Hommage à Habib Ould Mahfoudh

Comme tous les petits Maures de mon âge, j’ai commencé par le sable. Par manger du sable. Bien obligé, il n’y avait pas d’aliments pour bébé à l’époque.

Nos parents faisaient tout pour que nous arrêtions. Mais, rien qu’à voir une carte de la Mauritanie, on s’aperçoit vite que c’est une bataille perdue d’avance.

Nous avons grandi avec l’idée simple qu’on peut vivre sans manger grand-chose et que de toutes les façons manger est un acte qui se passe amplement de publicité, un acte presque honteux dont il est tout à fait inutile de faire cas, à passer impérieusement sous silence, même si les intestins ne l’entendent pas de cette oreille. Pour résumer, on dit que ce qui se passe en aval pour une bouchée de riz est strictement la même chose que ce qui lui arrive en amont, l’entrée n’étant pas plus honorable que la sortie.

Aux enfants on inculquait très tôt des leçons de “ne-pas-manger” :

On-ne-mange-pas la nuit, on-ne-mange-pas le matin, on-ne-mange- pas avec les grandes personnes, on-ne-mange-pas ceci, cela, beaucoup de choses… Se passer de dîner est en effet censé faire grandir, manger avec les adultes est impoli, manger le foie ramollit (réservé aux femmes), manger le cœur rend couard (c’est pour les marabouts), la moelle “durcit l’œil” (rend insolent), boire le thé est impoli, les tripes sont pour celui qui tue et dépèce le mouton, la tête va au forgeron, les sabots, qu’on pouvait espérer non attribués, vont aux esclaves, même la rate, improbable machin niché aux tréfonds de l’animal, est interdite aux enfants : “celui dont le père est vivant” ne doit pas la manger sous peine d’être soupçonné d’intentions parricides.

Très tôt, nous tirions donc un trait sur tout ce qui se mange et manger devient un acte exceptionnel. Au vu de la liste des choses-à-ne-pas-manger on peut d’ailleurs se rendre aisément compte qu’il n’y a plus vraiment grand-chose à manger. Il était évidemment hors de question que nous mangions des légumes ou des fruits. La raison en est dramatiquement simple : il n’y en avait pas. En tout cas pas là où j’étais. C’est à dix ans que j’ai vu mon premier légume, à Atar. C’était une carotte. Et c’était dégueulasse. J’ai goûté. Je n’ai plus jamais recommencé. Avant la fameuse carotte, j’ai bien vu, je dis bien vu, des pommes de terre. De loin. Avant de s’imposer avec l’immortelle banava, ces légumes un peu bêtes étaient réservés aux malades. J’avais une santé de fer. C’est pourquoi d’ailleurs les parents jugeaient indispensable d’affamer leur progéniture : ça apprenait l’endurance. Et de l’endurance, il en fallait pour survivre aux soleils d’acier, à l’harmattan que crache le Sahara à jet continu, au feuilleton sans fin et à multiples rebondissements des maladies infantiles, aux coups du maître de l’école coranique sur la tète, du maître de l’école laïque sur la main, des ânes dans le ventre, aux scorpions, aux vipères des sables, aux textes de Charles Vildrac et Maurice Genevoix de nos manuels de français, aux perfides rhapsodes arabes du cinquième siècle, à la femme du marabout qui vous envoie chaque jour chercher une aiguille, un bout de fil, un miroir ou du lait caillé, à l’autre bout du monde, chez sa copine à tête de dragon qui fait semblant de ne pas vous avoir vu.

Bref, si ceux de ma génération ont survécu à tout ça, c’est bien parce qu’ils sont nés déjà passablement morts et que, par la suite, on les a si bien entraînés à vivre à demi-morts.

Devenus grands, nos relations avec la nourriture s’améliorèrent en même temps que s’améliorait celle-ci. Fort heureusement. Mais il nous a fallu longtemps pour pouvoir dire des phrases aussi simples que “j’ai faim”, “qu’est-ce qu’il y a à manger ?” ou “j’ai bien mangé”, impensables en ce pays, il y a encore fort peu de temps.

