Quand l’observation des élections en Afrique vire au mercenariat

Que trouve-t-on de commun entre la présidentielle du 6 mars au Bénin et le double scrutin législatif et présidentiel du 21 février au Niger ?

Dans un cas comme dans l’autre, alors que les opérations électorales étaient toujours en cours, un groupe « d’observateurs » a rendu publique une déclaration pour jurer du caractère « transparent, régulier et démocratique » du scrutin. Quid de la phase cruciale et sensible du dépouillement ? Quid de l’étape décisive de la centralisation des résultats, pendant laquelle se produit la falsification des procès-verbaux des bureaux de vote ?

Le même scénario aurait pu se produire le 25 octobre 2015 lors de la consultation référendaire au Congo-Brazzaville ; il se répétera en avril prochain lors des élections présidentielles au Tchad, au Gabon et à Djibouti. En réalité, la bonne intention d’observer les élections en Afrique – pour attester de leur sincérité – a fait naître une espèce d’observateurs. Lesquels sont prêts à apporter, contre espèces sonnantes et trébuchantes, leur onction à des scrutins calamiteux.

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Contre toute évidence, cette catégorie d’observateurs a certifié de la régularité de l’élection d’Ali Bongo Ondimba, au Gabon en 2009, ainsi que la sincérité de la réélection, dès le premier tour, avec 80,15 % des voix, de Blaise Compaoré au Burkina en 2011 ou de la transparence de la victoire, avec 80,6 % des voix, d’Ismaël Omar Guelleh à la présidentielle de 2011 à Djibouti.

Véhicules de courtoisie et pension complète

Aidés par le contexte de rodage de la pratique démocratique en Afrique, qui peut justifier l’observation des élections, ces observateurs se recrutent à Paris, Londres, Madrid ou Lisbonne parmi les juristes, les professeurs de droit à la retraite ou en activité, de même que des personnalités ayant une notoriété ou une légitimité établie.

Certains sont démarchés en amont des scrutins par des rabatteurs accrédités par des pouvoirs en mal de caution qui leur assurent billets d’avion en classe affaires, pension complète à l’hôtel, véhicules de courtoisie et per diem. D’autres observateurs offrent spontanément leurs services, mettant en avant leur excellente et longue expérience dans la surveillance d’élections « tropicalisées ».

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Quel que ce soit le mode de leur « recrutement », ces observateurs agissent selon un protocole immuable : ils prérédigent leur déclaration puis la lisent le jour du scrutin, de préférence à la radio et à la télévision nationales.

De Djibouti au Nigeria, en passant par l’Egypte, le Tchad, le Gabon ou le Mali, la teneur de cette déclaration reste la même : « Globalement, les élections se sont bien passées, dans le calme et la transparence. » Et pour faire bonne figure, la déclaration ajoute dans des cas extrêmes de fraudes : « Il y a eu quelques difficultés qui ne sont pas de nature à mettre en cause la sincérité du scrutin. »

Chiffre d’affaires en nette progression

Pour cette catégorie d’observateurs, plus les pays africains organisent d’élections, mieux le business se porte. Le chiffre d’affaires de l’activité peut même connaître des progressions spectaculaires l’année où des scrutins présidentiels sont organisés dans les « pétromonarchies » d’Afrique centrale comme la Guinée équatoriale, le Gabon et le Congo. C’est le cas en 2016 ! Ce juteux créneau, qui fut longtemps le monopole des ressortissants d’autres régions du monde, a enregistré depuis peu l’arrivée en force d’Africains. Ils se recrutent surtout parmi les acteurs de la société civile ou d’activistes locaux, déterminés à prendre leur part du gâteau.

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Des Sénégalais iront, sans doute, observer la présidentielle du 10 avril au Tchad ; des Burkinabés seront observateurs du scrutin présidentiel au Gabon tandis que des Camerounais étaient venus témoigner de la sincérité du double scrutin présidentiel et législatif au Niger. Des observateurs guinéens, déployés au Soudan, avaient juré en avril 2015 de la transparence de la réélection du président soudanais Omar Al-Béchir, avec 94,5 % des voix. Peu leur importait qu’il soit au pouvoir depuis 1989 et qu’il soit poursuivi pour crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI).

Avec pas moins de seize élections présidentielles prévues en 2016 en Afrique, cette catégorie d’observateurs, plus portée sur ses gains que sur sa contribution à la démocratisation du continent, peut donc se frotter les mains. Son carnet de commandes est bien rempli.

 

Seidik Abba,
journaliste et écrivain, auteur d’Entretiens avec Boubacar Ba : un Nigérien au destin exceptionnel (éd. de L’Harmattan).
 
 

Source : Le Monde

 

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