de ce pays, les pauvres parmi les pauvres, les miséreux par excellence, les bataillons du tâcheronnat. L'ignorance engendrant l'ignorance, ils ont perpétué des modes familiaux traditionnels. Mais de là à dire que seuls les Haratines font trop d'enfants, je trouve qu'il y a aveuglement. Il suffit de nous promener dans nos familles pour voir que l'apanage de la reproduction infinie n'existe pas seulement chez les Haratines.

Il est un fait établi, aussi, que, plus on est riche, moins on fait d'enfants. Mais, plus on est riche, plus Madame peut se payer la pilule ou le stérilet, et le gynéco qui va avec. Je ne voudrais pas vous vexer, Monsieur, mais si vous acceptiez de jeter un œil du côté de la polygamie, vous remarqueriez ces grandes familles nombreuses où des flopées de gosses courent dans tous les sens. La famille nombreuse n'est pas l'apanage des Haratines, loin de là. Elle est même quasi la règle. Et moins on est riche, plus on se multiplie. Alors, j'aurais préféré que vous parliez, en général, sans avoir besoin d'indexer, encore une fois, une communauté qui porte beaucoup de choses sur ses épaules, enfermée dans les fantasmes, dans la hiérarchisation de nos sociétés, dans nos regards tout sauf égalitaires.

Être Haratine, est déjà lourd, très lourd comme héritage. N'allez pas y ajouter une sexualité pseudo- débridée. Ce n'est pas aux Haratines d'arrêter de faire des enfants. C'est à l’État d'assurer l'égalité de droits et de traitements à tous ses enfants. C'est à notre État – cet État dont vous claironnez, partout, qu'il est riche, que tout va bien économiquement chez nous, que nous vivons dans le plus merveilleux pays qu'il soit – de lutter contre la pauvreté ; non pas à coups de plans, de programmes ponctuels qui permettent de mettre le cousin de tel ou tel à la tête de tel ou tel organisme, cooptation entre gens aisés et éduqués et faisant peu d'enfants ; c'est à notre État d'offrir une école digne de ce nom à tous ses enfants, haratines compris, surtout haratines ; c'est à notre État de permettre, aux femmes, l'accès à la contraception gratuite, au planning familial. C'est à notre État de lutter contre les divorces à répétition qui laissent des milliers de femmes pauvres dans le dénuement total, avec charge d'une flopée d'enfants.

Donnez une vie meilleure aux pauvres et, vous verrez, ils feront moins d'enfants. Apprenez aux femmes la maîtrise de leur corps et de leur sexualité. Apprenez aux hommes l'usage des contraceptifs. Ouvrez les écoles et vous formerez des gens éduqués. Mais, de grâce, n'enfermez pas une communauté dans les clichés les plus bas, les plus ignorants. On ne parle jamais aussi bien de ce qu'on ignore. Vous semblez donc ignorer beaucoup de choses, ayant eu la chance d'échapper à ce destin de descendant d'esclave. Vous avez, peut-être sans le vouloir, renvoyé les Haratines aux pires clichés d'une présupposée sexualité débridée. De là à laisser penser, à tous les farfelus de notre pays, que les Haratines, étant noirs, sont donc des « lapins » en puissance… La question des Haratines, ce que vous appelez les « séquelles de l'esclavage », mérite plus de hauteur, plus de courage, plus d'abnégation. Et non pas une série de clichés collés à d'autres clichés.

Oui, les Haratines font beaucoup d'enfants ; oui, ils sont pauvres, extrêmement pauvres. Parce qu'ils sont loin d'avoir accès à une école digne de ce nom. Parce qu'ils sont entassés dans des ghettos à Haratines où misère et violence font bon ménage. Parce qu'ils sont les nouveaux esclaves économiques. Parce qu'ils portent cette marque « infamante » de l'esclavage passé ou actuel. Parce qu'ils sont notre honte collective. Parce qu'aucun homme politique de ce pays n'a demandé pardon, en notre nom, pour ce crime d'esclavage. Parce qu'ils sont la proie de prêcheurs en tous genres.

Il suffirait de retourner la question et de se demander, tout simplement : « En quoi l’État a-t-il failli dans sa mission d'assurer paix et prospérité à tous ses citoyens ? » ou « En quoi nos mentalités ont-elles permis ces fantasmes sur les Haratines ? » Indexer une communauté n'est pas gérer un pays. C'est tomber dans la facilité.

Salut,

 

Mariem mint Derwich

 

Source  :  Le Calame  (Le 12 mai 2016)

 

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