Selon certains grammairiens, cette règle ne remonterait qu’au XVIIe siècle.
Mais peu importe la date, l’essentiel est ailleurs. Cette règle traduit une tendance lourde de l’humanité, le masculin l’emporte effectivement sur le féminin depuis longtemps, depuis trop longtemps. Ce fut longtemps le cas dans le mariage avec cette aberration qui consiste à voir disparaître le nom de la femme qui se fond dans l’identité du mari. Si, en droit, il n’existe aucune obligation, la femme, par tradition, est définie une fois mariée par « l’épouse de ». Vous remarquerez que dans les formulaires administratifs, pour les hommes, il n'y a pas de rubrique « époux de ». La femme mariée perd non seulement son nom, mais devient madame après avoir été mademoiselle. L’homme reste monsieur quel que soit son statut marital, pas la femme.
Anachronique et réducteur
Désormais, de plus en plus d’épouses gardent leur nom « de jeune fille » ou y accolent celui de leur mari. Légalement, le mari peut aussi prendre le nom de son épouse, mais j’imagine qu’il y a peu de cas en France ! Il est grand temps de supprimer l’acquisition (en droit, le nom d’usage) du nom de l’époux (ou de l’épouse bien que ce cas soit rarissime) chacun gardant son nom, car le mariage n’est la disparition de l’identité d’aucun des conjoints.
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Il est temps aussi de supprimer mademoiselle ou madame, car définir une femme par son statut marital, c’est vraiment anachronique et tellement réducteur. Une circulaire prévoit le retrait de « mademoiselle » des formulaires administratifs « autant que possible » (on peut s’étonner de cette formulation), mais cela ne concerne que l’administration.
A Nairobi, en 2005, une campagne de sensibilisation contre les enlèvements : "Toutes les 30 minutes, une femme est enlevée au Kenya." Crédits : SIMON MAINA/AFP
Les combats à mener pour qu’il soit reconnu aux femmes un statut plein et entier d’être humain sont nombreux. Il faudrait malheureusement une encyclopédie pour les lister, mais j’aimerais revenir sur certains. Le 6 février, comme chaque année, c’était la Journée mondiale de la tolérance zéro contre les mutilations génitales. A part quelques manifestations et articles de presse, je n’ai entendu aucun chef d’Etat marquer cette date. Il faut dire que dans le monde, les chefs d’Etat sont quasiment tous des hommes. Aujourd’hui, les Nations unies estiment qu’il y a 200 millions de femmes victimes de mutilations génitales. 200 millions ! J’ai la faiblesse de penser que si 200 millions d’hommes étaient victimes de castration, le syndicat mâle des chefs d’Etat aurait lancé, depuis longtemps, une initiative planétaire pour sauver les attributs masculins.
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De manière générale les violences faites aux femmes ne mobilisent guère. La justice française s’est récemment illustrée par son absence totale d’humanité dans l’affaire Jacqueline Sauvage. Il arrive pourtant au droit français de trouver des circonstances atténuantes à la violence. C’est le cas du crime passionnel codifié en droit français (apparu dans le Code pénal de 1810 et abrogé en 1994), qui excusait l’auteur d’un tel crime qui, il est vrai, est 8 fois sur 10 le fait d’un homme. Cette statistique permet de mieux comprendre cette tolérance.
Fatigué du règne des gorilles
Et que dire des négociations lors de conflits ? Observez un peu les images des équipes de négociations dans n’importe quel conflit. Elles sont composées à 99 % d’hommes, le plus souvent tous habillés pareils avec des costumes sombres. Et pourtant les femmes ont leur mot à dire, car elles sont concernées. Au-delà de constituer 50 % de l’humanité, elles sont des victimes ciblées en tant que femmes. Le viol, arme de guerre dans de nombreux conflits (RDC, Irak…), émeut assez peu la communauté internationale. Plutôt que de remettre la légion d’honneur au ministre de l’intérieur saoudien, la France aurait pu honorer, par exemple, le docteur Denis Mukwege, gynécologue congolais surnommé « l’homme qui répare les femmes » pour son travail auprès des femmes victimes de viols.
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Le comité Nobel, lui, ne s’y est pas trompé en 2011 en remettant le prix Nobel de la paix à trois femmes : les Libériennes Leymah Gbowee et Hellen Johnson Sirleaf et la Yéménite Tawakkul Karman. Le livre témoignage de Leymah Gbowee, Notre force est infinie (éd. Belfond, 2012), confirme une évidence : il est grand temps d’intégrer les femmes dans les négociations de paix et la marche du monde en général.
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Il y a quelques jours, j’ai eu la chance d’assister à une conférence de Rula Ghani. Diplômée en sciences politiques et en journalisme, Rula Ghani est une femme de paix, une formidable ambassadrice pour la paix. Il est difficile de ne pas être saisi et ému par la force de son discours, qu’elle prononce sans aucune mise en scène. Rula Ghani n’a pas besoin de faire une démonstration de force pour convaincre. Elle n’a pas besoin de hausser la voix pour se faire entendre. Il lui suffit de parler avec le cœur. Rula Ghani est accessoirement l’épouse du président afghan.
On entend si peu cette mélodie dans les sphères dirigeantes. Un dirigeant crédible reste un gorille qui tambourine avec ses poings sur sa poitrine. Pour ma part je suis fatigué du règne des gorilles. Je pense ne pas être le seul. Quand je regarde le bilan de l’histoire de l’humanité dominée par les mâles, je me dis que ça vaudrait le coup de changer de logiciel. De toute façon, ça ne pourra pas être pire.
Laurent Bigot
Laurent Bigot est un ancien diplomate français devenu consultant indépendant.
Source : Le Monde
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