En 1918, l’armée américaine demandait aux Français d’être racistes avec les soldats noirs

La différence entre l'accueil des Français et la ségrégation imposée par les lois Jim Crow aux États-Unis inquiétait les officiers blancs américains.

Dans une circulaire publiée en 1919 par William Edward Burghardt Du Bois –un historien et sociologue militant pour les droits civiques– dans le magazine de la NAACP, un agent de liaison français conseille les officiers sur la façon de gérer les troupes noires américaines.

Le memo, signé par le lieutenant-colonel Jean-Louis Albert Linard, fait part des inquiétudes de l’Amérique blanche sur le traitement «familier et indulgent» que reçoivent les officiers et soldats en France. Selon l’archiviste Benjamin Doizelet, l’officier français n’est pas vraiment l’auteur de ce document, dicté par les autorités américaines.

À l’époque, des unités de soldats noirs américains étaient affectées en France aux côtés des troupes françaises. Les Français étaient généralement accueillants, en les intégrant socialement. La différence entre ses conditions et la ségrégation imposée par les lois Jim Crow aux États-Unis inquiétait les officiers et soldats blancs américains, qui ont tenté par de nombreuses façons de recréer des séparations raciales: en placardant des affiches «Réservé aux blancs» dans les bases militaires, en imposant des couvre-feu et en édictant d’autres réglementations pour que les soldats noirs restent dans le rang.

Accusations de viol et de lâcheté

Pendant la Première Guerre mondiale, des rumeurs racistes selon lesquelles les soldats noirs n’étaient pas assez performants et qu’ils représentaient un danger pour les femmes françaises circulaient en abondance. L’enquête menée par William Edward Burghardt Du Bois était justement en partie sensée réfuter ces allégations. Dans L’Encyclopédie de l’histoire afro-américaine, l’historien Cary De Cordova Wintz écrit que Du Bois «a conclu que les noirs étaient souvent dirigés par des officiers et sous-officiers blancs racistes qui assuraient un mauvais leadership et envoyaient des troupes mal équipées sur le champ de bataille, puis se défendaient en reportant la faute sur les troupes noires».

L’historien ajoute que Robert Russa Moton, à l’époque directeur adjoint de l’institut Tuskegee ­—un établissement d’enseignement afro-américain en Alabama—, s’est rendu en France en 1918 pour enquêter sur les comportements des troupes noires, et «a constaté que les accusations de viols et de lâcheté [portées à l’encontre des soldats noirs] faisaient l’objet d’une sérieuse exagération».

La circulaire du lieutenant-colonel Linard n’a sans doute pas été aussi efficace qu’il l’espérait. L’historien Richard Stolkin note que ces instructions «n’ont pas entièrement abouti auprès des Français» ; «des généraux comme Henri Gouraud ont continué à louer l'efficacité des unités noires et les ont récompensé avec la Croix de guerre». À la fin de la guerre, 171 soldats noirs américains ont été décorés de la Légion d’honneur française.

La circulaire, telle qu’elle est apparue dans le magazine de la NAACP, est reproduite ci-dessous en français et en anglais. Notez l’utilisation du svastika comme élément décoratif –d’usage dans une variété de contextes en 1919.

Adapté de l'article original, publié par Slate.com

Traduit par Emeline Amétis

 

 

Source : Slate

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