Pour ma part, je gardais pas mal de préjugés de mon “éducation à la dure” et tins quelquefois de belles revanches, sur le thé, par exemple. Pour vous donner une idée de mes rapports avec “ce qui-se-mange”, un rapide survol, par ordre alphabétique, dictionnaire d’une génération qui s’interdisait d’avoir faim ou soif.

A comme ‘Aïch

Cette galette conique de mil qu’on noie à demi dans du lait frais est une spécialité du Trarza. Comme tout ce qui vient du Trarza, elle n’est pas “seulement ça” mais tout un art de vivre, une philosophie, une attitude. Le ‘Aïch est censé adoucir les mœurs, rafraîchir les idées et permettre de beaux rêves. A quoi rêve un mangeur de ‘Aïch ? A des paradis où l’on ne mange que du ‘Aïch et où l’on dormirait en rêvant à des paradis où l’on ne mangerait que du ‘Aïch. Vieux rival du couscous, le ‘Aïch est en train de rejoindre l’Abragat, l’Igjane, le Mberbelli et Brembaghjou au musée des aliments oubliés. Qu’on n’attende pas de lui qu’il crie à l’injustice : le ‘Aïch ne crie pas.

Longtemps j’ai mangé du ‘Aïch à dîner. Bien qu’on le suppose “adoucissant”, j’avais à chaque fois l’impression d’avoir des réacteurs sous les bras. Je ne pipais mot. Un mangeur de ‘Aïch doit se montrer calme même si en lui bouillonne un volcan. Et puis le ‘Aïch ça se mérite. S’en plaindre révélerait aussitôt mon côté “barbare du Nord” – brabar sahwa – ripailleur, paillard et braillard. Il y en a qui avalent des couleuvres. Moi, j’avalais du ‘Aïch.
Le ‘Aïch perdit le pouvoir le 10 juillet 78.

B comme Banava.

Banava c’est viande plus pommes de terre plus, très très important, le pain qu’on, devinez-moi, trempe dans la sauce en écrasant une pomme au passage. Un art, tremper le pain, l’un de ces petits riens qui vous font la personnalité d’une Nation.

L’irruption de la Banava dans notre paysage culinaire fut un événement capital, une sorte de révolution culturelle. On ne mangeait jusque-là que lorsqu’on était sur le point de tomber raide mort de faim et voilà qu’on se mettait à manger pour le plaisir. Ce séisme culturel fit également glisser le thé du stade “utilitaire” qu’on prend trois fois par jour, comme un médicament, à un statut plus gai, celui de boisson festive – mais toujours d’accompagnement. Le thé ne pourra acquérir une personnalité indépendante qu’à la fin des années 70, lorsqu’il décrochera le “titre” prestigieux de “breuvage d’amour”. Les temps n’étaient plus ce qu’ils étaient, décidément, et voilà que le manger, qui “dispersait les assemblées” (expression hassania pour signifier “incongruité”, “impair”), se mettait à les rassembler. La Banava fut le premier de tous les tajines institutionnalisés par notre société pendant si longtemps sevrée de tout.

C –Bien évidemment comme Couscous.

Un plat qui prend de plus en plus de poids politique depuis le 10 juillet 78 (je plaisante, mais à peine). Le couscous, c’est l’anti-’Aïch.

Il y a plusieurs lignes de fracture en Mauritanie :

L’opposition entre nomades et sédentaires (et qui ne suit pas forcément la ligne ethnique), la plus profonde ;
L’opposition tribus guerrières – tribus maraboutiques (ou arabes/berbères) ;
Le clivage ethnique (arabo-berbères/afrosoudanais) ;
Le clivage “carnologique” (mangeurs de viande de bœuf contre partisans de la viande du chameau) ;

Et la fracture profonde entre ceux qui dînent d’un couscous et ceux qui se “refroidissent” leurs moteurs au ’Aïch. Le couscous est nettement plus convivial que le ’Aïch : on le mange à plusieurs tandis que la fameuse galette de mil se décline en portions individuelles. Le couscous a son “assemblée” qui l’attend en refaisant le monde alors que le ’Aïch peut être mangé n’importe quand. On mange le ’Aïch et on dort mais le couscous ouvre la soirée et est suivi d’un long thé autour duquel se sont décidées les choses les plus importantes de ces dernières années en Mauritanie.

