L’Afrique veut faire naître le prochain Einstein

Macky Sall n’a pas mâché ses mots. « Les jeunes, a déclaré le président sénégalais en ouvrant le Next Einstein Forum (NEF), mardi 8 mars, constituent un potentiel inépuisable pour l’Afrique, pourvu qu’ils soient formés. Sinon, c’est une bombe. »

Quelques instants plus tard, son homologue rwandais, Paul Kagamé, présent à Dakar pour l’ouverture du forum, a tenu des propos similaires. « La jeunesse, a déclaré M. Kagamé, est une ressource énorme qui peut soit poser problème, soit être une opportunité selon comment vous investissez dans cette population. »

Dès le départ, donc, l’enjeu du NEF, événement destiné à défendre le rôle de la jeunesse africaine dans l’innovation scientifique, était posé franchement : s’occuper de la jeunesse avant qu’elle ne s’occupe de nous. Avec comme ambition ce que le forum présente comme un « rêve » : que le prochain Einstein soit africain. « Et que ce soit une femme », a ajouté Seema Kumar, de Johnson & Johnson, l’un des sponsors de l’événement, en profitant de la date de l’ouverture du forum, qui correspond à la Journée internationale des droits des femmes.

Conduire 10 000 jeunes au doctorat

De ce point de vue, la situation du Sénégal est particulièrement significative. Ici, comme ailleurs, la main-d’œuvre qualifiée manque cruellement. « Le continent a de graves besoins en matière de ressources humaines, a constaté M. Sall, surtout en compétences scientifiques et technologiques. Nous avons besoin de former des cadres. Si l’on était amené à reparler d’Ebola, il faut qu’on ait 1 000 chercheurs capables de trouver un remède. » Avec d’autres pays africains, comme l’Ethiopie ou le Rwanda, le Sénégal a l’ambition de conduire 10 000 jeunes jusqu’au doctorat. « Les sciences, la technologie, les mathématiques, l’innovation peuvent contribuer à trouver des solutions aux problèmes de l’Afrique », a poursuivi le président sénégalais.

Lire aussi : Fièvre jaune : « Nous allons produire de 10 à 15 millions de vaccins par an au Sénégal »

Et ceux-ci sont grands. Qu’il s’agisse du développement économique, de la satisfaction des besoins élémentaires de la population ou du changement climatique. C’est un défi pour les systèmes d’enseignement supérieur en Afrique. « L’enseignement supérieur est un pilier du développement économique, car il permet de former des personnes hautement qualifiées », rappelle Oumar Sock, secrétaire perpétuel de l’Académie nationale des sciences et techniques du Sénégal et ancien directeur général de l’enseignement supérieur.

Une course contre la montre

Or les universités sénégalaises, comme de nombreux établissements d’Afrique de l’Ouest, sont confrontées à un double défi. Le premier concerne la massification de l’enseignement supérieur.

Lire aussi : « La renaissance rwandaise : j’y suis allé, j’ai vu, j’y crois »

« Nous sommes engagés dans une course contre la montre », explique le professeur Ibrahim Thioub, recteur de la grande institution de Dakar, l’université Cheikh Anta Diop (UCAD). En substance, l’accent a été mis sur l’enseignement primaire, mais les gouvernements et leurs partenaires ont négligé la suite. « En 2000, nous avions 10 000 bacheliers, rappelle M. Sock. En 2014, nous en avions 40 000 et en 2024, ils seront 180 000. Or nous n’avons pas assez de places dans l’enseignement supérieur. Nous n’arrivons pas à caser tous nos bacheliers. » Résultat : l’Etat est obligé d’orienter certains d’entre eux, à ses frais, vers le privé.

 

Macky Sall à l'ouverture du Next Einstein Forum à Dakar, le 8 mars 2016, devant un parterre de scientifiques et de dirigeants africains.

