Boutros Boutros-Ghali, décès d’un professeur diplomate

Etudiant brillant, professeur, journaliste, ministre des Affaires étrangères, secrétaire général de l’ONU puis de l’OIF, président du Conseil égyptien des droits de l’homme sous Moubarak, Boutros Boutros-Ghali a eu 7 vies durant lesquelles il n’a jamais oublié son pays et l’Afrique.

En 1945, quelques jours après la création de l'ONU, les Etats-Unis s'interrogèrent sur la personnalité idéale du secrétaire général. La description donnée par le département d'Etat était la suivante : « un homme dont le prestige et la compétence soient reconnus dans le domaine de la diplomatie et de l'expérience des Affaires étrangères ». Plus tard, les responsables américains se déclarèrent « favorables au choix d'un individu exceptionnellement qualifié, de préférence une personnalité qui soit parvenue à une position internationale et de préférence un ressortissant d'une puissance et moyenne ».

Une personnalité ? Tel était indubitablement le cas de Boutros Boutros-Ghali, issu d’une grande famille égyptienne (son grand père fut Premier ministre), copte, juriste, mélomane, exigeant et infatigable travailleur doté d'une volonté d'acier. Qui plus est francophile.

Avec lui, la fonction de secrétaire général de l'ONU, qu'il occupa de 1992 à 1996 prit du relief. A tel point que l'individu « exceptionnel » tant vanté par Washington, finit par indisposer l'Amérique qui n’a jamais trop aimé l’institution sise à New York.

Il n'est pas inutile de rappeler ici que Boutros Boutros-Ghali fut ministre d'Etat en charge des Affaires étrangères (ministre en second dans le protocole cairote) de 1977 à 1990. Il accompagna Anouar el-Sadate lorsque celui-ci se rendit en Israël, à Jérusalem, le 19 novembre 1977 lors d’un voyage vraiment historique. Il fut également un des négociateurs du traité de paix égypto-israélien signé à Washington le 26 mars 1979. Ce texte entérina la reconnaissance réciproque des deux pays.

Il était ainsi l'ami des grands de ce monde avant de gagner son bureau du 38e étage à New York. Il avait, en outre, une haute idée de lui-même. « Aboutissement d’une lignée d’hommes qui se sont hissés par le travail et l’intelligence, il a été, de tout temps, dévoré de l’orgueil d’être parmi les premiers », souligne l’ancien diplomate Alain Dejammet dans une biographie d’une remarquable précision (Editions Encre d’Orient) qui a été au cœur du magazine Idées sur RFI.

Le sphynx en campagne

Faire campagne pour cette élection fut pour lui une révélation. « Aristote dit que " l'homme est un animal politique ". C'est cet animal politique que découvre en moi », écrit-il dans Mes années à la maison de verre (Fayard). L'homme avait un atout supplémentaire aux yeux de l'Assemblée générale : il représentait à la fois l'Afrique, un continent auquel il s’est toujours intéressé, et le monde arabe.

Dès son arrivée, il se mit à gouverner l'ONU d'une main de fer. En arrivant sur les bords de l'East River, il s'était fixé un objectif : bâtir les Nations unies du XXIe siècle. Les temps changent et l'ONU doit changer répétait-on dans l'entourage de cet homme ; un homme qui « a peut-être un caractère rugueux mais ses idées sont claires », disait de lui à l'époque un diplomate français.

Passé la première année de son mandat, son enthousiasme s'émoussa un peu. Sa volonté se heurta vite aux égoïsmes nationaux. Un secrétaire général de l'ONU ne peut changer l'Organisation sans avoir l'accord de l'ensemble de ses Etats membres. Et tous ne voyaient pas de bon œil une réforme du « Machin ».

Il fut un secrétaire général impuissant malgré ses alertes lancées à l’improbable « communauté internationale » et en dépit de ses demandes d’intervention lors du génocide au Rwanda. Selon Alain Dejammet, « Il s’est heurté à la formidable inertie des gouvernements, à leur pharisianisme aussi ». Il s’avéra tout aussi impuissant durant la guerre dans l'ex-Yougoslavie. Alors, par goût et par habitude, il se fit, sans mal, théoricien des relations internationales et prit la plume. De sa tour de verre, sphynx au sommet de sa pyramide, il n'hésita pas à parler de morale en politique là où la géopolitique se dissimule derrière les grandes déclarations de principe et le drapeau bleu ciel.

Afin de promouvoir cette nouvelle politique mondiale, il publia ainsi un Agenda pour la paix, un texte de référence que les hauts fonctionnaires brandissaient alors à New York. Il y préconisait surtout la diplomatie préventive. Puis, à la fin de son mandat, un Agenda pour la démocratisation (« mon chant du cygne »,disait-il) alors qu'il était encore pour quelques semaines à la tête d'une institution dont la Charte, son texte fondateur, ignore le mot même de démocratie. Un texte qui disparut des bureaux onusiens dès le départ de son auteur.

Rendez-vous manqué

Boutros Boutros-Ghali estimait que l'ONU avait manqué l'occasion de s'affirmer après la guerre froide. Il redoutait le rôle qu'y jouaient alors les Etats-Unis peu enclins à défendre l'institution.

Il parlait en connaissance de cause, puisque Washington s'opposa à un second mandat. Les Américains (c'est-à-dire le président Bill Clinton sous la pression du Congrès) considéraient qu'il leur était hostile et Madeleine Albright, alors secrétaire d'Etat mena campagne contre lui. Elle voulait, pour reprendre son expression, que le Secrétaire général soit davantage secrétaire que général. Le département d' Etat fit pression sur les pays africains pour qu'il ne le reconduise pas dans ses fonctions. Pas étonnant, dès lors, de l'avoir entendu dire que « la machine américaine peut étouffer un Secrétaire général ».

Les damnés de la terre

Le 1er janvier 1997, quelques heures après avoir passé le flambeau à son successeur Kofi Annan, Boutros Boutros-Ghali raconte dans Mes années à la maison de verre, qu'il avait tourné la page. « Je ne suis plus au service de l'ONU et mes habitudes d'universitaire reprennent le dessus : j'essaie d'analyser ce que ces cinq dernières années ont représenté pour l'avenir des Nations unies », écrit l'ancien chef du département des sciences politiques à l'université du Caire, professeur de droit, et rédacteur en chef d'une revue de politique étrangère et d'économie au Caire.

Une réflexion qui n'a jamais cessé et qu'il aimait faire partager avec clarté et toujours un léger sourire. « L'ONU doit toujours être au service des damnés de la terre », répétait-il. Presque une obsession qui ne le quitta pas lorsqu’il occupa, ensuite, le poste de Secrétaire général de la Francophonie, à Paris, la ville de ses années de jeunesse, où il passa sa thèse consacrée aux « organisations régionales dans le système des Nations unies »…

 

Source : RFI

 

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