L’arrivée au pouvoir des partisans du couscous, par coup d’Etat destituant le ‘Aïch, a donné une formidable impulsion à cet aliment auquel collait une fâcheuse réputation de “béton armé”, matière dont il a la pesanteur, la consistance, parfois la couleur, souvent le goût.

Faut-il rappeler l’aversion des lycéens amoureux pour le couscous et leur hantise d’entendre la bien-aimée leur dire : “Eh’ tu sens le couscous !”

Quant à moi, je me suis mis au couscous avec la guerre du Golfe en 91. Y-a-t-il une relation entre les deux ?

D- Comme Dik.

Dik veut dire « Coq » en Hassania. Ce mot a deux pluriels – diouk et diâk – au départ strictement « égaux ». Ensuite, assez tard du reste, les années 1970 (cette décennie marque la vraie entrée de la Mauritanie dans le siècle), les pluriels se « spécialisent » si l’on peut dire (et on peut) : diouk a plutôt tendance aujourd’hui à désigner « les poulets », « les coqs qu’on mange » déjà morts, bien entendu, cuits, rôtis ou grillés, tandis que « diâk » signifierait désormais les « coqs vivants ».

Jusqu’à la fin des années 1970 en effet, peu de Mauritaniens mangeaient de la volaille. Ne disait-on pas que « des gens qui mangent des œufs de poules mangeraient n’importe quoi » ? Les coqs, il faut le dire, n’avaient comme nourriture que les rares crachats consentis par les passants. Puis surgirent les « Restaurants », ces bouis-bouis infâmes qui jusqu’alors ne proposaient que du café-Nestlé le matin, du riz-au-poisson à midi et du bifteck le reste de la journée.

Les restaurants se mirent donc aux « coqs ». Pas par une brusque poussée d’amour pour les gallinacés mais parce que le marché africain fut inondé en cette période par les stocks de poulet congelé depuis les années 1950 et dont les Européens ne voulaient plus.

Comme il était plus facile d’acheter un poulet qu’un mouton (qui était jusqu’à cette date, la plus petite pièce « égorgeable »), le volatile connût un grand succès, juste récompense après une si longue hibernation dans les frigos danois (un pléonasme ?).

Ce succès gallique se limita toutefois au milieu des amours fugitives – et qu’on n’osait encore tarifier. « Le coq » fut l’offrande symbolique qui ouvrait les paradis des nuits glauques de Nouakchott. Etrange destin pour « l’oiseau-muezzin » qui jamais ne pensa accompagner les noctambules, surtout pas de cette façon.

On raconte sous les tentes qu’un jour un coq partit avec une caravane pour un long, très long voyage. Pour le faire tenir on le suspendit par les pattes au garbous (pommeau) de la selle du méhari d’accompagnement. Et pendant des mois et des mois, du pas lent des chameaux, le coq fut ballotté de souk en souk et de campement en douar, toujours suspendu au garbous de la rahla. De retour chez lui, tout le monde accourut pour l’entendre raconter son voyage, ce qu’il a vu de l’Orient, ses couleurs, ses senteurs, ses splendeurs. Le coq voyageur s’ébroua, s’éclaircit la gorge, pencha la tête à gauche puis à droite, toisa l’assemblée et dit d’une voix forte : « Pour tout vous dire, je n’ai rien vu : je suis parti d’ici la tête en bas et j’y suis revenu la tête en bas ».

Les « diouk » risquent de faire le même parcours dans le Sahara gastronomique mauritanien : ils y sont en train d’en sortir dans la même position. On remarque en effet une désaffection croissante pour les poulets bien qu’ils soient aujourd’hui élevés ici en quantité industrielle. Mais leur réputation sulfureuse leur colle à la peau bien que le sésame de ces dames soit plutôt aujourd’hui « le lait », entendez El Badia. On ose espérer après la vogue des « coqs » et du lait Badia, qu’un jour -un soir- ces belles de nuit se mettent à réclamer à leurs soupirants d’un soir des journaux. Cela contribuera peut-être à sortir la presse indépendante de son marasme.

