70 ans du franc CFA : ce que disent les spécialistes

Alors que la France est à l'euro, les pays de la zone CFA en sont à une monnaie dont la référence, le franc français, n'existe plus. De quoi susciter un débat pas toujours serein.

Pour ou contre le franc CFA ? La question s'est toujours posée depuis la création de la monnaie en 1945. Les voix critiques sont celles qui se font le plus entendre, mais elles ne sont pas les seules. Et il faut noter que le débat s'est tour à tour retrouvé chez les intellectuels, les économistes ou encore les politiques. On se souvient des réactions des chefs d'État africains remontés à la suite de la dévaluation du franc CFA le 12 janvier 1994, le Togolais Étienne Gnassingbé Eyadéma affirmant : "La force prime souvent le droit. Je n'étais pas le seul à formuler cette mise en garde, mais la France… en a décidé autrement. Les voix africaines n'ont pas compté pour grand-chose dans cette affaire." En 2007, dans la crainte d'une nouvelle dévaluation, le président Omar Bongo Ondimba prévenait : "Il faut être clair. Si, par malheur, une autre dévaluation du CFA devait intervenir, je ferais tout pour que l'Afrique centrale et l'Afrique de l'Ouest abandonnent le franc CFA et créent leur propre monnaie". Aujourd'hui, force est de constater qu'il ne s'agit pas uniquement d'être "pour ou contre". Les arguments sont plus nuancés car il faut mettre à plat des politiques monétaires qui impactent 14 pays d'Afrique centrale et occidentale, ainsi que les Comores, c'est-à-dire le quotidien de près de 150 millions de personnes. Pas une mince affaire. Un colloque sur "l'avenir du franc CFA" s'est tenu à Paris en septembre 2015 sous les auspices de la Fondation Gabriel Péri, l'occasion pour les uns et les autres d'avancer leurs arguments.

Sur la parité entre le CFA et l'euro

Bruno Tinel, maître de conférences à l'université Paris 1-Panthéon-Sorbonne : "La fixité de la parité entre le CFA et l'euro n'est pas soutenue par les banques centrales des deux zones CFA, elle est assumée par le Trésor français. Le problème posé par des réserves qui sont limitées ne se pose pas a priori puisque le principe consubstantiel au CFA est que le Trésor français assure la parité fixe entre l'euro et le CFA avec comme contrepartie le dépôt de 50 % des réserves de changes détenues en zone CFA auprès du Trésor. Les principes de développement économique sont, dès lors, secondaires et subordonnés au respect du principe monétaire de la parité fixe. Il est notable par ailleurs qu'en zone CFA, plus que de remplir leurs obligations contractuelles, les États vont au-delà notamment en ce qui concerne le seuil minimum de 20 % de couverture de l'émission monétaire : en effet, il se situe autour de 100 %, voire plus."

Sur le développement des économies africaines

Demba Moussa Dembélé, économiste, président d'Arcade (Dakar-Sénégal) : "Le franc CFA est un instrument allant contre le développement des pays africains, ne serait-ce que parce que cette monnaie est étrangère et que son sort se décide en France, ou en Allemagne (siège de la Banque centrale européenne). La dévaluation de 1994, décidée à Paris avec le soutien du FMI, avant que les États africains n'en soient informés par le ministre de la Coopération, en avait déjà été l'illustration. Les leviers qui déterminent le franc CFA ne sont pas en Afrique, comme le prouve ce constat : sur les 15 pays africains membres de la zone CFA, 11 sont classés comme « pays moins avancés » par les Nations unies. Certes, plusieurs facteurs expliquent cette situation, mais la question monétaire en est un majeur. Le problème est fondamentalement politique : la monnaie est un attribut de souveraineté."

Sur l'absence d'industrialisation de certains pays africains

Kako Nubukpo, économiste, ancien ministre du Togo : "Le couple monnaie forte et désarmement tarifaire est ravageur dans la mesure où il empêche toute industrialisation (par exemple, toutes les industries textiles en Afrique de l'Ouest ont disparu, ce qui n'est pas dû qu'à la mauvaise gouvernance). On observe un effet direct de la gestion monétaire couplée aux orientations internationales (FMI, Banque mondiale) : il n'y a pas de processus de transformation de la matière première en interne, et, lorsque celle-ci est exportée, le sont aussi les emplois potentiels qui pourraient être créés. La double répression financière et monétaire."

