Invectives, dissensions multiples entre des pays pourtant amis, comme la France et la Belgique (qui ferme sa frontière à cause de la « jungle » de Calais), l’Allemagne et l’Autriche (à la suite de l’introduction de quotas de migrants par Vienne). Manque total de solidarité d’une partie de l’assistance (Autriche, pays de l’Est) à l’égard d’une Grèce en train de se transformer à grande vitesse en vaste « piège à migrants ». Incident diplomatique inédit, Athènes a même rappelé dans la journée son ambassadeur en Autriche.
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Les ministres ont certes réitéré leur volonté de trouver des « solutions européennes », de poursuivre dans la voie de la relocalisation des réfugiés, décidée en 2015, de continuer à miser sur les « hot spots » (les centres d’enregistrement et de tri en Italie et en Grèce), mais les pays des Balkans et d’Europe centrale, à commencer par l’Autriche, ne sont pas revenus sur leurs « décisions unilatérales » de ne plus faire passer les migrants, et même les réfugiés, qu’au compte-gouttes. Et tant pis si cela condamne, à très court terme désormais, l’espace de libre circulation Schengen. « Il y a un risque que le système s’effondre complètement », a prévenu le commissaire européen à la migration, le Grec Dimitris Avramopoulos, jeudi.
« En réunion, le ministre de l’intérieur grec [Ioannis Mouzalas] a été très dur. Il a reproché longuement à l’Autriche d’avoir organisé, la veille à Vienne, sans l’inviter, une réunion des Balkans [pour coordonner la fermeture de leurs frontières]. Il a dénoncé une démarche ennemie », assurent plusieurs diplomates européens.
Des pays de l’Est et des Balkans ont, eux, accusé la Grèce de n’avoir pas fait son travail pour arrêter les migrants. Le ministre français, Bernard Cazeneuve, et son homologue allemand, Thomas de Maizière, ont, a contrario, pris la défense d’Athènes, assurant qu’elle avait fait beaucoup d’efforts (en installant quatre « hot spots » désormais opérationnels) et qu’il fallait l’aider. « Certains, à l’Est, ont même mis en doute les chiffres de Frontex [l’agence européenne de surveillance des frontières], estimant que la majorité des arrivées en Grèce étaient des migrants économiques et pas des réfugiés », témoignait un diplomate, jeudi. « Cela montre à quel niveau intellectuel le débat est tombé », ajoutait-il, un peu effaré.
Dans la panique
« La volonté d’assumer les décisions communes n’est pas très grande, la pression [des opinions publiques] est forte », a résumé la ministre suisse, Simonetta Sommaruga, présente en tant que membre de Schengen. De fait, de plus en plus de gouvernements – le Danemark et la Suède au début 2016, ou l’Autriche il y a dix jours – ne veulent plus attendre les solutions « solidaires » de Bruxelles.
La seule proposition à faire encore consensus à Vingt-Huit est celle de la Commission, présentée mi-décembre, de mettre sur pied un corps de gardes-frontières européens. Les ministres de l’intérieur se sont félicités, jeudi, que les discussions sur cette proposition aient très vite progressé, et espèrent un feu vert du Parlement européen avant l’été. Un record pour la machine à légiférer bruxelloise, mais une éternité face à l’urgence de la situation.
Les gouvernements agissent dans la panique. Ils sont tétanisés par les arrivées depuis janvier (110 000 migrants, dont 102 000 par la Grèce), et par la perspective de flux encore plus élevés au printemps. Alors ils ferment leurs frontières, contreviennent au droit européen et aux conventions de Genève sur l’asile, comme l’Autriche avec ses quotas journaliers de réfugiés, pour répondre à des opinions publiques rétives et contrer des partis populistes de plus en plus écoutés.
La chancelière allemande, Angela Merkel, est désormais seule en Europe – avec la Commission – à défendre encore l’accueil des réfugiés. Mais elle est tellement affaiblie qu’elle n’a pas pu empêcher les initiatives de l’Autriche et de ses alliés, à Vienne, ni l’annonce, le même jour, mercredi 24 février, d’un référendum sur le projet européen de relocalisation des migrants par le premier ministre hongrois, Viktor Orban, pourtant membre, comme elle, du Parti populaire européen…
Mme Merkel mise tout sur le sommet européen avec la Turquie, le 7 mars, à Bruxelles, qu’elle a réussi à obtenir, ces derniers jours, de ses partenaires. Pour tenter de retarder d’autres mesures unilatérales de fermeture des frontières. Et limiter la « casse » pour son parti, la CDU, fragilisée par la poussée de l’extrême droite dans la perspective de trois élections régionales en Allemagne, le 13 mars.
Situation alarmante
L’accord signé en novembre 2015 avec la Turquie pour limiter les flux de migrants est en grande partie resté lettre morte. La décision, prise le 11 février, d’enrôler l’OTAN pour lutter contre les passeurs et renvoyer les migrants sur la côte turque pourrait aider. « Il nous faudrait un signal fort, avant le 7 mars, par exemple un ferry plein de migrants économiques reconduits de la Grèce vers la Turquie », suggérait un diplomate européen, jeudi.
En attendant, Bruxelles en est réduite aux pis-aller : dans l’urgence, les fonctionnaires de la Commission planchent sur une proposition d’aide « humanitaire » à la Grèce. Du jamais-vu. Sur le terrain, la situation est déjà alarmante. Entre 12 000 (selon Médecin sans frontières) et 20 000 migrants (selon le ministère de la défense) sont aujourd’hui bloqués dans le pays. Les centres d’accueil d’Athènes sont pleins. Ceux à la frontière gréco-macédonienne aussi. Plusieurs milliers de personnes dorment dans les champs ou sur les places publiques.
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Le ministre de la défense, Panos Kamménos, a annoncé 20 000 nouvelles places d’accueil dans quatre nouveaux camps, dans le nord du pays. Les vivres, les couvertures, les sanitaires manquent. Et les complications respiratoires se multiplient, notamment chez les enfants. Entre 1 200 et 3 000 réfugiés continuent d’arriver chaque jour sur les îles de la mer Egée, dont environ 40 % sont désormais refoulées (car en provenance d’Iran, du Maroc, d’Algérie, de Somalie, mais aussi d’Afghanistan), voués à rester en Grèce. Et pour les Syriens et les Irakiens munis de papiers d’identité, les autorités macédoniennes ont ralenti le flux à 100 ou 200 passages par jour…
Adéa Guillot, (Athènes, correspondance)
Cécile Ducourtieux,(Bruxelles, bureau européen)
Source : Le Monde
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