SE DEBARRASSER DU POIDS DE LA RACE

Le symposium qui s’est ouvert hier, lundi 8 février au Centre de recherche ouest-africain (Warc) parle de «Race, Racisme et Construction des Modernités Noires».

Et pour la première journée de cette rencontre entre spécialistes, on a beaucoup parlé de la façon dont le mot «race», qui pourrait faire peur, a parfois servi à justifier les pires de nos bêtises humaines, en vertu d’une sorte de déterminisme biologique qui voudrait qu’il y ait des hommes et des sous-hommes. Mais pour l’anthropologue américain Michael Blakey, «nous créons notre propre histoire», ce qui signifierait en d’autres que nos traits physiques ne devraient pas décider de ce que nous sommes, ou non, en mesure de faire, de réaliser ou d’accomplir. Le symposium se poursuit jusqu’à ce jeudi 12 février. Voir programme en annexe.

On voudrait en faire quelque chose de banal, d’entendu ou de déjà-vu, que cela ne passerait pas, ou alors difficilement…Et réduire la question de la race et du racisme à une de ces vieilles rengaines que l’on s’amuserait à tourner  dans tous les sens, si ce n’est à une de ces conversations plus ou moins légères, de comptoir ou de grand- place, serait même assez tendancieux pour ne pas dire dangereux. L’historien Abderrahmane Ngaïde, qui est aussi enseignant-chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), pensait d’ailleurs que l’on avait peut-être plus ou moins tout dit à ce sujet ou qu’il n’y avait peut-être pas de quoi réunir (encore) autant de spécialistes que ce qu’il y avait dans la matinée d’hier, lundi 8 février, au Centre de recherche ouest-africain (Warc). Même s’il avouera s’être peut-être un peu trompé, et que ce n’était finalement pas si évident que cela.

Et pour quelqu’un comme Ousmane Sène, ou le directeur du Warc, le sujet est forcément très actuel, ne serait-ce que parce qu’il est toujours un peu délicat de vouloir parler de terrorisme ou de djihadisme aujourd’hui, en évitant scrupuleusement de prononcer le mot «race», et d’en faire quasiment un gros mot à censurer.

L’autre exemple, comme dirait quelqu’un dans la salle, c’est qu’il n’y a pas si longtemps que cela, l’ancien ministre de la Justice en France, la démissionnaire Christiane Taubira, se retrouvait à la Une de l’hebdomadaire français d’extrême-droite Minute, mise en scène dans une caricature qui la représentait sous les traits d’un singe, ou d’une guenon.

La race, un gros mot ?

Venu avec son statut de spécialiste du sujet, l’anthropologue américain Michael Blakey fera remarquer que le mot «race» avait surtout servi à justifier toutes les mille et une «variations de l’espèce humaine». Ce qui reviendra selon lui à ce que les Blancs s’arrogent une sorte d’ «autorité universelle» ou de «supériorité», tandis que l’on réduisait les Noirs à de simples «objets» sans âme. Michael Blakey va même plus loin, lorsqu’il décortique le concept de polygénèse, qui voudrait qu’il n’y ait plus seulement différentes races, mais plusieurs espèces, et que les individus de type caucasien, autrement dit les Blancs, résument à eux seuls l’essentiel de l’espèce humaine ; au nom d’une classification qui voudrait que le Noir joue les intermédiaires entre le singe et le Blanc. 

Ce sont des théories comme celles-là, dit d’ailleurs l’anthropologue américain, qui viendront justifier la colonisation, l’esclavage et même la ségrégation raciale aux Etats-Unis ; et on les retrouvera jusque dans le discours de l’Eglise et de certains de ses missionnaires, avec en tête l’idée de civiliser de petits êtres «pas assez humains». Et si des théories comme celles-là peuvent être dangereuses selon Michael Blakey, c’est peut-être aussi par cette façon qu’elles ont de se servir de la biologie, de quelque chose d’aussi arbitraire que l’épiderme ou de quelque trait physique dû à la génétique, pour expliquer la moindre de nos hiérarchies humaines, qui  ne serait en fait que «construction idéologique».

Que l’on ait aussi l’audace, pour ne pas dire l’honnêteté intellectuelle comme dirait Abderrahmane Ngaïde, d’aborder la question des «diasporas noires dans le monde arabe», en ayant surtout le courage de nous regarder dans les yeux et d’interroger cette forme de hiérarchisation que l’on retrouverait jusque dans nos propres ethnies africaines.

L’éternelle question des Egyptiens noirs

S’il y a une question sujette à toute une série de controverses, c’est sans doute celle de la couleur de peau des premiers Egyptiens. Cheikh Anta Diop, dont on commémore le trentième anniversaire du décès, en avait d’ailleurs fait son combat. Et pour le Pr Aboubacry Moussa Lam, égyptologue lui aussi, il n’y a «pas de doute que les premiers Egyptiens étaient noirs». L’homme impute d’ailleurs la responsabilité de ce qu’il appelle «manipulation» ou «falsification historique» à quelqu’un comme l’égyptologue français Gaston Maspero (1846-1916).

Et à défaut de pouvoir prouver que l’Egypte antique était blanche, dit encore le Pr Lam, ceux qui ne voulaient définitivement pas «se fier au verdict de la science» chercheront à imposer l’idée selon laquelle celle-ci était (au moins) «métissée». De cette couleur noire on a pourtant voulu faire une «fiction», même si Aboubacry Moussa Lam explique que les portraits (noirs) produits par les artistes de l’époque, n’avaient pas le droit de se permettre quelque liberté sur les modèles, obligés qu’ils étaient de n’être que «des portraits ressemblants».

Programme du Symposium sur «Race, Racisme et Construction des Modernités Noires»
 

Mercredi 10 février

Conférence à l’Ifan (Salle de Conseil)

Session 1. 9h30-10h35 : Table ronde sur «Les perspectives comparées sur Noir et Noirceur en Afrique et dans les Diasporas Africaines»
 

Session 2. 11h00-12h00 : Table ronde sur «Les Réflexions Anthropologiques de la Diaspora africaine : Comment pourrions-nous deviner Notre Futur ?»

 

Théodora SY SAMBOU

 

Source : Le Quotidien (Sénégal)

 

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