E comme Eau
L’eau est censée être la « boisson des hommes », les femmes pouvant passer leur vie sans en boire une goutte. Très rare, l’eau doit se consommer avec modération et les mamans passaient leur temps à avertir leurs enfants « l’eau va mettre tes intestins en pièces si tu continues à en boire comme ça ». Pour lui donner mauvaise réputation et la protéger donc on l’appelait « l’eau noire », el ma-lak-hal.

Faut-il préciser que boire de l’eau avec les repas nous est venu du Sénégal avec le tiéboudiène ?
Le premier gaf chantant les vertus d’un plat quelconque date des années 1960. Il est très mauvais, mais tout le monde le connaît, la poésie jouant jusqu’à récemment un rôle de véritable média populaire
« Avdal dha-l-qût
Butt emn-elma
Mâru wul-l-hût
U supoma ».

Pour se sustenter / rien de tel qu’un pot d’eau/ accompagnant du riz au poisson/ aux choux pommés.
Piètre inspiration, certes mais signe des nouveaux temps où manger n’était plus considéré comme une activité honteuse.

Ces bouts rimés restent d’ailleurs, à notre connaissance, la seule pièce consacrée à la nourriture.
Les seuls autres exemples approchants se retrouvent dans la poésie ïambique et là, c’est plutôt d’absence de nourriture –quand l’hôte manque à son devoir d’hospitalité – qu’il s’agit.

F Comme « eff », On dit ça quand ça sent mauvais.

G comme grûne ajakane

Grûne ajakane sont les fruits d’une cucurbitacée poussant au fond des vallées en général, des sortes de cornichons sauvages. Les anciens nous parlent toujours de l’époque où l’on trouvait des grûnes ajakane à profusion comme une sorte d’Age d’Or. Grûne ajakane (cornes d’ajakane) étaient synonymes d’abondance, de fête, d’insouciance.

Je n’ai jamais vu de grûne ajakane. J’ai entendu qu’il en pousse encore autour de Timiguint, pas loin de Méderdra. Mais il y avait des lieux où l’on pouvait aller et Timiguint n’était pas de ceux-là. Aller à Timiguint était considéré comme « ringard », je ne sais pas pourquoi d’ailleurs, alors que par exemple, Hsey El Mahsar, Charatt, Boutombtaya et même Ten Yidha étaient des lieux « à la mode ». Mais aller à Ndabessat, Mbeyket Raha, Ikika ou Timiguint, même pour chercher des cornes d’ajakane, vous exposait aux pires railleries.

Je restais donc condamné à chercher des cornichons du côté de Dhayat Le’boud dans une quête qui ressemblait fort à la chasse à la Licorne.

H Comme Haricots

Adlagane ! Ah, nos ineffables haricots qui vous regardent de leurs petits yeux tristes ! Qui chantera un jour la bravoure du haricot mijotant à petit feu, fort et digne dans l’adversité des jours sans viande ? Qui dira son ire vengeresse, une fois dans les estomacs et les déboires qui s’en suivent ? Haricot, mon frère haricot, qui sauva la Mauritanie de la famine, toi que les Mauritaniens font semblant aujourd’hui de ne t’avoir jamais vu ?
Ne pleure pas, petit haricot, sèche les larmes de tes jolis petits yeux, nous te reviendrons un jour.

I comme Igjane

Igjane, ce n’est pas bon, il n’y a rien d’autre à dire de cette infâme bouillie de mil.
J comme Jiva

Jiva veut dire à la fois « charogne » et « non halal », c’est-à-dire non égorgé selon le rite musulman qui veut que l’on passe le couteau d’une oreille à l’autre de la bête, au niveau du « troisième anneau » cartilagineux de la trachée-artère. L’Islam interdit de manger expressément la viande de porc et la « charogne », c’est-à-dire aussi bien une bête morte qu’une bête qui n’a pas été égorgée dans les règles.