Et le social ?

Martial Ze Belinga, économiste et sociologue : "La zone franc existe aussi en tant qu'institution, comme arrangement institutionnel, c'est-à-dire qu'elle met ensemble plusieurs institutions depuis un certain nombre d'années (banques centrales, Trésor public, etc.). Il est nécessaire de lire le système CFA comme un ensemble d'institutions qui produit à la fois des représentations, des effets, des incitations, etc. Tout arrangement institutionnel doit produire un rendement social, c'est-à-dire que, dans la logique économique, le revenu privé doit avoir une justification dans l'économie en tant qu'utilité et donc, en principe, contribution au bien-être collectif."

Sur le compte d'opérations

Jean-Édouard Sathoud, ancien vice-gouverneur de la Banque des États d'Afrique centrale : "S'agissant du fonctionnement du compte d'opérations, il est utile de signaler que, du point de vue interne des banques centrales, compte tenu de l'évolution qui est intervenue entre-temps dans les relations financières et monétaires avec la France, le Trésor français, qui apporte sa garantie au franc CFA, est considéré comme une banque auprès de laquelle est placée une partie des disponibilités extérieures de pays de la zone CFA. Ce placement est rémunéré. Les États paient des intérêts au Trésor français lorsque le compte d'opérations est débiteur."

Sur l'arrimage franc CFAà l'euro

Lionel Zinsou, en 2009, dans une interview sur Afrik.com : "Certains banquiers et certains fonctionnaires du Fonds monétaire international (FMI) pensent qu'il faut rompre avec la parité fixe du franc CFA avec l'euro. Ces personnes pensent que les pays de cette zone seraient plus compétitifs en ayant une monnaie plus faible. Mais plusieurs gouvernements sont farouchement opposés à mettre fin à l'arrimage du franc CFA à l'euro. En ce qui me concerne, je défends cette parité fixe entre le franc CFA et l'euro. D'abord parce que cela permet à nos pays d'avoir une monnaie stable, ensuite parce que nos économies importent autant qu'elles exportent. Une monnaie forte leur permet d'importer relativement moins cher."

Les pays francophones pénalisés par le franc CFA ?

Ibrahima Sène, économiste : "Le franc CFA est un frein au développement des pays francophones par rapport aux non francophones : le taux de croissance moyen des pays hors zone franc est de 7 à 8 % ; le taux de croissance moyen des pays ouest-africains est aux alentours de 3,5-4 %. Sur les quinze pays les moins développés en Afrique, onze font partie de la zone franc. Avancer que la France aurait moins d'intérêt aujourd'hui qu'hier au franc CFA revient à méconnaître la réalité. Elle gagne toujours et encore doublement, d'une part au travers des réserves placées au Trésor français, d'autre part par le biais des filiales des entreprises françaises installées dans les pays de la zone franc qui rapatrient librement leurs profits. En outre, le franc CFA bloque la politique d'intégration économique. En effet, au regard des difficultés que les pays de la Cedeao ont eues pour élaborer des accords avec des pays de la zone franc, ne serait-ce que pour le tarif extérieur commun, on se rend compte que les ambitions d'intégration sous-régionales sont hypothéquées."

L'avenir : la monnaie unique en question

L'Afrique de l'Ouest a fait un pas vers la sortie de la zone franc en lançant le projet de monnaie unique au niveau de la Communauté des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), qui compte 15 pays et 300 millions d'habitants. L'échéance est fixée à 2020. Il est d'ailleurs prévu la création d'un institut monétaire en 2018 censé préparer les instruments d'une banque centrale ouest-africaine. Cette monnaie unique aurait de nombreux avantages, selon plusieurs économistes. D'une part, elle mettrait fin aux tutelles monétaires, d'autre part, elle serait un facteur d'intégration en Afrique de l'Ouest, et bien plus si d'autres régions du continent suivaient le mouvement.

Viviane Forson

 

Source : Le Point Afrique

 

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