Aux société arabes de réformer leurs écoles

Au lieu d'expliquer les effets de l'islam comme moteur de la domination masculine, regardons du côté des déficiences des systèmes d'éducation.

 

Pour sortir du débat manichéen – pro contre anti-Daoud –, nous souhaitons proposer une analyse fondée sur les travaux empiriques récents utilisant des bases de données de grandes enquêtes d'opinion menées dans de nombreux pays. Sans prétendre nous substituer aux travaux des chercheurs, nous pouvons apporter des précisions grâce aux données d'enquêtes d'opinion. Lancée en 2012-2013 auprès de 130 000 personnes, dont 25 000 dans les pays arabes, l'enquête de la World Value Survey est instructive.

Si l'on n'appréhende pas directement la question de la frustration sexuelle, on s'en approche en s'intéressant à la question de l'opinion que les personnes interrogées peuvent avoir à l'égard du patriarcat défini comme un système familial. Un indicateur composite évalue l'adhésion des personnes interrogées à ce système, à partir de trois questions-réponses :" Lorsque les emplois sont rares, les hommes doivent-ils être prioritaires sur les femmes pour occuper un emploi ? " ; " Les hommes sont-ils de meilleurs leaders politiques que les femmes ? " ; " Les études supérieures sont-elles plus importantes pour un homme que pour une femme ? "

Il apparaît que c'est bien dans les pays arabes que les valeurs patriarcales sont les plus affirmées. Ensuite, les femmes n'acceptent pas les valeurs patriarcales dans les pays arabes comme dans la plupart des régions du monde. Le patriarcat s'exerce davantage par la cœrcition et la violence à l'égard des femmes. Enfin, si l'on observe bien un biais favorable au patriarcat dans les pays musulmans, son importance est quatre fois moindre que dans les pays arabes, qui ont la particularité d'avoir été presque tous gérés par des régimes autoritaires depuis leur indépendance. Il s'agit donc moins d'un problème lié à l'islam qu'à des éléments politiques marqués par l'emprise d'un système fondé sur la domination.

endoctrinement

Enfin, dans la plupart des pays du monde, ce sont les gens les plus éduqués qui supportent le moins le système du patriarcat. L'école et l'enseignement supérieur ont joué un rôle-clé dans l'émancipation des femmes et leur ont permis de s'engager dans des luttes féministes. Les hommes se libèrent aussi grâce au savoir et à la critique des schémas de reproduction patriarcaux. Les résultats de ces enquêtes montrent surtout que, dans les pays arabes, les personnes les plus éduquées sont à peine plus émancipées que les personnes moins éduquées. Le gain d'émancipation par l'éducation y est trois fois plus faible que pour la moyenne mondiale.

Et c'est là le point-clé qui devrait occuper les débats. Au lieu d'émanciper les citoyens, les systèmes d'éducation dans les pays arabes reproduisent les valeurs conservatrices et les rapports de domination homme-femme. On pourrait s'en tenir à une explication en termes de mauvaise qualité de l'éducation en dépit des efforts quantitatifs consentis.

En réalité, l'analyse du contenu pédagogique des programmes scolaires dans les pays arabes révèle l'existence d'éléments d'endoctrinement des élèves – peu d'intérêt pour les compétences analytiques, hyper-focalisation sur les valeurs religieuses, découragement de l'expression personnelle au profit du conformisme conduisant à favoriser à outrance les valeurs d'obéissance (au père, au maître…) et à décourager la contestation de l'autorité. Les régimes arabes ont mis en œuvre des pratiques d'ingénierie sociale dans la poursuite des objectifs de survie des élites au pouvoir.

Au service des élites

Comme le montrait Pierre Bourdieu, les institutions, au premier plan, l'école, ont pour but la survie du système de domination des élites. C'est bien ce qui s'est passé dans les pays arabes : après la parenthèse du lendemain de la décolonisation qui ont vu la promotion des valeurs nationalistes, d'autodétermination des peuples et de révolution anti-impérialiste, à partir des années 1970-1980, l'éducation est devenue un instrument aux mains des élites au pouvoir pour mater le désir d'émancipation politique des jeunes séduits par les mouvements de gauche en introduisant l'islam dans les programmes scolaires, avant de redoubler cet effort dans les années 1990 pour contrer la montée des islamistes en leur faisant concurrence sur leur terrain.

Plutôt que de privilégier l'explication des effets de l'islam comme moteur de la domination masculine, il faut s'interroger sur les déficiences des systèmes d'éducation et leur rôle d'instrument de domination qui utilisent l'islam au service de la survie et de la reproduction des régimes autoritaires qui sévissent dans le monde arabe. Pour préparer un futur plus radieux, aussi bien sur les questions de genre que d'émancipation, il faudrait que les franges progressistes de la société civile dans le monde arabe arrivent déjà à arracher des progrès significatifs dans les politiques d'éducation pour préparer leurs jeunes aux défis d'un monde qui puisse fonctionner sans patriarche dominateur.

Par Ishac Diwan et El Mouhoub Mouhoud

 

Source  : Le Monde

 

 

 

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