Si M. Toubon n’emploie jamais l’expression politiquement marquée de « préférence nationale », il montre combien l’accès à des droits aussi fondamentaux que la scolarisation ou la santé peut être entravé pour les extra-nationaux. Pire, il rappelle qu’on n’interroge même plus ces discriminations, tant elles se sont banalisées. « L’idée de traiter différemment les personnes n’ayant pas la nationalité française, de leur accorder moins de droits qu’aux nationaux est si usuelle et convenue qu’elle laisserait croire que la question de la légitimité d’une telle distinction est dépourvue de toute utilité et de tout intérêt », note-t-il dès les premières lignes de son travail.
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Depuis qu’il a endossé l’habit de Défenseur des droits en juillet 2014, Jacques Toubon ne mâche pas ses mots pour alerter sur l’esprit des lois françaises autant que sur leur application. Le rapport du jour est d’autant plus important qu’il concerne aussi les Français d’origine, puisque, à ses yeux, « le respect des droits des étrangers est un marqueur essentiel du degré de défense et de protection des droits et libertés dans un pays ». L’ancien président du conseil d’orientation du Musée de l’immigration n’en est pas à son coup d’essai sur le sujet.
En octobre 2015, il a signé l’un des rapports sur Calais qui, de l’avis général, a le mieux dessiné les manquements étatiques concernant ce lieu. Sa voix – avec d’autres – a contraint le gouvernement à faire un petit pas vers des solutions d’hébergement plus décentes, mais aussi à penser la scolarisation des enfants et à prendre en compte les jeunes isolés dans la « jungle ».
305 pages de relevés et d’analyses
Cette fois, dans « Les droits fondamentaux des étrangers en France », M. Toubon enchaîne 305 pages de relevés et d’analyses sur le sort réservé aux migrants. Le Défenseur s’arrête d’abord sur « la règle de droit elle-même, qui en instaurant parfois des critères apparemment neutres, limite de fait le plein accès aux droits fondamentaux des étrangers », comme c’est le cas des retraités chibanis, qui, après des vies de travail en France, doivent prouver un certain nombre d’années de séjour légal en France s’ils veulent percevoir le minimum vieillesse. Une obligation qui, par définition, n’incombe pas aux Français.
En matière de prestations familiales, le rapport relève que, non content de faire vivre une distinction entre les enfants français et étrangers, le code de la sécurité sociale crée une différence de traitement entre des enfants algériens et marocains, par exemple, et conduit à des refus de prestation pour les jeunes algériens, turcs, marocains, camerounais et bosniaques vivant en France.
Mais c’est surtout l’écart entre les droits officiellement proclamés et les droits effectivement exercés qui empoisonne le quotidien des extra-nationaux, les empêchant de les faire valoir dans les préfectures et les mairies.
Les réfugiés en première ligne des difficultés
Ainsi, le Défenseur a été saisi à de multiples reprises, pour le refus de scolariser des enfants dont les parents ne sont pas en séjour régulier ou sont sans domicile, alors que la scolarisation d’un enfant entre 6 ans et 16 ans est obligatoire en France. En matière d’accès aux soins, le rapport « déplore la persistance de pratiques illégales, non isolées, dans l’accès aux titres de séjours pour soins ». Sur les réfugiés, ce n’est pas mieux. Alors que le gouvernement se félicite d’avoir amélioré la situation des demandeurs d’asile grâce à la loi du 29 juillet 2015, leur situation reste assez critique, si l’on en croit le rapport, qui insiste pour « que tous les demandeurs d’asile se voient versées dans les plus brefs délais et avec effet rétroactif les allocations auxquelles ils ont droit depuis le 1er novembre 2015 », date de l’entrée en application de la nouvelle loi.
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Sont aussi analysées les difficultés qu’ont les personnes issues de l’immigration à faire venir leur famille pour une simple visite. Les listes de pièces requises et les conditions fixées par les mairies ajoutent « des conditions non prévues par les textes pour la délivrance d’une attestation d’accueil ». Dans les préfectures, l’accueil au guichet est encore plus aléatoire que dans les mairies. En dépit de l’engagement pris en 2012 par le ministère de l’intérieur d’améliorer l’accueil, « les “refoulements” persistent à l’entrée de plusieurs préfectures et constituent une entrave inacceptable au droit des étrangers à voir examiner leur situation ». Parfois les migrants se voient exiger par un guichetier un papier qu’ils n’ont légalement pas à fournir. Voire qu’ils ne pourront jamais produire.
Le Défenseur des droits demande d’ailleurs au ministre de l’intérieur d’intervenir pour « empêcher la propagation d’interprétations du droit divergentes ou illégales au sein des préfectures ». Le ministre devrait aussi « procéder à des rappels réguliers du droit applicable », estime M. Toubon. Sans certitude que la volonté politique soit là.
Maryline Baumard
Source : Le Monde
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