Déminage

« Il y a », disait Samuel Langhorne Clemens, dit Mark Twain, « trois sortes de mensonges : les mensonges, les sacrés mensonges et les statistiques ».

Notre bouillant ministre de l’Economie, en plus de la maîtrise des statistiques dont il s’est fait une spécialité, commence à traîner une solide réputation de « cireur de pompes » du guide éclairé.

Après ses fracassantes sorties devant la presse et au Parlement, où il martèle, à chaque fois, que « le pays se porte à merveille », que la baisse des prix du gasoil ne profiterait qu’à une minorité  qui dispose de voitures « dont personne ne sait comment elle les a acquises » et que les pauvres, qui peuvent « s’approvisionner, à prix réduits, dans les boutiques Emel, n’ont pas à se plaindre », le voilà qui nous sort une nouvelle et grosse boulette. C’était la semaine passée devant l’Assemblée nationale. Emporté par sa fougue, le voilà à déclarer, sans vergogne, qu’il faudrait bien « trois ou quatre mandats, à ce régime, pour achever le travail entrepris’’. Les rares députés de l’opposition présents protestent bruyamment.  Notre ministre statisticien fait comme si de rien n’était et continue sa tirade.

Quelques jours plus tard, c’est au tour du ministre de la Justice de tenir les mêmes propos. Brahim ould Daddah, avocat, juriste et vieil habitué des prétoires, ne pouvait tomber dans de tels travers incidemment. Il y a lieu donc de se poser des questions sur ces deux sorties et leur timing. Deux ministres peuvent-ils impunément se présenter aux représentants du peuple pour leur demander, ouvertement, qu’on viole le texte fondamental qu’est la Constitution ? S’ils n’ont pas été expressément envoyés pour lancer le débat, pouvaient-ils se permettre de lancer un tel pavé dans la mare ? Pourquoi, à trois années de la fin de ce deuxième et réputé ultime mandat, poser un problème qui n’en est pas un, en fait ? Et pourquoi en ce moment précis ? Susciter des réactions, occuper le pays qui vit une crise sans précédent, lancer l’idée comme quoi rien n’est tabou, même le troisième mandat, préparer le terrain à une modification de la Constitution ? Il y a, en tout cas, anguille sous roche.

A l’heure où la crise politique s’aggrave, de jour en jour, où le dialogue n’arrive pas à sortir de terre et où le Président fait, plus que jamais, cavalier seul, ignorant son opposition et méprisant ses soutiens, évoquer la question des mandats présidentiels relève, non seulement, de la bêtise mais frise, surtout, l’insolence. Venant de ministres en exercice, de telles déclarations  auraient suscité, ailleurs, une telle levée de boucliers qu’ils allaient être obligés de rendre leur tablier. Ailleurs, je veux dire : dans une démocratie un tant soit peu digne de ce nom. Où le chef n’est pas devenu chef par « rectification », pour ne pas dire coup d’Etat. Où son élection n’est entachée d’aucune irrégularité. Où ses ministres sont choisis sur la seule base de la compétence et de l’intégrité. Où la parentèle n’a pas droit de cité. Où le pays n’est pas géré, selon l’humeur et les désirs d’un seul homme qui reconnait, lui-même, être obligé, tel Superman, de tout vérifier et contrôler. Ne soyez donc pas surpris si, demain, un autre membre du gouvernement, le Premier ministre ou, même, le Président s’aventurent sur le terrain que deux ministres ont commencé à déminer. Entreprise hautement risquée, il serait toutefois bon de le leur rappeler. Et aléatoire, qui plus est : nul n’est à l’abri, en ces terrains apparemment rectifiés mais si peu constitutionnels et d’autant moins sûrs en conséquence, d’une ultime mine  oubliée…

 

Ahmed Ould Cheikh

 

Source : Le Calame (Le 30 mars 2016)

 

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