Macky Sall à l'ouverture du Next Einstein Forum à Dakar, le 8 mars 2016, devant un parterre de scientifiques et de dirigeants africains. Crédits : SEYLLOU / AFP

L’UCAD, conçue pour accueillir 25 000 étudiants, en reçoit actuellement plus du triple. Tout manque, les locaux comme les professeurs et l’insatisfaction des uns et des autres conduit à d’innombrables jours de grève, souvent agités. Le Sénégal s’est donc engagé dans un programme de réforme et de construction conséquent. Deux nouvelles universités vont sortir de terre. L’Etat a également créé 210 postes d’enseignants-chercheurs et 100 nouveaux labos sont prévus. D’autres pays suivent la même voie. « Après la crise, la Côte d’Ivoire a reconstruit ses universités, précise-t-on à l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), et ces équipements n’ont rien à envier aux campus anglo-saxons. »

Lire aussi : Le calvaire des étudiants de l’Université virtuelle du Sénégal

Avec l’aide de l’AUF, justement, l’Afrique de l’Ouest mise également sur l’enseignement à distance. Une université virtuelle du Sénégal a ouvert en 2014, comme au Mali. Mais, dans un pays où la couverture électrique est défaillante, « il faut prendre les problèmes par tous les bouts », ajoute-t-on de même source. Il faut aussi former les enseignants. « Le Sénégal est le pays le plus avancé sur ce point », précise l’AUF. « Nous généralisons le Wi-Fi, confirme le professeur Thioub. Et nous sommes en passe d’avoir la bande passante la plus large au sud du Sahara. »

Pas assez de scientifiques

Le second défi auquel est confronté le pays est l’inadéquation des formations universitaires aux besoins des entreprises et de l’économie. « En Afrique, c’est avéré, plus vous êtes diplômé, moins vous avez de chance d’obtenir un emploi, reconnaît le recteur de l’UCAD. Mais, soupire-t-il, nos 90 000 étudiants ne peuvent pas tous obtenir un doctorat. » Le chômage des jeunes diplômés est tel (la moitié d’entre eux est concernée) que ceux-ci tentent bien souvent de rester le plus longtemps possible sur les bancs des amphis.

Lire aussi : Les universités africaines voient l’avenir en MOOC

L’enseignement secondaire ne produit en outre pas assez de scientifiques (25 % seulement) et le cursus universitaire est souvent trop théorique, trop classique. En rappelant que son pays a adopté récemment un Plan Sénégal émergent, le président Macky Sall rappelle qu’« il faut former des agronomes, et pas seulement des théoriciens de l’agriculture. Et cela vaut aussi bien pour la communication ou l’énergie. Les universités doivent changer de paradigme, car l’existant ne répond pas aux besoins du marché du travail ».

Là aussi, des réformes ont été engagées. Une loi, votée il y a quelques semaines, prévoit que les entreprises seront présentes au sein des conseils d’administration des universités, lesquels seront d’ailleurs présidés par un patron. « L’Etat sénégalais ne veut plus financer des formations sans rapport avec les besoins de notre économie », assure M. Sock.

Lire aussi : Il faut soutenir la création d’universités d’excellence en Afrique

L’accent est mis dorénavant sur le développement d’instituts supérieurs d’enseignement professionnel, des formations courtes (deux ans), très professionnalisantes. Le premier a ouvert il y a trois ans. Et n’a pas vocation à rester seul.

Rapatrier la diaspora éduquée

Enfin, il est un dernier défi de taille qui préoccupe les pays africains : la fuite de ses cerveaux. « La plupart de nos mathématiciens, de nos scientifiques sont hors d’Afrique, regrette Paul Kagamé, le président rwandais. Nous devons donc créer un environnement favorable pour maintenir ceux qui sont là, et attirer ceux qui sont hors du continent. »

Lire aussi : « Les étudiants africains doivent pouvoir obtenir un bon master sur le continent »

Le Sénégal a mis en place un certain nombre de mesures destinées à inciter les talents de la diaspora à « rentrer au bercail », comme dit M. Sall. Les salaires des enseignants-chercheurs ont été revalorisés. Le système de bourses pour les doctorants a également été réformé, afin de favoriser les allers-retours entre l’Occident et le Sénégal. Une Cité du savoir, à Diamniadio, dans la région de Dakar, est appelée à voir le jour. Elle accueillera notamment une plateforme scientifique mutualiste, dotée d’« équipements lourds », afin que « les chercheurs africains ne soient plus obligés d’aller en Europe ou aux Etats-Unis pour mener leurs recherches », explique Mary Teuw Niane, le ministre de l’enseignement supérieur.

 

Benoît Floc'h

Dakar, envoyé spécial

 

Source : Le Monde

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page