Ibrahim et Karim El Bakraoui : pourquoi des frères deviennent-ils des terroristes ensemble?

PSYCHOLOGIE – L'annonce a eu un air de déjà vécu. Deux frères ont été identifiés parmi les kamikazes des attentats de Bruxelles.

Il s'agit de deux Bruxellois, Khalid et Ibrahim El Bakraoui, connus des services de police belges.

Encore une fois, l'horreur a donc été commise en famille. Quelques mois plus tôt, on apprenait que deux frères faisaient partie des commandos ayant perpétré les attentats du 13 novembre à Paris: Brahim Abdeslam, qui s'est fait exploser devant un bar du boulevard Voltaire et Salah Abdeslam, dont le rôle dans les attentats de Paris reste flou, arrêté à Bruxelles le 18 mars dernier. Les deux fratries, El Bakraoui et Abdeslam, étaient proches l'une de l'autre.

Ce n'est pas la première fois que des frères de sang deviennent frères d'armes. Avant eux, les frères Kouachi se sont attaqués à Charlie Hebdo, les frères Tsarnaev ont été les auteurs des attentats de Boston en avril 2013, le frère de Mohammed Merah, responsable des tueries de Toulouse et Montauban en 2012, est détenu pour complicité d'assassinat. Abdelhamid Abaaoud, "cerveau" des attentats de Paris, est également connu pour avoir entraîné son plus jeune frère en Syrie alors qu'il n'avait que 13 ans.

Selon une étude du think tank New America, plus d'un quart des jihadistes occidentaux ont un membre de leur famille ayant participé au jihad. Comment expliquer que tant de fratries se radicalisent ensemble et avancent main dans la main jusqu'au moment de passer à l'acte?

Confiance fraternelle aveugle

Evidemment, le mode de recrutement dans les réseaux jihadistes "se fait essentiellement par des pairs", comme a pu le constater l'expert belge Rik Coolsaet. "C’est la parenté et l’amitié qui pèsent, beaucoup plus que la religion ou le quartier. Il y a un gros phénomène de groupe", souligne-t-il au Guardian.

Mais au-delà du fonctionnement presque "familial" du recrutement, le fait d'être du même sang, d'évoluer dans le même milieu, semble jouer un rôle important dans de nombreux cas de radicalisation.

"C'est un phénomène tout à fait naturel", explique à l'AFP le psychiatre et ancien agent de la CIA Marc Sageman, l'un des premiers à avoir souligné le phénomène dans son livre Understanding Terror Networks. "On développe son identité sociale d'abord en parlant à ses proches. Et les proches, ce sont bien entendu d'abord les frères et les amis d'enfance".

"C'est ce que j'appelle l'activation de l’identité sociale. C'est une question de proximité. C'est pour ça qu'il y a dans les groupes jihadistes tant de frères, parfois de sœurs, de copains de quartier. Ils grandissent ensemble. Ils rouspètent, s'inventent une identité de défenseurs d'un islam agressé, de femmes et d'enfants tués dans des bombardements aériens. Ils se radicalisent, se confortent les uns les autres", dit-il.

Grandir ensemble, mais aussi et surtout avoir une confiance aveugle en quelqu'un, voici l'un des moteurs de ce phénomène. "Tu te fies à un proche, naturellement. Et quand il s'agit d'entraîner quelqu'un avec toi, la cible la plus logique est ton petit frère ou ton grand frère", précise Marc Sageman. "La confiance absolue qui existe entre deux frères est une garantie face aux services de renseignement", explique au Parisien Magazine le sociologue Farhad Khosrokhavar, auteur du livre Radicalisation. "Même si un membre de la fratrie décide de ne pas participer, il ne va pas dénoncer son frère à la police", ajoute-t-il.

Contexte familial difficile

Certains psychiatres ou psychologues travaillant sur le sujet ont également pu constater qu'au-delà de la proximité et de la confiance, le contexte familial parfois chaotique était l'un des points communs de ces fratries, même s'il est difficile de dessiner un profil type des terroristes, qui viennent de tous les milieux.

"La seule chose vraiment évidente que nombre de ces jeunes ont en commun, c'est un dysfonctionnement familial. Il y a eu des divorces dramatiques, des trahisons, des abandons, des abus sexuels, des pères qui sont partis, des pères pervers qui ont agressé leurs enfants", analyse pour Le Point le psychanalyste et professeur de psychopathologie Patrick Amoyel, travaillant également pour l'association de déradicalisation des jeunes séduits par le jihad, Entr'autres. "Ces frères se créent un fort univers commun, ils font famille autrement", ajoute-t-il.

Le père de Mohamed Merah, par exemple, est un ex-trafiquant de cannabis. Les frères Kouachi étaient tous deux orphelins. Difficile d'établir un lien de cause à effet, mais pour Farhad Khosrokhavar, "les frères s'unissent dans un pacte, recréent les liens familiaux sur une base de cohésion".

Laisser une trace

De fil en aiguille, les frères s'influencent l'un et l'autre. "Ils s'enferment rapidement dans une sorte de confusion psychique. Il y a quelque chose d'un peu fou, d'un peu irrationnel dans ces processus. Une prise de risque un peu adolescente, même s'ils ne sont pas toujours adolescents", explique Patrick Amoye à l'AFP.

Jusqu'au moment fatidique, celui où ils décident de passer à l'acte ensemble, qui semble être pour eux un accomplissement. "Pour ces possibles orphelins symboliques le sang est une façon de laisser une trace, de faire un trou dans la mémoire des autres, l'acte terrorisant devant être inoubliable: à ces dates, 7 janvier, 13 novembre, c'est de leur haine que l'on se souviendra, pas du nom du père", affirme au Point le psychanalyste Paul-Laurent Assoun.

Pour l'instant, on sait seulement des frères El Bakraoui qu'ils ont un passé criminel. Ibrahim a été condamné en 2010 pour avoir tiré à la kalachnikov sur la police, selon Libération. Son frère, Khalid, a été condamné à 5 ans de prison pour une affaire de car-jackings.

 

Source : Le HuffPost

 

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