La hantise du Mauritanien est d’avoir à manger pas halal, ce qui rendrait en quelque sorte son sang impur pour toujours.

Qu’un sang pur abreuve nos sillons…

K comme Kebda, le foie

Le foie se mange à toutes les sauces, comme tajine, brunch, entrée, rôti ou grillé, nature ou aux oignons et sauce vinaigrette.

Le foie du chameau jouit d’un prestige particulier. On le grille avec de la bosse de l’animal et ça flambe joliment. Ça peut même mettre le feu à la maison. Ce n’est jamais arrivé et « le foie et la bosse », est un duo qui est devenu aussi célèbre que Kalila et Dimna, Qais et Leila, Laurel et Hardi, Seddoum et Dimi, Jacob et Delafon, Lagarde et Michard ou Maaouya et Louleid. Mais ce duo a quelque chose de plus que les autres, surtout par rapport à Maaouya et Louleid : il se mange !

L comme Lait

Traditionnellement les gens « bien » se nourrissaient uniquement de lait et de viande. Les aliments à base de céréales (znina) étaient plutôt considérés comme un pis-aller, un coupe-faim en attendant des jours meilleurs.
Le lait a une excellente réputation. C’est un aliment « béni » -mbarek- auquel on attribue beaucoup de vertus purificatrices. Est-ce qu’il faut en revenir à ce rôle « purificateur » pour comprendre pourquoi le lait a remplacé les poulets comme prix symbolique des étreintes rapides des nuits de nos grandes villes.

M Comme maaru, le riz

Il est là, devant nous, chaque jour que Dieu fait, il est entré dans nos assiettes il y a près d’un siècle avec les comptoirs commerciaux coloniaux. Je crois que c’est Maurel & Prom qui a vendu le premier kilo de riz en Mauritanie, marquant notre entrée dans le « système économique mondial ». Ce fut le premier produit de grande consommation chez nous, avec le sucre Saint-Louis de Marseille (Telji) et les pièces d’étoffes teintes à l’indigo (Nilé).

Aujourd’hui on dit « plus célèbre que le riz ». Vous avez compris, je ne présenterai pas plus longtemps ce compagnon de toujours. Je demanderai plutôt au riz de me présenter. Peut-être qu’un jour, avec le riz à la viande et le riz au poisson, on aura du riz au Calame.

N comme NON, je ne mange pas !

Mange, mange !
Non, non, ça va, ma chaallah !
Mange, on te dit !
Non, non, je vous jure, je suis rassasié !
Non, mange !
Dialogue classique et obligatoire (traditionnellement) entre celui qui reçoit et son invité.
Manger sans y être contraint a longtemps été une impardonnable grossièreté.

O comme orge

L’orge (sh’ir) était considérée comme la seule céréale « noble » par les nomades qui méprisaient tout ce qui n’était pas le lait et la viande. Cette bienveillance à l’égard de l’orge s’explique par le fait qu’on la cultivait sous les palmiers, arbres si nobles pour les maures qu’il est très malséant de dire que ce sont des arbres (d’ailleurs personne ne le dit). L’orge avait aussi l’honneur de cohabiter avec la viande séchée de gazelle dans le belghman, un plat roboratif et rébarbatif.

P Comme patate douce, mbatass

Un rêve de gosse, les patates douces grillées. Je crois qu’elles n’ont plus le même goût. Pas vous ?
Q comme quinqueliba

Je me demande encore c’est quoi le quinqueliba. Le syllabaire dans lequel nous apprîmes à lire était plein, à la lettre q de quinqueliba que Toto buvait quand il avait la colique. Le quinqueliba a finalement eu raison de Toto, parce qu’on n’entend plus parler de ce charmant bambin.

R comme Radio-Mauritanie

Radio-Mauritanie commençait ses programmes de la mi-journée à midi. En attendant le journal parlé de 13 heures et le déjeuner, qui tombait presque en même temps, on écoutait les communiqués en pulaar de Ball Amadou Tidjane. Depuis, pour presque tous les Mauritaniens, la voix de Baal est synonyme de déjeuner. Un speaker célèbre qui disait toujours « al akhbar bi tafsil » (les nouvelles dans le détail), se trompa un jour en annonçant « al akhbar fi tabsil » (les nouvelle dans l’assiette). Cela fit beaucoup rire et depuis les journalistes du 13 heures disent « al akhbar mufassala » (les nouvelles détaillées) par prudence, sans doute. Mais, attention, Radio-Mauritanie ne se mange pas, elle s’écoute. Bon.

S Comme sauce

Qui n’a pas mangé du mburu-sauce ? Moi ! On risquait tellement gros, de retour à la maison, que ça n’en valait pas la peine. Aujourd’hui, j’ai beau chercher partout du mburu-sauce, je n’en trouve pas.

T Comme thé

Ça se boit.

U Comme Unité nationale

Ça, ça ne se mange pas.

V comme viande

Il y a là encore plusieurs sortes de viandes. Si tout le monde a fait son deuil de la viande dite noire (gazelles, outardes, addax), une bataille sourde oppose depuis des siècles les mangeurs de viande de chameau et les mangeurs de viande de bœuf.

Traditionnellement, c’était « dis-moi quelle viande tu manges et je te dirai qui tu es ». Au profil du mangeur de bœuf correspondrait ainsi un marabout sédentaire de la zone sahélo-soudanaise du pays. Le mangeur de chameau serait plutôt, lui, un guerrier nomade de la zone saharienne. C’est devenu moins systématique, mais il est très visible que la viande de chameau gagne du terrain sur le bœuf, au moins dans les grandes villes. Mais il n’y a pas que les deux géants qui s’affrontent.

Les petits sont aussi à couteau tirés, même si les moutons dominent complètement aujourd’hui les chèvres dont la viande est désormais réservée aux malades, sans doute pour précipiter leur mort.

Il y a une mention spéciale, à faire pour la viande de bouc. Il faut y goûter au moins une fois dans sa vie. Ça ne ressemble à rien de connu, même si on se dit que, par le goût, la couleur et l’odeur, les vieux souliers en cuir n’y sont pas étrangers.

On mange aussi la viande faisandée (maqvu) et la viande séchée (tichtar). Si on veut être très important quand on mange la viande : il faut impérativement « connaître par où se mange l’omoplate ». C’est par ça qu’on distingue entre gentilhomme et simple quidam. Entre nous, ça se mange par où l’omoplate ?

W comme le waw : C’est une lettre que les Mauritaniens n’aiment pas.

X comme inconnu

Ici j’adresse une pensée émue à tous les repas que j’ai mangés et qui n’avaient pas des noms. Peut-être, pour leur montrer ma gratitude, devrais-je m’arranger avec le Secrétariat d’Etat à l’Etat-civil pour leur établir des cartes d’identité nationales. Et qui sait, je parviendrai même à les faire voter, mes repas sans nom. Tout le monde vote, pourquoi pas eux ?

Y comme Yabès : Yabès veut dire sec. Les Mauritaniens préfèrent ça à mabloul, mouillé. Allez savoir pourquoi.

Z comme zrig

Les types principaux du zrig (boisson nationale, eau plus lait, plus sucre) sont classés par ordre de « mérite », c’est-à-dire en tenant compte du rapport eau/lait. Plus il a de lait, plus c’est mieux.

Juste après l’eau, il y a le dkhîn puis abarghal, le « chnin legdah », le zrig normal, le vrik, oum nav’ayn.

Le zrig n’est pas très intéressant. Il vaudrait mieux avoir deux gadhâtes, l’une d’eau et l’autre de lait. On boira l’une ou l’autre ou l’une et l’autre. On a essayé pendant quelques années de faire du zrig Coca-Cola/lait. On appelait ça mélange. Plus personne ne s’aventure aujourd’hui à le faire.

Je n’aime pas le zrig. Je crois que le zrig, de son côté, n’est pas follement amoureux de moi. C’est son droit. Mais je préfère le thé, une découverte capitale pour l’humanité.

Feu Habib Ould Mahfoudh
Extrait des Mauritanides

 

Source : Saidou Sarr (Facebook)

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

 

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page